18 avril 2019

[Jean-Pierre Maugendre - Renaissance Catholique] Rebâtis mon Église !

SOURCE - Jean-Pierre Maugendre - éditorial de la revue Renaissance Catholique n° 156 - 18 avril 2019

Il y a bien longtemps que notre pays n’avait vécu un tel moment d’émotion partagée ! L’enjeu n’était plus de savoir si la France allait être, ou non, championne du monde de football ou de handball mais d’évaluer les capacités de la voûte et des beffrois de la cathédrale Notre-Dame de Paris à résister à l’incendie qui faisait rage.

Quand la flèche s’est effondrée un cri a jailli de la foule. Dans les rues de la capitale des groupes en prières récitaient le chapelet. Les églises de France ont sonné le glas. La cathédrale de Chartres s’est ouverte à 22 h, en union de prières avec l’autre Notre-Dame. Chacun, confusément, a bien senti que c’est l’âme même de la France qui était en jeu, qu’il ne s’agissait pas d’un simple amas de bois et de pierres ou d’un musée, si prestigieux fut-il. La cathédrale Notre-Dame de Paris nous relie à la fois à notre Histoire longue, à nos racines mais aussi au Ciel. Parce qu’elle est l’œuvre inégalée de siècles de foi, le symbole éclatant de toute une civilisation en péril, elle continue d’interroger notre siècle matérialiste, gavé de biens matériels mais toujours en quête de sens. Ce drame nous rappelle que ce que nous croyons indestructible peut disparaître.

Une nouvelle union nationale

Un grand mouvement d’union nationale s’est amorcé pour reconstruire la cathédrale. Les dons affluent importants ou modestes, de personnalités célèbres ou inconnues. C’est une grâce. Cependant que peut signifier cet incendie dans le plan de Dieu ? En 1210, le pape Innocent III vit en songe un petit moine qui soutenait l’église Saint-Jean-de-Latran en ruine. Au même moment saint François d’Assise entendit une voix lui ordonner : « Va et rebâtis mon Église qui tombe en ruine ».

C’est à cette reconstruction de l’Église, alors ébranlée par l’hérésie cathare, que s’attacha saint François. Au-delà de la reconstruction matérielle de la cathédrale Notre-Dame de Paris, ce drame, qui frappe notre mémoire et notre identité en plein cœur, pourrait être l’occasion d’un sursaut salvateur. Il faudrait pour cela que la, nécessaire, démarche de reconstruction matérielle soit complétée et accompagnée par une démarche spirituelle de prière et de pénitence, renouant avec l’Histoire longue et l’âme même de notre pays. Le président de la République nous a appelés « à retrouver le fil de notre projet national ».

Prenons le aux mots ! Pour préparer le millénaire du baptême de la Pologne, célébré en 1966, le cardinal Wyszynski initia une neuvaine d’années de prières à Marie qui renouvela en profondeur le pays. Quelques années plus tard, le cardinal Wojtyla, archevêque de Cracovie, devenait pape sous le nom de Jean-Paul II et la Pologne se libérait du joug communiste.

La passion de l’Église

L’Église de France semble ne jamais devoir arriver au bout du chemin de croix qu’elle parcourt, douloureusement, depuis des années. L’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris est le point d’orgue de bien des mois d’épreuves. Citons la fermeture du séminaire de Lille, la condamnation pénale du cardinal Barbarin (archevêque de Lyon et primat des Gaules) pour non-dénonciation de l’activité pédophile du père Preynat, à ce jour non jugé… Sans oublier, à l’échelle de l’Église universelle, le scandale, globalement impuni, des abus sexuels commis par des prêtres, des évêques voire des cardinaux sur des mineurs ou des adolescents, la confusion sur l’accès des divorcés remariés à la communion, le relativisme doctrinal vis-à-vis de l’islam, etc.

À la suite de son divin maître, l’Église chemine, sous les crachats et les coups, portant la croix, vers le calvaire, dans l’espérance de la Résurrection. Cependant, la dévotion populaire du chemin de croix le rappelle, ce qui est méritoire ce n’est pas de tomber mais de se relever, à trois reprises selon la Tradition. Il ne suffit pas de déplorer les malheurs des temps, il s’agit d’œuvrer à rendre les temps meilleurs. Et cela sous le regard de Dieu. Les Ninivites le comprirent qui, à la prédication de Jonas, décrétèrent quarante jours de pénitence pour que Dieu les épargne malgré leur mauvaise conduite. Dieu, « lent à la colère » (Jo, IV, 2) se laissa fléchir et Ninive fut épargnée. On se demande bien à quel titre notre pays mériterait d’être épargné ! La loi naturelle, qui est l’autre nom de la loi de Dieu, est en permanence bafouée par une législation civile qui ne connaît d’autre règle que la satisfaction immédiate des désirs et des pulsions de chacun. Quant à l’Église, elle a fait depuis cinquante ans le choix de s’associer au monde dans une union sacrilège, dont les fruits vénéneux sont chaque jour plus apparents sous nos yeux : banalisation de l’homosexualité, silence sur les réalités du mariage, abandon de la prédication sur les fins dernières, autocélébration de l’assemblée en lieu et place du culte dû à Dieu, etc.

Un ultime avertissement ?

L’incendie de Notre-Dame de Paris, selon la volonté directive ou permissive de Dieu – nous laissons le pape François trancher –, frappe au cœur à la fois l’État français et l’Église. L’État, comme propriétaire du lieu. L’Église, comme affectataire du lieu de culte. Ultime avertissement à peu de frais avant des choses plus sérieuses ? Seul Dieu le sait. Ne l’oublions pas : notre Dieu est « un Dieu jaloux » (Ex, 34, 14) dont « on ne se rit pas, ce qu’on sème c’est aussi ce qu’on récolte » (Gal, VI, 7). Le « maître des horloges » a dû remettre sine die le beau discours qu’il avait consciencieusement préparé pour répondre à la « foule haineuse ». Mieux lotie, l’Église de France a touché du doigt qu’il restait encore un humus chrétien dans notre vieux pays, une braise sous la cendre qui ne demande qu’à illuminer de nouveau nos vies et nos patries.

Des foules jeunes et priantes se sont rassemblées pour des prières publiques dans les jours qui ont suivi l’incendie. « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » interrogeait le pape Jean-Paul II, le 1er juin 1980, à Paris ? Poser la question, c’est y répondre.

Ce n’est sans doute pas un hasard si ce tragique événement s’est déroulé au soir du Lundi saint, alors que les catholiques entrent dans la « semaine peineuse ». Dieu semble absent, vaincu. Nous sommes comme les apôtres dans la barque pendant la tempête ou les disciples sur la route d’Emmaüs. Mane nobiscum. « Restez avec nous car le soir approche et déjà le jour baisse » (Lc, 24,29), implorent les disciples s’adressant au Maître qu’ils n’ont pas encore reconnu. Ayant abandonné Dieu, notre monde a perdu sa boussole. Plus ou moins consciemment chrétiens et incroyants sentent bien que l’incendie qui a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris constitue une nouvelle atteinte aux liens de plus en plus ténus qui nous relient à la fois avec nos anciens, notre Histoire, notre civilisation et avec l’au-delà, le Ciel, le Salut. Ces liens qui nous rappellent que notre horizon ne se réduit pas à celui, un peu animal, d’être des consommateurs compulsifs.

La Semaine Sainte qui s’ouvre est l’occasion de renforcer ce lien, voire de le renouer.