27 octobre 2007





Que se passe-t-il chez les Scouts d’Europe ?
27 octobre 2007 - L’Homme Nouveau - Philippe Maxence - mis en ligne par leforumcatholique.org
Que se passe-t-il chez les Scouts d’Europe ? L’Homme Nouveau n° 1407 du 27 octobre 2007
Philippe Maxence

Le centenaire du scoutisme (1907-2007), qui a été propice à plusieurs signes de fraternité scoute, va-t-il se terminer par une nouvelle division au sein même du scoutisme catholique français ? Pour surprenante qu’elle soit, cette question est, malheureusement, à poser. Avec clarté et dans l’espoir qu’une solution soit trouvée.
Tout commence avec la publication du Motu proprio Summurom pontificum de Benoît XVI en juillet dernier. Le centenaire du scoutisme bat alors son plein et les unités sont parties rejoindre leurs lieux de camps. On ne refera pas ici l’historique du Motu proprio, de son attente, des discussions, polémiques et pressions auxquelles il a donné le jour. Si beaucoup de catholiques français ne se sentent pas directement concernés par ce texte, en revanche, il suscite chez d’autres une véritable espérance. Ces derniers sont-ils tous des intégristes, rancis par les combats, aigris par l’âge et désireux d’en découdre une dernière fois en criant: « Victoire »?
Le chemin de l’unité
L’image est commode. Elle est même facile ! Est-elle, pour autant, vraie ? Il existe certes une infime minorité qui pourrait être dépeinte par cette caricature.
Pour le reste, en revanche, le geste du Pape marque surtout le changement d’une époque et la possibilité de vivre en paix à l’intérieur de la réalité visible de l’Église : paroisses, mouvements, diocèses. Pour ces catholiques – et nous en sommes – le geste du Pape, loin d’élever une nouvelle barrière entre frères, va permettre de retrouver le chemin de l’unité et de la paix. Nous serionsnous trompés? Avons-nous rêvé ?
Dans ce contexte ecclésial et liturgique, pourquoi évoquer le scoutisme ? Tout simplement parce que l’un des principaux mouvements de scoutisme catholique, l’Association française des Guides et Scouts d’Europe, est directement touché par la question liturgique. Pratiquant un scoutisme classique, fondé sur le système des patrouilles pour la branche éclaireur, les Guides et Scouts d’Europe ont derrière eux un passé qui fait foi de leur réussite. Des milliers de membres, des centaines de vocations sacerdotales et religieuses sorties de leurs rangs et, moins connu du grand public, un approfondissement constant de la pédagogie scoute, toutes branches confondues, qui permet à ce mouvement de réussir la gageure d’être à la fois traditionnel dans ses principes et adapté au besoin de la jeunesse d’aujourd’hui. Cette réussite, l’aura du mouvement, son histoire, ont fait et font que les parents sont souvent attirés avec confiance par les Guides et Scouts d’Europe, dont l’ancrage catholique est par ailleurs incontestable.
Responsabilité historique
Ce panorama rapide implique-t-il que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes du scoutisme européen ? Non, bien sûr ! Comme toute institution humaine, les Guides et Scouts d’Europe ont eu affaire à des conflits internes, à des luttes d’intérêt, à des divisions. L’âme de ce mouvement, Pierre Géraud-Keraod, en fut même évincé. Ces luttes intestines, malheureuses en soi, ne sont que le reflet de l’humaine condition depuis le péché originel. Au passage, cassons d’ailleurs un mythe : le scoutisme n’a jamais été vraiment uni. Son fondateur, Robert Baden-Powell, a connu deux ans après le lancement de son mouvement en Angleterre une première et importante scission. Elle faillit emporter sa propre association. Une deuxième scission, moins importante en nombre mais plus grave sur le fond, devait le menacer à nouveau quelques années plus tard (1). Les querelles au sein du scoutisme n’ont donc rien de nouveau. Les Guides et Scouts d’Europe n’y échappent pas ! On leur reproche également, au contraire de leurs cousins les Scouts unitaires de France, une grande lourdeur hiérarchique. Les décisions partent du haut de la hiérarchie et se répercutent à chaque échelon. Le contraire du principe de subsidiarité ! Dans les moments troubles des années soixante-dix et quatre-vingt, ce type d’organisation a permis pourtant de maintenir la cohésion et la cohérence d’une organisation attaquée de toutes parts.
Mais les conflits rebondissent aujourd’hui après la parution en date du 9 octobre dernier d’une importante décision du mouvement (nous publions les documents page 13 de ce numéro). Signé par les plus hautes autorités, ce document stipule que la forme ordinaire du missel est la seule autorisée par l’Association française des Guides et Scouts d’Europe, en ce qui concerne les activités scoutes, que seuls les conseillers religieux (aumôniers) « qui célèbrent habituellement selon la forme ordinaire du missel » sont autorisés et que « la création d’un nouveau groupe se fait autour de la pédagogie scoute et non d’une spécificité liturgique ». C’est clairement refuser la possibilité à des groupes scouts de profiter de la pédagogie éprouvée des Scouts d’Europe tout en vivant selon l’esprit de Summorum pontificum du pape Benoît XVI.
Les Guides et Scouts d’Europe ont pris là une responsabilité importante qui ne va qu’accroître la division au sein du scoutisme, et plus grave, au sein du catholicisme français. L’Association française avait pourtant un rôle historique à jouer à cet égard. Rôle qu’elle était à peu près la seule à pouvoir assumer en tout équilibre.
D’après nos informations, cette décision a été encouragée par une partie de l’épiscopat français qui vit mal les décisions du Pape en matière liturgique. Le texte des Guides et Scouts d’Europe a d’ailleurs été approuvé par Mgr Rivière, président de la Commission épiscopale pour la Pastorale des enfants et des jeunes. Cette grave décision voit également le jour alors que les tensions montent entre l’Union Internationale des Guides et Scouts d’Europe (UIGSE) et l’Association française qui en est membre. Là encore, d’après nos informations venant de sources diverses, l’été a représenté un tournant dans les relations entre l’Union internationale et l’Association française. Lors de l’Euro-Moot, rassemblement de la branche aînée du mouvement, venue de tous les pays appartenant à l’Union internationale, une messe en rite gréco-catholique était prévue. L’un des buts des organisateurs était de montrer que l’Église en Europe respire avec deux poumons, selon la belle expression de Jean-Paul II. Cette messe gréco-catholique devait illustrer le poumon oriental avant qu’une autre grand-messe, en rite latin, selon la forme ordinaire, incarne la même chose pour le poumon occidental. Toutes les associations nationales des Guides et Scouts d’Europe assistèrent à cette messe grécocatholique sauf les Français. La raison qui aurait été invoquée: en permettant d’assister à cette messe, les responsables auraient donné acte à la pluralité liturgique et auraient offert ainsi un argument en faveur des groupes désireux de bénéficier de la forme extraordinaire du rite latin, pourtant autorisée par le Pape.
L’affaire éclate à Toulon
Sans qu’il y ait de rapport direct, l’affaire franchit une nouvelle étape quand, à la rentrée, soutenu par son évêque, l’abbé Loiseau, curé de la paroisse personnelle de rite traditionnel Saint-François-de-Paule à Toulon et supérieur des Missionnaires de la Miséricorde Divine, demande l’agrément des Guides et Scouts d’Europe pour le lancement d’une meute. Celle-ci serait confiée à un jeune séminariste, lui-même ancien scout d’Europe dans les Yvelines. Le commissaire de district, plein de bonne volonté, donne son accord avant de devoir transmettre à l’abbé Loiseau le refus du commissaire général, Jean-Michel Permingeat. Une rencontre entre ce dernier et l’abbé Loiseau devait surseoir à la décision, jusqu’à la publication du texte du 9 octobre. De ce fait, la réponse était définitivement négative. Elle l’était pour l’abbé Loiseau, mais aussi pour d’autres groupes qui voulaient aussi rejoindre les Scouts d’Europe comme c’est le cas, par exemple, à Toulouse.
Entre la demande de l’abbé Loiseau et la réponse négative des Scouts d’Europe était pourtant paru un texte important, émanant de l’Union Internationale des Guides et Scouts d’Europe et signé du commissaire fédéral, Jacques Mougenot (cf. p. 13). Dans ce texte, endatedu 25 septembre, l’Union internationale explique qu’il faut recevoir filialement les décisions du Saint-Père et les appliquer. Le texte précise deux choses importantes. La première a une répercussion philosophique dans la mesure où elle touche la conception que l’Union internationale se fait du scoutisme au regard des parents. C’est un rôle auxiliaire et complémentaire. Le scoutisme ne dicte pas une attitude aux parents mais entre en conformité avec leur volonté éducative dès lors que celle-ci est en harmonie avec les principes du droit naturel et chrétien ainsi qu’avec les règles de l’Église. De ce fait, l’Union internationale stipule que « S’agissant de questions liturgiques, est légitime tout rite dûment approuvé par le Siège apostolique ; il convient de veiller à ce que les enfants et les jeunes qui nous sont confiés bénéficient, dans les cérémonies auxquelles ils participent lors des activités scoutes, de liturgies conformes aux textes approuvés par les pasteurs de l’Église, dignes, priantes et conformes à la tradition et au rite dans lesquels les parents, premiers éducateurs de nos scouts, ont choisi de les élever ».
Deuxièmement, en conformité avec les règles de fonctionnement du mouvement, il est précisé que « Chaque association (nationale membre de l’UIGSE, NDLR) est tenue de se conformer à cette mise au point ». Pour autant, l’Union internationale ne fait pas de la forme extraordinaire du rite latin la forme habituelle du mouvement. Celle-ci reste la forme ordinaire, notamment pour les rassemblements internationaux.
Pourquoi ?
Pourquoi l’Association française a-t-elle décidé de faire cavalier seul, au risque de provoquer plusieurs ruptures ? Une rupture interne avec ses membres ne comprenant pas une telle décision. Une rupture avec l’Union internationale qui a édicté des règles contraires. Et, enfin et surtout, une rupture avec la volonté du Pape. L’Association française des Guides et Scouts d’Europe argumente à ce sujet en disant qu’elle est fidèle à l’enseignement de Vatican II et au magistère, qu’elle respecte la volonté des parents choisissant d’élever leurs enfants dans la forme extraordinaire mais qu’elle leur offre en contrepartie « la possibilité de découvrir la beauté et la sainteté du missel de Paul VI ». Surtout, l’association avance qu’en tant que mouvement, elle n’est pas concernée par le Motu proprio Summurom pontificum.
Seules les paroisses le seraient. Or, tel n’est pas tout à fait le cas. Le Motu proprio s’adresse d’abord aux prêtres et aux fidèles, et seulement ensuite aux paroisses. Comme le remarque l’abbé Loiseau, « une association publique de fidèles concernée par cette réalité ne peut s’exclure de son champ d’application » (cf. p. 13). Encore une fois, la question s’impose : pourquoi l’Association française prend-t-elle le risque de tant de ruptures ? Une solution simple aurait été d’édicter, en conformité d’ailleurs avec les décisions de l’Union internationale, que la forme ordinaire était la forme habituelle au sein du mouvement, que les groupes vivant selon la forme extraordinaire étaient les bienvenus à condition qu’ils vivent selon les règles du mouvement et que notamment pour les grands rassemblements, pèlerinages de district, journées nationales ou autres, ils acceptent de suivre les cérémonies selon la forme ordinaire. Impossible ? Les quelques groupes subsistant ayant des aumôniers célébrant selon la forme extraordinaire agissent ainsi aujourd’hui. Prétendre que le mouvement aurait été submergé par des demandes, c’est jouer à contre-argument. Si c’était vraiment le cas, cela donnerait une raison de plus d’appliquer le Motu proprio au sein du mouvement. Mais il n’est pas insensé de penser que cette question ne concerne pas la majorité des groupes scouts. Accueillir ceux qui veulent vivre de la liturgie ancienne, autorisée par le Pape, aurait été un facteur d’unité et de paix.
Abus de pouvoir
Le plus grave ne se situe pourtant pas ici. En stipulant que les « unités du mouvement doivent être accompagnées par des conseils religieux qui célèbrent habituellement selon la forme ordinaire du missel », l’Association française se substitue au libre choix du prêtre et au rôle de l’évêque. Concrètement, cela veut dire qu’actuellement les prêtres qui célèbrent habituellement dans leur apostolat la forme extraordinaire mais qui acceptent au sein des unités scoutes de célébrer la forme ordinaire ne pourront plus être conseillers religieux. Plusieurs prêtres, théologiens et canonistes consultés parlent ici d’abus de pouvoir (cf. p. 13).
Une nouvelle fois : pourquoi ce risque de rupture à un moment où le Pape offrait la possibilité de reprendre le chemin de l’unité et de la paix comme en témoignent ces prêtres de paroisse qui célèbrent selon les deux formes du rite latin ? Un exemple impensable voici plusieurs années et qui montre pourtant qu’au sein de l’Église il est possible de dépasser le réductionnisme des étiquettes faciles, des clivages historiques dès lors que l’on veut servir Jésus-Christ et son Église.
Des raisons multiples
Pression de certains évêques, incompréhension de la part de certains responsables français du scoutisme européen de la volonté du Pape, peur injustifiée d’une mauvaise image de marque, les raisons sont multiples qui semblent expliquer le choix actuel des Scouts d’Europe. Une autre raison tient peut-être au fait que l’Association française a décidé de travailler à la constitution éventuelle d’une fédération de scoutisme catholique avec les Scouts unitaires et les Guides et Scouts de France. Selon la confidence d’un responsable, ces derniers auraient indiqué que le Motu proprio était un non-évènement. Est-ce un tel avis qui a influencé les Guides et Scouts d’Europe ? On comprend leur volonté de participer à l’unité du scoutisme en France, comme le leur a d’ailleurs demandé le Saint-Père le 25 juin dernier. Pour autant, ce but, noble en lui-même, reste subordonné à l’unité dans l’Église.
C’est pourquoi nous formulons le vœu, comme catholiques français, et à titre personnel comme ancien scout d’Europe, que l’Association française reconsidère cette décision. Pour la paix et l’unité dans l’Église. Pour le bien des enfants. Pour l’avenir de notre pays. Par respect filial pour les décisions du Saint-Père.

1. Philippe Maxence, Baden-Powell, éclaireur de légende et fondateur du scoutisme, Perrin, 396 p., 22,50 euros
Sur le Motu proprio Summorum pontificum, lire la brochure éditée par L’Homme Nouveau, Autour de Summorum pontificum, 48 p., 6 euros.