SOURCE - Abbé Le Roux, fsspx - Recteur du Séminaire de Winona - 17 octobre 2013
Winona, le 17 octobre 2013
Winona, le 17 octobre 2013
Chers Amis et Bienfaiteurs,
À l'issue d'une journée harassante, les cris du petit enfant ne trompent pas. Il est exténué. Un de ses parents s'approche alors de lui et le prend dans ses bras. L'enfant y trouve ce repos qu'il cherchait vainement et le sourire qui illumine son visage en dit long sur son bonheur profond. La fatigue s'envole, il s'abandonne.
À l'ombre de cette puissance tutélaire, il peut désormais s'endormir. Il est en paix.
Devenu adulte, cette paix lui sera bien nécessaire.
Comme l'enfant qu'il était ne pouvait trouver le repos s'il n'était préalablement en paix, l'homme qu'il est désormais ne peut répondre aux exigences de sa vocation s'il n'est établi dans la paix.
Mais le temps de l'enfance où tout était si simple et vrai est loin. L'homme découvre à ses dépends que la paix est une richesse fragile et rare.
Cette "tranquillité de l'ordre", selon la belle expression utilisée par saint Augustin pour définir la nature profonde de la paix, n'est pas en effet un don inné. Elle s'acquiert de haute lutte. La nature humaine, ce composé d'âme et de corps, exige de l'homme qu'il soit permanent en état de vigilance afin de maintenir l'équilibre des forces qui depuis le péché originel a été brisé.
Seule la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ lui permet de maintenir cet équilibre précaire et indispensable.
Si indispensable que le démon, singe grimaçant de Dieu et qui sait mieux que quiconque que l'homme aspire à cette paix de tout son être, lui en présente la contre façon géniale.
Satan s'est élevé contre l'ordre divin en refusant d'incliner sa superbe devant le Prince de la Paix. Il demeure dans un état d'agitation, de trouble et de souffrances éternelles. La paix n'est point son fait, tout au contraire. Écumant d'une haine terrible, il n'a de cesse de répandre son trouble à tous les hommes comme le souligne avec justesse saint Jean Berchmanns "Tout ce qui trouble vient du démon."
Mais si Satan est le prince du désordre, il n'a rien perdu de son intelligence. Au lieu de s'en servir pour s'élever et adorer, il la met misérablement au service de ses ruses.
Il sait pertinemment que l'homme ne pourra le suivre que s'il se transforme en ange de lumière ; aussi feint-il de lui présenter cette paix à laquelle il aspire de toutes ses fibres les plus profondes.
Par quel subterfuge le démon arrive-t-il à duper ainsi l'homme ?
Tout simplement en flattant ses instincts les plus vils et en lui cachant la réalité du péché originel qui a faussé sa nature. Il le pousse ainsi à satisfaire tous ses penchants naturels. Cette voie est extrêmement périlleuse pour l'homme qui, blessé par le péché, y trouve une satisfaction de plus en plus forte. Il finit par la rechercher instinctivement et s'enfonce, lentement et inexorablement, sans même qu'il s'en aperçoive dans une léthargie mortelle.
Le démon n'a plus qu'à lui suggérer adroitement que cette léthargie mortelle est la paix recherchée si ardemment.
N'est-il pas surprenant que l'homme en arrive à confondre la tiédeur moite dans laquelle il s'enfonce avec la paix à laquelle il aspire de toutes les fibres de son âme ?
Comment cela peut-il être, sinon grâce au subterfuge de la justification ?
Le démon en poussant l'homme à suivre la voie de la nature et en lui faisant goûter les satisfactions de plus en plus fortes qui y sont attachées, enchaîne l'homme aux plaisirs et le rend esclave de ces derniers. Évidemment ce processus ne se fait pas en un jour, c'est un travail de longue haleine durant lequel l'homme va se débattre contre les appels de la grâce. Tout le problème est là : il se débat contre la grâce mais ne se bat plus en faveur de cette dernière. Il se refuse à Dieu et ne se bat plus pour défendre son honneur.
Cette absence de combat spirituel l'introduit dans la voie du compromis.
Dans un premier temps, il regrette ses erreurs bien entendu mais vient rapidement un temps où ce regret s'exprime de plus en plus mollement, puis se lève le jour où il regrette...de regretter et se demande en quoi ces choses naturelles sont si mauvaises ; finalement il les justifiera en faisant feu de tout bois. Et sa conscience se cautérisera. Autrement dit, il devient sourd aux appels du Christ et de son amour.
Son jugement sur les êtres et les choses qui l'entourent n'est plus le même en effet ; et pour cause ! Ses critères ne sont plus l'ordre établi par Dieu mais l'ordre de ses passions. Il est déjà, sans même s'en douter la plupart du temps, disciple du satanique Non Serviam et s'est fait son propre Dieu.
Voilà où Satan veut amener l'homme depuis toujours en Lui faisant croire qu'il est son propre législateur, maître ultime du bien et du mal : "Vous serez comme Dieu".
Le démon a peur des chutes brutales car elles réveillent l'homme. Il préfère le pousser dans la pente douce mais marécageuse de la justification. Il l'endort en le flattant et lui susurre qu'il n'y a pas de mal à se faire du bien. "N'est-ce point après tout, ajoute-t-il d'une voix persuasive, l'inclination de la nature dont Dieu Lui-même est le créateur ? Dieu se contredirait-il ? Il ne se peut. Allons..."
Judas a écouté cette voie et a usé jusqu'à la corde de toutes les justifications possibles, se drapant même dans la défense des pauvres dont il s'est fait l'avocat flamboyant. Judas s'est laissé aveuglé et enfermé dans ses débats et atermoiements contre la grâce. Le dernier appel du Christ qui aurait dû le toucher n'a pu parvenir à son âme désormais insensible. Il l'a pourtant appelé par son nom, lui a donné le baiser de paix en réponse à son baiser perfide et lui a offert une dernière grâce : "mon ami...". Judas s'était déjà retiré du royaume de la grâce. Le nœud qui l'a tué a été celui de la tiédeur bien plus que celui de la corde.
Saint Pierre, en revanche, s'est toujours battu aux côtés de son maître, souvent de manière fougueuse ce qui l'a rendu parfois maladroit mais si sympathique et proche de nous en ses maladresses. Il se battait et ne se débattait pas. Il aimait et se laissait aimer. Certes il est tombé lourdement, publiquement, rendant les armes lâchement. Mais sa chute lui a ouvert les yeux. Il en a compris l'étendu et l'horreur. Son âme était fidèle et vigilante. Homme, il est tombé comme un homme sujet au péché, non comme un zombie qui a vendu son âme en s'endormant dans ses justifications. Le Christ a posé son regard sur Lui, Pierre l'a reçu avec reconnaissance et a compris ce qu'il signifiait. Le coq a chanté et le prince des apôtres est sorti du prétoire car il était rentré en lui-même et vivait déjà de contrition.
Aurions-nous eu saint Pierre sans cette chute ?
La chute brutale est souvent l'occasion de la grâce. Mystère profond et encourageant pour les âmes qui se battent et qui font de leurs chutes avouées et regrettées le tremplin de leur conversion.
Le démon ne veut pas de ces chutes, il les redoute même et emploie toutes ses énergies à les empêcher. Il s'ingénie à entraîner l'homme dans les dédales de ses labyrinthes où il peut l'endormir et l'enchainer.
Sommes-nous Judas ou saint Pierre ?
Nous ne pouvons pas ne pas nous poser cette question très sérieusement. Tout particulièrement parce que nous vivons dans monde devenu une machine infernale qui endort les âmes et les rend sourds et aveugles aux sollicitations de la grâce.
In Christo sacerdote et Maria.
Ab. le Roux