7 avril 2013

[Sandro Magister - Chiesa (blog)] Peu de surprises. François est comme ça

SOURCE - Sandro Magister - Chiesa (blog) - Traduction par Charles de Pechpeyrou - avril 2013
Les premiers actes du nouveau pape réexaminés à la lumière de son autobiographie. Les motifs de son silence en ce qui concerne les questions qui opposent le plus l'Église aux puissances profanes: naissance, mort, famille, liberté religieuse

ROME, le 3 avril 2013 – Sauf en Argentine, très peu de textes de Jorge Mario Bergoglio avaient été publiés avant qu’il ne soit élu pape.

Mais actuellement les traductions de ses écrits, de ses discours, de ses interviews, se multiplient rapidement. Et ils aident à rendre moins surprenants les gestes du pape François.

Voici donc quelques-unes de ces "surprises", petites ou grandes, qui cependant n’apparaissent plus comme telles lorsqu’on les examine à la lumière de son autobiographie, qui a été publiée en 2010 en Argentine sous forme d’un livre-interview réalisé par Sergio Rubin et Francesca Ambrogetti, intitulé "El Jesuita", et qui est maintenant également en vente dans d’autres pays, au nombre desquels l'Italie.

UN PAPE QUI NE CHANTE JAMAIS

C’est vrai, le pape François aime écouter de la musique mais il ne chante pas, ni au cours des messes solennelles ni lorsqu’il donne sa bénédiction. On dit que les jésuites "non rubricant nec cantant", c’est-à-dire qu’ils n’aimeraient ni les cérémonies ni le chant. Mais l’explication est plus simple.

Il a contracté, quand il avait 21 ans, une très mauvaise pneumonie et "on lui a retiré trois kystes en pratiquant l'ablation de la partie supérieure de son poumon droit. Il lui est resté de cette expérience une déficience pulmonaire qui, bien que ne le handicapant pas gravement, lui fait sentir ses limites humaines".

Par conséquent, s’il ne chante pas, c’est tout simplement parce qu’il n’a pas suffisamment de souffle pour le faire, comme on peut s’en douter en l’entendant parler, le souffle court et à voix basse. De toute façon, il a avoué : "Je chante complètement faux".

UN PAPE QUI NE PARLE QUE L’ITALIEN

Effectivement, il parle bien l’italien. D’autre part il comprend également le dialecte piémontais, que sa famille parlait à l’origine. Mais "en ce qui concerne les autres langues – a-t-il reconnu dans son autobiographie – je devrais dire non pas que je les parle mais que je les parlais, parce que je manque de pratique. Le français, je le parlais plutôt bien et, pour ce qui est de l’allemand, je me débrouillais. La langue qui m’a posé le plus de problèmes a toujours été l’anglais, surtout en ce qui concerne la phonétique".

C’est un fait que, en renonçant à parler d’autres langues que l’italien, Bergoglio semble avoir décidé de sacrifier – en public – même sa langue maternelle, l’espagnol.

À Pâques, il a également renoncé aux vœux immanquablement présentés en 65 langues par les papes ses prédécesseurs.

UN PAPE QUI VEUT TOUT FAIRE LUI-MÊME

Au Vatican, il a été contraint par la force des choses à prendre un secrétaire. Il s’agit du Maltais Alfred Xuereb, qui était précédemment le second assistant de Benoît XVI. À Buenos Aires aussi, il avait une secrétaire, mais c’est lui qui gérait ses rendez-vous, c’est lui qui les notait sur son agenda de poche dont il disait : "ce serait une véritable catastrophe si je le perdais".

Il travaillait sur un bureau "petit mais très ordonné". Ses horaires sont eux aussi ordonnés : cinq heures de sommeil par nuit, extinction des feux à 23 heures, debout à 4 heures du matin "sans avoir besoin d’un réveil", "une sieste de quarante minutes" après le déjeuner. Il sait faire la cuisine. Il aime écouter de la musique et lire, en particulier les classiques de la littérature. Il prend connaissance des informations dans les journaux. Il n’a jamais utilisé internet, pas même pour le courrier électronique.

UN PAPE QUI NE VEUT PAS SE FAIRE APPELER "PAPE"

On a déjà pu le noter, Bergoglio préfère pour lui-même la simple appellation d’"évêque de Rome" et il ne parle pas de son pouvoir de chef de l’Église universelle, bien que ce pouvoir ait été confirmé avec beaucoup de vigueur par le concile Vatican II.

On peut lire dans son autobiographie :

"Lorsqu’un pape ou un maître doivent dire 'là, c’est moi qui commande' ou bien 'ici, le supérieur, c’est moi', c’est qu’ils ont déjà perdu leur autorité et qu’ils cherchent alors à se la réapproprier par des paroles. Proclamer que l’on a le bâton de commandement implique que l’on ne l’a plus. Avoir le bâton de commandement ne signifie pas donner des ordres et imposer, mais servir".

Il semble donc que Bergoglio veuille non pas proclamer mais exercer son pouvoir suprême de successeur de Pierre.

UN PAPE QUI DÉCIDE TOUT SEUL DE TOUT

Il a également dit, dans son autobiographie sous forme d’interview :

"Je dois reconnaître que, d’une manière générale, la première solution qui me vient à l’esprit n’est pas la bonne. C’est la faute de mon tempérament. Pour cette raison, j’ai appris à me méfier de ma première réaction. Une fois que je suis plus calme, après être passé par le creuset de la solitude, je m’approche de ce que je dois faire. Mais personne ne me fait échapper à la solitude dans laquelle se prennent les décisions. On peut demander un conseil mais, en fin de compte, c’est tout seul que l’on doit décider".

En somme, concrètement, il faut prévoir que, en ce qui concerne le pape François, la primauté du pape en matière de prise de décisions ne subira aucune atteinte, pas même si, à l’avenir, le gouvernement de l’Église devait adopter une structure plus collégiale.

UN PAPE QUI ESQUIVE LES SUJETS QUI FÂCHENT

En effet, dans ses discours et dans ses homélies de début de pontificat, Bergoglio a jusqu’à présent évité d’aborder les questions à propos desquelles l’Église est le plus en opposition avec les puissances profanes.

Dans le discours qu’il a adressé au corps diplomatique, il n’a pas du tout parlé des menaces qui pèsent sur la liberté religieuse, de même que, dans ses autres interventions, il a évité toute allusion aux sujets critiques que sont la naissance, la mort, la famille.

Toutefois, dans son autobiographie sous forme d’interview, Bergoglio a rappelé que, dans une certaine circonstance, Benoît XVI avait décidé, lui aussi, de garder le silence :

"Au moment où Benoît XVI s’est rendu en Espagne, en 2006, tout le monde a pensé qu’il allait critiquer le gouvernement de Rodriguez Zapatero, en raison des divergences de celui-ci avec l’Église catholique à propos d’un certain nombre de sujets. Quelqu’un a même demandé au pape si, au cours des entretiens qu’il avait eus avec les autorités espagnoles, il avait abordé la question du mariage homosexuel. Mais Benoît XVI a répondu qu’il ne l’avait pas fait, qu’il avait parlé uniquement de choses positives et que le reste viendrait par la suite. Il voulait laisser entendre par là qu’il faut avant tout mettre en évidence les choses positives, celles qui unissent, et non pas celles qui sont négatives, qui ne servent qu’à diviser. La priorité doit être donnée à la rencontre entre les personnes, au cheminement que l’on effectue ensemble. Si l’on procède ainsi, il sera plus facile, ultérieurement, d’aborder les différences".

Dans un autre passage de l'interview, Bergoglio critique certaines homélies "qui devraient être 'kérygmatiques' mais qui finissent par parler de tout ce qui a un rapport avec le sexe. Telle chose est permise, telle autre ne l’est pas. Ceci est erroné, cela ne l’est pas. Et alors nous finissons par oublier le trésor qu’est Jésus vivant, le trésor qu’est le Saint-Esprit présent dans nos cœurs, le trésor qu’est un projet de vie chrétienne ayant de nombreuses implications qui vont bien au-delà des seules questions sexuelles. Nous négligeons une catéchèse très riche, qui traite des mystères de la foi, du credo, et nous finissons par nous concentrer sur la question de savoir s’il faut participer ou non à une manifestation contre un projet de loi en faveur de l'utilisation du préservatif".

Et il affirme également :

"Je suis intimement persuadé que, à l’époque actuelle, le choix fondamental que l’Église doit effectuer, ce n’est pas de diminuer ou de supprimer certains préceptes, de rendre telle ou telle chose plus facile, mais c’est de descendre dans la rue pour chercher les gens, de les connaître par leur nom. Et cela pas uniquement parce que sa mission est d’aller annoncer l’Évangile, mais parce que, si elle ne le fait pas, elle se fait du mal toute seule. Il est évident que, si quelqu’un sort de chez lui et va dans la rue, il peut aussi lui arriver d’avoir un accident, mais je préfère mille fois une Église accidentée à une Église malade".
Traduction française par Charles de Pechpeyrou.