SOURCE - Ouest France - 10/25 février 2019
Ils représentent une minorité de catholiques, mais sont actifs et convaincus. À Nantes, la Fraternité Saint-Pie X fait construire sa propre église, pour 2 millions d’euros.
Ils représentent une minorité de catholiques, mais sont actifs et convaincus. À Nantes, la Fraternité Saint-Pie X fait construire sa propre église, pour 2 millions d’euros.
Le chantier n’est pas banal. Rue François-Bruneau, quartier Saint-Félix, à Nantes, des ouvriers s’affairent à la construction d’une église. Avec son clocher à 22 mètres de haut, elle accueillera 400 personnes, comptera des salles de réunion et des bureaux pour les prêtres. Montant du projet : 2 millions d’euros. Un emprunt, mais aussi les dons des fidèles financent la construction de l’édifice. À la manœuvre : le Prieuré Saint-Louis, qui appartient à la Fraternité Saint-Pie X, c’est-à-dire les lefèbvristes (1). Des catholiques traditionalistes, en rupture avec l’Église.
Depuis les années 1980, à Nantes, ils prient à cet endroit. Mais l’ancienne usine transformée en chapelle subissait des infiltrations d’eau. « Le plafond est tombé trois fois », raconte l’abbé France. Et la communauté, qui dit compter 1 000 fidèles, se sentait à l’étroit. « On est en pleine explosion. D’une part, Nantes est une ville attractive. D’autre part, on voit un retour à la tradition de la part de fidèles catholiques. Par exemple, la soutane redevient tendance chez les jeunes prêtres. »
Qu’est-ce qui attire vers cette communauté, où la messe est célébrée en latin ? « C’est une église résistante aux modes » , confie par exemple Alexandra, une mère de famille qui aime le côté « intangible » , de la Fraternité Saint-Pie X. « Le bon Dieu n’a pas changé depuis 2 000 ans » , répète une autre fidèle, Jeanne, comme un slogan. Intégriste, cette communauté qui semble vivre dans le passé ? « Non, sauf à considérer que votre grand-mère l’était ! » , répond du tac au tac l’abbé France, dans un sourire. Un discours bien rodé : on le sent habitué à répondre à la polémique. « Les insultes, oui, ça arrive », admet-il.
La Fraternité reste en dehors de l’Église catholique. Mais pas totalement sans lien. Ainsi, lorsqu’il a fallu trouver un lieu de culte pendant les travaux, c’est le diocèse qui a dépanné. Il prête à la communauté la chapelle de l’Immaculée, derrière la cathédrale. « On a droit à deux messes le dimanche. » « On a posé ce geste fraternellement » , confirmait simplement, fin décembre, l’ancien vicaire général Benoît Bertrand.
Une situation qui devrait durer encore quelques mois : l’église de la rue François-Bruneau devrait être achevée pour Noël prochain. Son nom, lui, est déjà choisi : Saint-Emilien, qui mourut en combattant les Arabes au VIIIe siècle. Pour l’abbé France, « c’est normal de servir la mémoire d’un évêque nantais. En plus, sa fête tombe le jour de la Saint Pie ».
(1) Mgr Lefebvre fonde en 1970 la Fraternité Saint-Pie X, en réaction au concile Vatican II, qui modernise l’église au début des années 1960.
La requête contre l’église suspendue
Une requête avait été présentée auprès du tribunal administratif de Nantes, le 5 novembre 2015, pour faire annuler le permis de construire de l’église de la Fraternité Saint-Pie X, accordé quelques mois plus tôt par la mairie de Nantes.
Finalement, le riverain, qui avait engagé cette procédure, a vendu sa maison. Et a demandé, du même coup, la suspension de sa requête. Les nouveaux propriétaires disent avoir acheté leur demeure en connaissance de cause.
Saint-Pie V refuse le « modernisme » de toutes ses forces
Ils rejettent le dialogue interreligieux, l’avortement, la séparation de l’Église et de l’État… La communauté Saint-Pie V n’est pas seulement en dehors de l’Église catholique, elle la condamne. Un discours radical.
Il demande qu’on l’appelle « Monsieur l’abbé », plutôt que Monsieur tout court. « Cela fait partie des us et coutumes. Et je suis prêtre pour l’éternité. » Ordonné en 1977 par Mgr Lefebvre, l’abbé Guépin officie rue d’Allonville, à Nantes, dans la chapelle du Christ Roi. Un ancien hangar rénové par les fidèles il y a quelques années, qui peut accueillir 200 personnes au milieu d’une foule de statues de saints, face à un traditionnel autel en marbre. Une cérémonie a lieu chaque jour, ici. S’y ajoute, une fois par semaine, une messe à la Chapelle Notre-Dame des dons, à Treillières.
L’association Saint-Pie V, que préside l’abbé Guépin, évolue en dehors de l’Église catholique.« À ses yeux, je ne fais pas partie de la communauté des prêtres. Nous n’avons rien à voir avec l’Église actuelle , dit-il franchement. Les autorités enseignent une doctrine qui n’est pas celle de notre Seigneur. On fait figure de marginaux, mais ce n’est pas le nombre qui fait la vérité. Nous sommes le dernier bastion de résistance au modernisme. »
Prosélytisme
Ce qu’ils reprochent à l’Église ? Avoir fait évoluer la messe, dans les années 1960, avec une célébration centrée sur le partage du pain entre les fidèles et non sur le sacrifice du Christ. Ils rejettent aussi tout dialogue interreligieux, préférant l’époque de l’Église missionnaire. « L’œcuménisme est un scandale : cela met toutes les religions au même niveau, c’est se moquer de Dieu » , assène l’abbé Guépin. Si certaines de leurs idées les rapprochent de la fraternité Saint-Pie X, ils affichent une forme de jusqu’au-boutisme encore plus affirmé. « Eux reconnaissent la légitimité du clergé moderniste, pas nous. »
Ce rejet du « modernisme » revient sans cesse. Comme un leitmotiv, avec un prosélytisme non dissimulé. Et il s’étend au-delà des lieux de cultes. Pour l’abbé Guépin, « la société actuelle est décadente car elle ne s’appuie plus sur l’enseignement de l’Église » . L’association Saint-Pie V rejette par exemple la séparation de l’Église et de l’État, tout comme l’avortement, vu par l’abbé Guépin comme « un crime abominable » . Politiquement, elle affiche son « attachement à la monarchie catholique » : chaque année, en janvier, elle commémore le décès de Louis XIV, en lisant son testament.
L’abbé Guépin soupçonné d’abus de faiblesse
Une fidèle a remis tout son patrimoine à l’association cultuelle que dirige le prêtre. Celui-ci était, jeudi 7 février, à la barre du tribunal. Le jugement est en délibéré .
« J’ai eu beaucoup de donateurs (1). En quarante ans de sacerdoce, c’est la première fois que je suis mené au tribunal par une bienfaitrice. » En soutane et long manteau noir, l’abbé Guépin, 67 ans, garde cependant le visage serein tout au long de l’audience. Plus intégriste que les intégristes de la Fraternité Saint-Pie X, il dirige la communauté Saint-Pie V, basée à Nantes, rue d’Allonville.
Il est aussi le président « omniprésent, omnipotent » , selon le ministère public, de l’association cultuelle Lépante, laquelle recueille des dons pour subvenir aux besoins du clergé de la communauté. Parfois, en « exhortant à la bienfaisance » . Comme dans cette lettre de 2011, où il appelle ses fidèles à placer leur argent dans « la banque du Bon-Dieu » , afin d’acquérir la chapelle du Christ-Roi où s’exerce son ministère.
Sur le banc des victimes, une dame de 66 ans, décrite comme « passionnée » . Infirmière à la retraite, après une vie « mouvementée » , elle a pensé « trouver sa place » auprès de différentes communautés religieuses, qui l’ont déçue. Jusqu’à ce qu’elle rencontre celle de l’abbé Guépin, en 2011. Elle vient de faire un héritage important. Elle souhaite « faire vœu de pauvreté » , afin de « racheter ses péchés ».
En quête d’absolution, elle fait don, en plusieurs fois, de 345 000 € à l’association Lépante, puis d’un appartement qu’elle vient d’acheter, sur les conseils de l’abbé, tout près de la chapelle du Christ-Roi. Voulait-elle ainsi échapper au fisc, qui lui réclamait des impôts sur la plus-value d’actions vendues ? La question est posée. Mais la question est surtout de savoir si l’abbé a profité de la faiblesse de cette dame qui vit aujourd’hui dans un appartement qui ne lui appartient plus, avec une toute petite retraite. Et qui, un jour, s’est sentie flouée.
« Je lui ai dit que je ne pouvais recevoir ses vœux de pauvreté, affirme l’abbé, mais elle n’écoutait pas, elle fonçait. C’est elle qui commandait » . Il ne se sent donc nullement coupable. Cependant, il a omis de signaler, lors de la donation de l’appartement chez le notaire, qu’il avait déjà reçu un don.
Certes la victime « concourt elle-même à son propre sort » , admet le ministère public. Mais, elle est alors « dans une situation d’isolement » , aveuglée par « une idéologie enfermante » . L’abbé a su « cueillir le fruit » , estime le procureur qui réclame une « sanction symbolique » de dix-huit mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve. Décision le 4 avril.
(1) L’association Saint-Pie V ne reçoit aucune subvention et ne fonctionne donc qu’avec ses donateurs, réguliers ou occasionnels.
« Cette école va les élever vers Dieu »
« Cette école va les élever vers Dieu »
Ils vivent à Aigrefeuille-sur-Maine, dans un pavillon, au fond d’un petit lotissement des années 80. Isabelle Gravethe et son mari ont choisi de scolariser leurs trois filles dans une école hors contrat, catholique, dont la gestion est totalement autonome. Le cours Saint-Albert-le-Grand, appelé Le Rafflay, du nom du lieu-dit où les mères dominicaines prêchent la bonne parole aux enfants et jeunes filles du CP à la terminale. Une école de filles, 240 au total, située à trois kilomètres de celles des garçons de Saint-Martin de la Placelière, ouverte en 2012 à l’initiative de la Fraternité.
« C’est une école qui va les élever vers Dieu, raconte Isabelle Gravethe. Les mères dominicaines sont là pour nous aider. » Elle explique : « Leur enseignement est très complet. Et, sur le plan spirituel, nous n’aurions pas le temps de leur donner tout ce qu’elles reçoivent. » Car cette femme de 35 ans et son mari Etienne doivent faire bouillir la marmite. Entre leur boulot de clerc de notaire et de technicienne dans un bureau de maîtrise d’œuvre, ils auraient du mal à placer des cours de caté, véritablement approfondis, dans leur emploi du temps.
Au Rafflay, les élèves, qui sont tenues d’être vêtues d’une jupe et prient le matin avant les cours, ne subiront pas de « moqueries » liées à Dieu. Contrairement à l’école publique, où Isabelle Gravethe a étudié jusqu’à la 5e avant de rejoindre, elle aussi, une école hors contrat.« Dans les petites classes, je n’ai pas d’inquiétude. J’ai d’ailleurs toujours eu de bonnes relations avec les enseignants de l’école publique. Mais, en grandissant, on n’est pas du tout sur la même longueur d’onde. Étant catholique, nous n’avons pas la même vision de la vie. »
Qu’importe donc, le coût de la scolarité. 150 € par mois et par enfant. C’est le prix à payer. Comment réagirait-elle si l’une de ses enfants plaquait, adulte, la religion catholique ? « Chaque personne est libre. Je prierais pour qu’elles reviennent à Dieu. » Car, martèle-t-elle, « le but, c’est d’aller au Ciel » .