SOURCE - Lettre 209 de Paix Liturgique - 19 décembre 2009
« Conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle dans la Bible: c'est la priorité suprême et fondamentale de l'Église et du successeur de Pierre aujourd'hui. D'où découle, comme conséquence logique, que nous devons avoir à cœur l'unité des croyants. En effet, leur discorde, leur opposition interne, met en doute la crédibilité de ce qu'ils disent de Dieu. C'est pourquoi l'effort en vue du témoignage commun de foi des chrétiens - Par l'œcuménisme - est inclus dans la priorité suprême…( ) Si donc l'engagement ardu pour la foi, pour l'Espérance, et pour l'amour dans le monde constitue en ce moment (et, dans les formes diverses, toujours) la vrai priorité pour l'Église, alors les réconciliations petites et grandes en font aussi partie »
Benoît XVI
Benoît XVI a souhaité faire de l’unité dans l'Église catholique une priorité de son Pontificat.
En France, si l’opposition épiscopale à cette dynamique d’unité est bien réelle, il n’en demeure pas moins que la situation évolue et qu’il devient chaque jour un plus clair que l'Église de France, s'adaptant avec intelligence à la réalité du monde, va devoir faire sienne les intuitions de Benoît XVI et bâtir l’unité dans la pluralité.
Nous avons demandé à Christian Marquant, coordinateur du Mouvement pour la Paix Liturgique de nous faire part de ses réflexions.
Comment percevez-vous la situation actuelle ?
La situation est inespérée : pour la première fois depuis les bouleversements imposés brutalement au nom de « l’esprit du concile », il semble possible de se réconcilier au-delà des préférences liturgiques des uns et des autres.
Le Pape a levé les derniers obstacles - réels ou supposés - à la construction de l’unité entre les catholiques fidèles au Saint Père.
L’unité est donc de la responsabilité personnelle de chaque baptisé.
Les évêques et les prêtres portent chacun cette responsabilité en tant que Pasteurs.
Les fidèles – dont le Concile Vatican II rappelle leurs responsabilités dans l’Eglise – sont également concernés au premier chef par cette édification de l’unité.
Pour chaque d’entre nous, il s’agit finalement de se demander si nous voulons vraiment être fidèles aux engagement de notre foi en Jésus-Christ.
Concrètement qu'attendez-vous de nos Pasteurs ?
Honnêteté et réalisme !
L’idéologie est encore bien vivante dans une bonne partie de l’épiscopat français.
On continue globalement à y aborder la question de l’unité et celle de l’attachement des fidèles à la forme extraordinaire du rite romain avec aveuglement et langue de bois.
Il est plus que temps que nos évêques prennent conscience que de très nombreux fidèles souhaitent vivre leur foi catholique au rythme de la forme extraordinaire du rite romain.
Aussi difficile et crucifiante puisse être cette prise de conscience pour certains d’entre eux, ce préalable est indispensable.
Pour grand nombre d’évêques, « il n'y a pas de problème liturgique en France », « il n’y a pas de demande d’application du Motu Proprio », « la liturgie traditionnelle n’intéresse qu'un tout petit nombre de fidèles » ou bien encore « le Motu Proprio sert seulement à régler le problème avec les lefebvristes »…
Cette vision des choses est au mieux inexacte.
Les observations honnêtes de la réalité, le dialogue sur le terrain, les sondages d’opinion le démontrent depuis 40 ans : si un tout petit nombre de fidèles a fait entendre sa voix au cours des années de plomb contre les abus et les pseudo-interdictions de la messe traditionnelle, l'immense majorité de ceux qui pensaient comme eux, ont agit en Silencieux de l'Eglise et se sont tu. Ils ont continué à fréquenter leurs paroisses territoriales malgré leurs préférences fondamentales en matière catéchétique et liturgique. Cela, nous l’avons vérifié à chaque opération de sensibilisation dans les paroisses en parlant directement avec les fidèles et non avec ceux qui parlent en leur nom…
Avec la publication du Catéchisme de l'Eglise Catholique, la question du catéchisme a été presque totalement réglée, la question liturgique aurait du l'être avec la publication le 7 juillet 2007 du Motu Proprio Summorum Pontificum. Malheureusement, tel n’est pas encore le cas. Certes, tous les évêques ne s’opposent pas au Motu Proprio, loin de là, mais les plus favorables ont tendance à renforcer l’application du Motu Proprio de 1988 (concession de quelques lieux où est célébrée la messe traditionnelle) plutôt que d’appliquer purement et simplement le Motu Proprio de 2007 (célébration de l’une et l’autre forme du rite dans les paroisses, spécialement dans les grandes paroisses de ville).
Pensez-vous que la responsabilité de nos évêques soit engagée ?
La responsabilité de la plupart de nos évêques et d'une grande partie de leur clergé dans le drame que nous vivons est totale.
Dans une société hiérarchique comme est l’Eglise, les torts ne sont pas partageables de manière strictement identique.
Les détenteurs de l'autorité – c'est-à-dire ceux qui pourraient prendre des mesures concrètes pour arrêter l’apartheid liturgique et bâtir l’unité - doivent assumer la responsabilité de leurs prérogatives.
L'histoire qui les jugera sera probablement très sévère pour ces pasteurs. Le jour de leur mise en cause, il sera particulièrement difficile de leur trouver des circonstances atténuantes et de justifier leur manque d’amour, leur terrifiante lâcheté et plus encore, leurs compromissions et leur duplicité.
Il est probable qu’un jour leurs successeurs prononcent un discours de repentance un peu comme celui-ci… « devant l'ampleur du drame et le caractère inouï de l’apartheid liturgique qui fut le modèle pastoral de nos prédécesseurs, trop de pasteurs de l'Église ont, par leur silence, par leurs paroles et par leurs actes, offensé l'Église elle-même et sa mission. Aujourd'hui, nous confessons que ce comportement fut une faute. Nous confessons cette faute. Nous implorons le pardon de Dieu et lui demandons d'entendre cette parole de repentance ».
Quelles seraient les mesures à prendre pour instaurer une vraie paix ?
C’est très simple, il suffit de se mettre à l’école des Papes, de Jean Paul II qui nous montrait la voie hier et de Benoît XVI qui reprend courageusement aujourd’hui le flambeau. Il faut arrêter de vouloir avoir raison « contre le Pape » [Paul VI…].
Comme il faut bien commencer, un premier pas pourrait être de respecter les fidèles qui jusqu'à aujourd'hui sont méprisés, exclus, honnis et marqués du sceau de l'infamie car ils restent attachés à la Foi et à la pratique traditionnelles. Tant que ces fidèles seront pour les évêques, des « fidèles différents », des « chrétiens de seconde catégorie » ou tout simplement « un problème », l’édification de l’unité sera une fumeuse déclaration d’intention pleine d’hypocrisie.
Une mesure très simple et immédiatement envisageable serait de faire en sorte que les célébrations de la forme extraordinaire du rite romain déjà instaurées, deviennent respectueuses de la demande réelle des fidèles. Qu’est-ce à dire ? Il s’agirait tout simplement que ces célébrations aient lieu tous les dimanches et fêtes et non de manière irrégulière et à des horaires familiaux.
Ensuite, il faudrait que nos pasteurs - évêques et curés - répondent au moins loyalement aux demandes qui leur sont adressées, sans démoraliser les demandeurs ou tout faire pour ne pas accéder à leur demandes…
Enfin, il faudrait que nos curés anticipent les demandes « implicites » qu'ils savent exister dans leurs paroisses même si ces demandes de célébrations extraordinaires ne se sont pas formalisées publiquement.
Qu'appelez-vous « demandes implicites » ?
C’est la demande qui bien que non matérialisée par une lettre ou issue d’un groupe non structuré n’en est pas moins réelle.
La demande implicite est celle que nous entendons à chaque fois que nous allons dans les paroisses et discutons avec les fidèles.
Paix liturgique a fait réaliser depuis 2002, quatre sondages scientifiques réalisés par des instituts reconnus, professionnels et indépendants (2001 SOFRES, 2006 CSA, 2008 CSA, 2009 Versailles) qui fournissent à tous les hommes de bonne volonté, et même aux journalistes que cela intéresserait, des informations concordantes lourdes de conséquences : Au moins un quart des catholiques français préféreraient vivre leur foi au rythme de la forme liturgique que l'on appelle aujourd'hui « forme extraordinaire » et une moyenne de 66 % sont tout à fait d'accord pour que leur paroisse propose un bi-formalisme liturgique aux fidèles. 34 % des catholiques pratiquants – un tiers – assisteraient volontiers à la messe sous la forme extraordinaire si elle était célébrée dans leurs paroisses.
Ne chipotons pas sur les chiffres qui d'ailleurs n'ont jamais été contestés. Peut-être ici ou là, les fidèles sont-ils encore plus nombreux ou bien ne représentent que 20 % de l'ensemble au lieu de 34 % (sondage national CSA ou sondage dans le diocèse de Versailles)... mais convenons que dans tous les cas de figure, contrairement aux affirmations assénées par les ennemis de la paix, les fidèles qui désirent que soit célébrée la messe traditionnelle dans leurs propres paroisses sont très nombreux.
Donc les demandes formalisées ne donnent pas un état exact du souhait des fidèles ?
Effectivement, les demandes exprimées formellement ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
Les sondages successifs indiquent clairement que dans tous les diocèses, dans toutes les paroisses, que des demandes formelles soient exprimées ou non, de nombreux fidèles silencieux, parfois muets, souvent menacés, quelquefois même atteints du syndrome de Stockholm, désirent vivre leur foi catholique au rythme de la forme extraordinaire du rite romain. Il me semble qu’au vu de ces chiffres, corroborés par les proportions entre séminaristes pour la forme ordinaire et séminaristes pour la forme extraordinaire, tout évêque conscient de ses devoirs de pasteur devrait, de lui-même, instaurer, pour donner l’exemple, une messe dominicale de forme extraordinaire dans sa cathédrale : un tiers de ses diocésains le désirent !
La demande de célébration de la messe dans la forme extraordinaire dans les paroisses ne va-t-elle pas contre le développement et l’utilité même des Communautés « Ecclesia Dei » ?
Pas du tout.
Il faut être réaliste et conscient qu'il faudra beaucoup de temps pour parvenir à la réconciliation dans toutes les paroisses. Il existe par exemple encore en 2009 13 départements français où la forme extraordinaire du rite romain n'est pas célébrée et 16 départements où la forme extraordinaire du rite romain n'est pas célébrée chaque dimanche.
Par ailleurs l’effondrement du nombre de prêtres diocésains en fonction - même si une part importante de ceux-ci célébrera probablement demain la forme extraordinaire - fera que de plus en plus d'évêques n’auront d’autre choix que de s'adresser à des communautés « Ecclesia Dei » pour assurer dans leurs diocèses, ou sein des paroisses, des missions qu'ils n'ont plus les moyens humains d'assumer (présences sacerdotales, écoles, aumôneries scoutes….), cela se fait déjà heureusement dans plusieurs diocèses français.
Enfin il faut prendre en compte les charismes particuliers et la spiritualité propre de ces communautés « Ecclesia Dei ».
Ces communautés gardent un rôle de première importance dans la construction de l’unité. Elles ont un rôle de référence. Les communautés « Ecclesia Dei » nous tirent vers le haut et jouent un rôle d’aiguillon dans la mise en œuvre du Motu Proprio Summorum Pontificum en assurant par exemple l’intégralité des offices - même lourds ou compliqués comme ceux des grandes fêtes ou de la semaine sainte – en assurant la formation des séminaristes ou la formation continue du clergé à qui elle apprend à célébrer la forme extraordinaire, en formant des laïcs « spécialisés » (chorale, service de l'autel…).
Finalement, les communautés « Ecclesia Dei » ne font pas autre chose que de jouer à leur place et avec leur charisme propre, le rôle que d'autres ont depuis des siècles dans d'autres domaines ou avec d'autres charismes joué dans l'Église : les Bénédictins pour la contemplation, les dominicains pour la prédication ou l’étude, les franciscains pour l'action missionnaire ou tant d'autres spécialisés dans l'éducation ou les œuvres de retraites…
Donc les Communautés « Ecclesia Dei » ont un avenir ?
La paroisse est la structure traditionnelle de l'Église. L’avenir de la célébration de la forme extraordinaire du rite romain est nécessairement paroissial. C’est le meilleur moyen d’ailleurs pour que ce trésor liturgique ne soit pas celui d’une minorité parquée dans des réserves indiennes mais soit redonné à toute l'Église universelle. C’est également le sens du Motu Proprio me semble-t-il.
Pour autant, ce sens de l’histoire ne va pas contre le développement des Communautés « Ecclesia Dei ».
La structure paroissiale n’a jamais empêché le développement des multiples maisons et congrégations religieuses qui avec leurs spécificités propres ont toujours concouru à la mission de l'Église. L’unité n’est pas l’uniformité.
Au cours des prochaines décennies, tout l'enjeu va être de refermer les plaies et d'apprendre à travailler ensemble dans le cadre de l'institution ecclésiale et hiérarchique de l'Église locale.
Que dans cette perspective chacun ait ses préférences est parfaitement légitime.
Tout cela doit se faire avec réalisme et charité, dans la confiance retrouvée et la vraie paix. Voilà ce à quoi nous aspirons. Voilà ce que nous supplions nos évêques de faire.