« J’aime la bataille». » L’aveu, accompagné d’un petit sourire gourmand, ne surprend pas de la part de ce colosse en soutane dont le nom, en breton, signifie « feu et fer ». « Je ne me serais pas engagé dans le sacerdoce si l’Église avait été au plein de sa forme avec un curé et cinq vicaires dans chaque paroisse. » A 44 ans, Guillaume de Tanoüarn est l’une des figures les plus saillantes du traditionalisme français, canal Institut du Bon-Pasteur (IBP). Érigé en septembre 2006, l’Institut a permis à certains intégristes de la Fraternité Saint-Pie X de feu Mgr Lefebvre de rallier en douceur le giron romain tout en conservant le droit de célébrer la messe exclusivement selon le rite ancien. Après le Motu proprio (décret) papal de juin dernier qui a ouvert les vannes pour l’ancienne liturgie, les membres de l’IBP apparaissent donc aujourd’hui comme la pointe avancée du traditionalisme au sein de l’Église. Leurs séminaristes sont sur les starting-blocks. Ils se préparent à Courtelain, dans le diocèse de Chartres. L’abbé de Tanoüarn, quant à lui, dirige le Centre culturel chrétien Saint-Paul, à Paris, où l’on célèbre la messe selon l’ancienne liturgie – « cinq messes tous les dimanches », annonce-t-il fièrement – et où se tiennent aussi des cycles de conférences. C’est l’intellectuel de la bande. Il vient d’ailleurs de soutenir avec succès sa thèse de doctorat en philosophie. à Lyon III, université publique. « Difficile pour moi de soutenir une thèse dans un institut catholique français, précise-t-il, je n’aurais pu m’y inscrire que moyennant une recommandation épiscopale qu’il m’était impossible d’obtenir. » Pourquoi ce Parisien a-t-il choisi Lyon III ? Est-ce parce que l’accueil y est réputé plus doux qu’ailleurs pour les sensibilités (très) droitières ? « Cela n’a rien à voir. Mon directeur de thèse, Bruno Pinchard, enseignait à Tours et il a été nommé à Lyon III. Il est le seul grand spécialiste en France de Cajetan. » (1)
Inquiétant
La culture de l’abbé de Tanoüarn, son habileté à manipuler les idées et son goût de l’affrontement inquiètent toujours un peu les interlocuteurs qui ne font pas partie de son fan-club, lequel demeure restreint mais fervent. Du côté des catholiques conciliaires français, on le considère généralement comme un idéologue dangereux, connu notamment pour ses attaques contre l’épiscopat. On ne lui adresse pas la parole – en tout cas pas publiquement. « Je cherche des interlocuteurs parmi les prêtres du diocèse de Paris. Je n’en ai pas vraiment encore trouvé », regrette-t-il. Il salue cependant « le courage » de certains laïcs, comme le journaliste Jean-Pierre Denis. Le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire La Vie, qui avait pourtant réagi vivement à l’annonce de la création de l’IBP, avait accepté en novembre 2006 de participer à une table ronde organisée à la Mutualité par l’abbé de Tanoüarn autour du thème « La Tradition, notre bien commun ». L’abbé lâche cependant son diagnostic : « La liberté intellectuelle au sein de l’Église de France n’existe pas vraiment. La force inattendue de certains traditionalistes, c’est qu’ils pourraient apporter une liberté intellectuelle bien plus grande que celle qui règne aujourd’hui dans les séminaires ou dans un diocèse comme celui de Paris. » Le ton est donné. Chez les intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, au sein de laquelle il a été ordonné prêtre en 1989 et dont il a longtemps été un des principaux idéologues, il compte encore de nombreux amis mais est désormais officiellement considéré comme un traître à la cause (comme tous ses collègues de l’IBP), voire – défense de rire – comme un libéral !
Condamnations
Il nous a donné rendez-vous au café Le Croissant, rue Montmartre, dans le IIe arrondissement de Paris. « Vous savez : là où a été tué Jaurès »… Une petite taquinerie de la part de ce maurrassien proclamé, qui s’avoue à la fois surpris, intéressé et « amusé » à l’idée de répondre aux questions de TC. « Pour travailler à Témoignage chrétien aujourd’hui, il doit falloir être militant. J’aime ça, j’aime l’engagement. » Il se souvient toutefois d’un article publié dans nos colonnes il y a quatre ans (2), qui rapportait ses déboires judiciaires. Directeur de publication de la lettre mensuelle Pacte, il avait été condamné pour provocation publique à la haine raciale par le Tribunal de grande instance de Paris pour avoir publié un texte de Claude Rousseau (lui aussi condamné), dans lequel cet ancien maître de conférence à la Sorbonne expliquait que les financiers transnationaux (juifs) finançaient l’immigration musulmane afin de miner la France… Visiblement gêné par cette sale affaire, il explique aujourd’hui avoir été « pris dans une tempête qu’(il) regrette beaucoup » : « J’ai bêtement passé ce texte. J’ai objectivement fait une bourde, mais qui ne saurait me définir. Je m’oppose absolument à quelque forme que ce soit de racialisme ou même de communautarisme. » Soit.
Certitudes
Pacte n’était qu’une sorte de publication annexe d’une autre revue, Certitudes (aujourd’hui Objections, qui tire à 2 000 exemplaires), dont le titre est tout un programme. « C’est un mot qui claque comme une bannière, qui est terriblement provocateur pour l’époque. Je pense vraiment que l’homme manque dramatiquement de certitudes et qu’il en a besoin. » Feuilleter Objections aujourd’hui permet de se faire une petite idée de l’univers mental dans lequel évoluent Guillaume de Tanoüarn et ses amis. Le dernier numéro, par exemple (juillet 2007) : on y trouve – c’est la moindre des choses – un compte rendu élogieux du Jésus de Nazareth de Benoît XVI (« Une des plus belles introductions au christianisme que je connaisse », écrit l’abbé de Tanoüarn) ; une critique attendue, en ces temps d’offensive spiritualiste dans les sciences, de la théorie darwinienne de l’évolution ; une dissertation pointilliste sur les limites (évidemment) de l’autorité de Vatican II ; et un grand dossier d’analyse politique autour de l’élection présidentielle. C’est à Alain de Benoist, tête pensante d’une Nouvelle Droite désormais un peu fatiguée, qu’échoit bizarrement le rôle de grand témoin. On n’attendait pas forcément le chef de file de la droite « païenne » (pour simplifier) dans une revue catholique ultra. Mais le petit monde de l’extrême droite intello sait se retrouver par-delà les clivages. Ce dernier numéro d’Objections l’illustre assez bien, qui nous parle encore du publiciste antirévolutionnaire Joseph de Maistre, de l’écrivain monarchiste Charles Maurras, du juriste catholique et nazi Carl Schmitt ou encore du talentueux romancier frontiste A.D.G. On peut aussi noter que l’abbé de Tanoüarn fait partie des associés qui, en 2000, ont créé la société qui s’est portée acquéreuse deux ans plus tard de l’hebdomadaire Minute, fleuron de la presse d’extrême droite décomplexée. « J’ai rendu service à un ami. »
Initiation et exclusion
Guillaume de Tanoüarn, rejeton d’une vieille famille de petits hobereaux bretons, a rencontré la tradition liturgique ancienne dans ses années lycéennes à Rueil-Malmaison (Yvelines), par l’intermédiaire du Mouvement de la jeunesse catholique de France (MJCF). « Mes parents étaient des catholiques conservateurs, mais pas traditionalistes. La découverte de la liturgie traditionnelle m’a révélé une dimension sacrée que je n’avais jamais sentie auparavant. J’ai aussi compris que la messe était un sacrifice. » Le jeune Guillaume commence à sérieusement penser au sacerdoce. Pas n’importe où, bien sûr. Il s’inscrit en Lettres à la Sorbonne et suit en parallèle les cours de l’institut universitaire de la Fraternité Saint Pie X. « Je voulais m’initier au thomisme », explique-t-il sans rire. Puis c’est le séminaire lefebvriste d’Écône (Suisse) en 1983, et l’ordination six ans plus tard. Il part deux ans au Gabon et revient en France. Il devient vite une figure du mouvement intégriste français. Mais il est de ceux qui vont soutenir l’abbé Laguérie dans la petite crise qui agite la Fraternité en 2005. Le voilà donc exclu, avec quelques autres. Il retombe bien vite sur ses pattes avec la décision de Rome en septembre 2006 de créer l’Institut du Bon-Pasteur.
Dialectique
L’abbé de Tanoüarn développe un art consommé de la rhétorique sur les sujets religieux sensibles. Maintenant qu’il est officiellement rallié à Rome, il joue sa partition de manière plus mesurée, presque ratzingerienne. « Nous devons être capables de reconnaître la légitimité de la messe rénovée. Les traditionalistes sont allés trop loin souvent dans l’exclusion, surtout en parole. » Bigre ! « Il faut reconnaître que le rite de Paul VI est essentiellement valide tout en reconnaissant que nous avons des critiques à lui faire dans l’idée d’une réforme de la réforme. » On se disait bien… Notre abbé ne rejette pas explicitement Vatican II, mais dénonce l’aspect « fuligineux » (sic !) de certains textes. Il ne conteste pas non plus clairement la possibilité de faire évoluer le dogme et la liturgie, mais il réclame immédiatement une « ligne et une constance qu’on trouve avant tout dans les mots de la foi auxquels il faut rester fidèle. » Il réussit même à se poser comme plus moderne que les modernes en expliquant que certains textes de Vatican II sont aujourd’hui dépassés. « L’optimisme qui prévalait dans les années soixante et qui imprègne Vatican II n’est plus le nôtre. Plus généralement, l’idée qu’en expliquant les choses, on peut les faire admettre est dépassée. Notre époque est fondamentalement pessimiste, travaillée par le problème du mal. C’est ce qui fait toute la relativité des textes de Vatican II. » Pour être modernes, soyez tradis ! Les intégristes connaissent eux aussi la dialectique… On lui demande s’il n’est pas gêné par le caractère politiquement et sociologiquement très homogène du milieu traditionaliste. Le voilà qui baisse le regard, acquiesce, puis soupire. « C’est vrai, il y a un problème. » On attend l’ouverture. Raté : « Ce repli qui peut paraître sociologique s’explique par des raisons historiques, mais il est aussi largement dû aux évêques. ». Aïe ! « Ils nous empêchent pour l’instant d’exercer un apostolat paroissial normal. Je suis preneur d’une église dans un quartier difficile. » Avouons-le : la perspective de voir les prêtres de l’Institut du Bon-Pasteur débarquer dans les quartiers chauds de la Grande Borne ou de Clichy-sous-Bois pour proposer à leurs habitants la messe tridentine et les évangéliser à coups de conférences sur la théologie thomiste nous met déjà en joie.
1. Théologien et philosophe, grande figure du thomisme catholique (1469-1534). L’Histoire a surtout retenu de lui ses affrontements théoriques avec Luther.
2. « Fraternité en flagrant délit de haine raciale », voir TC 3075 du 25/09/03 |