27 décembre 2013

[Paix Liturgique] Abbé Vincent Ribeton (FSSP): «La puissance de la liturgie traditionnelle»

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 420 - 27 décembre 2013

L’année 2013 se termine et, avec elle, le premier quart de siècle qui nous sépare du Motu Proprio Ecclesia Dei de Jean-Paul II, le 2 juillet 1988. Vingt-cinq ans, c’est aussi l’âge du plus ancien et du plus important institut Ecclesia Dei de droit pontifical : la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre (FSSP), aujourd’hui présente dans 122 diocèses de 15 pays (9 en Europe, 4 aux Amériques, plus le Nigeria et l’Australie) et forte de 244 prêtres et 153 séminaristes au 19 octobre 2013.

De même que – comme l’a rappelé le 18 octobre l’abbé John Berg, supérieur de la FSSP, lors du pèlerinage à Rome de la branche américaine de la Confraternité Saint-Pierre (la sodalité des laïcs) – il n’y aurait pas eu de Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre sans Mgr Marcel Lefebvre, nous savons bien qu’il n’y aurait pas eu de Motu Proprio Summorum Pontificum sans communautés Ecclesia Dei. Si nous pouvons aujourd’hui désirer, demander et finalement obtenir la messe traditionnelle dans nos paroisses, c’est notamment parce que, depuis 1988, des prêtres et, surtout, tant de séminaristes, ont choisi de lier leur vocation sacerdotale à la célébration de la liturgie traditionnelle de l’Église.

Ses 25 ans, la FSSP les a fêtés, de façon plus ou moins importante, dans chacun des pays où elle est implantée. En France, elle a organisé non seulement un pèlerinage à Lourdes mais aussi une messe d’action de grâces en l’église Saint-Sulpice à Paris, le 16 novembre, devant 1.500 fidèles, au maître-autel de l’église remis en service pour l’occasion (voir notre lettre 418). Au cours du sermon, l’abbé Vincent Ribeton, supérieur de la FSSP pour la France et la Belgique, a défini la liturgie traditionnelle comme « un instrument pastoral proportionné aux besoins de notre temps » en ce sens qu’elle « répond à la folie d’un monde sans Dieu en replaçant Dieu au centre [de] la piété des peuples ».
I – « UN TRÉSOR QUI APPARTIENT À TOUTE L'ÉGLISE »

(extrait du sermon de l’abbé Ribeton en l’église Saint-Sulpice à Paris, le 16 novembre 2013)
[…] Au cours des vingt-cinq premières années de son existence, la Fraternité Saint-Pierre a fait l’expérience de la puissance de la liturgie traditionnelle pour opérer le retour des âmes vers Dieu. Parce que cette liturgie est théocentrique, elle tourne l’homme vers le Seigneur, elle est propre à toucher et à transformer le cœur de tout homme. Elle permet de prendre un soin pastoral de toute personne. Elle n’est pas réservée à quelques-uns, à quelques initiés. Elle peut fonder un apostolat très large. Elle est un instrument pastoral proportionné aux besoins de notre temps, tout simplement parce que le cœur de l’homme ne change pas, et que l’art de la prière de l’Église, forgé au cours des siècles dans l’expérience de l’évangélisation, demeure une pastorale très sûre, d’autant plus efficace qu’elle a été davantage éprouvée par le temps.

Parce que cette liturgie met l’homme à genoux devant Dieu, elle répond à ce que le bienheureux Jean-Paul II appelait à raison « l’apostasie silencieuse ». Elle répond à la folie d’un monde sans Dieu en replaçant Dieu au centre, en façonnant par ce caractère christocentrique – selon la belle expression de Benoît XVI – la piété des peuples. Elle a une grande puissance de rayonnement. Elle attire car elle est pleine d’intériorité. Aux âmes qui ont soif d’absolu, faim de Dieu, elle donne un aliment solide. Elle nourrit la piété. Elle fait goûter combien est bon le Seigneur. Cette liturgie est une école de sanctification. C’est un trésor qui appartient à toute l’Église, dont tous sont héritiers, auquel tous les fidèles ont le droit de puiser, comme l’a reconnu le Motu proprio Summorum Pontificum.

Aussi n’avons-nous pas le droit, égoïstement, de garder ce trésor pour nous. Que de conversions, que de retour au bercail du Christ avons-nous pu constater par la médiation de cette liturgie. Beaucoup d’entre les fidèles qui y sont attachés ne la connaissaient pas dans leur enfance. Ils n’en sont donc point des nostalgiques. Rencontrant un jour des passeurs d’Espérance, ils l’ont – sur les routes d’un pèlerinage, lors d’une retraite, dans le scoutisme, à l’occasion d’un camp d’été, ou bien tout simplement en entrant sous le porche d’une église – découverte ; ils en sont revenus émerveillés, et leur vie en a été profondément changée. Avec cette liturgie, avec cette lex orandi, ils ont approfondi leur foi ou même se sont convertis, tant est fort le lien qu’elle possède avec la lex credendi, tant elle exprime magnifiquement, dans les mystères célébrés, la Foi de l’Église, tant elle invite à les vivre, à les mettre en pratique dans une vie chrétienne sans cesse renouvelée.

Quelle force puisée dans cette prière de l’Église pour l’apostolat de nos prêtres ! Marchant de messe en messe, l’Eucharistie étant le cœur de la vie, ils puisent à l’autel tout leur élan apostolique, et ils ont vocation à ramener ensuite vers ce même autel, au lieu de la rencontre avec le Seigneur, les âmes que Dieu met sur leur chemin. Ils ont certainement, comme le Pape les y invite, à faire preuve de charité inventive pour aller trouver les âmes là où elles sont, pour les prendre là où elles en sont, pour se pencher sur elles comme de bons Samaritains, et appliquer à leurs blessures le baume de la grâce.

Ces prêtres, bien chers fidèles, ont besoin de vos prières. Car en même temps qu’ils accomplissent la mission confiée par Notre-Seigneur, ils demeurent des hommes pécheurs qui doivent chaque jour de leur vie travailler à leur conversion pour être davantage conformés à Jésus-Christ qui est le Souverain Prêtre. En raison même de cette condition fragile, de ce combat spirituel dans lequel nous sommes tous engagés, bien chers fidèles, nos prêtres ont à demeurer dans l’humilité qui apporte la simplicité de cœur, la pauvreté en esprit louée par Notre-Seigneur dans les Béatitudes, la componction de l’âme, la pureté d’intention, la magnanimité, la miséricorde envers les pécheurs.

Cette humilité est une vertu essentielle pour vivre en fils de l’Église. Nous en avons tous besoin, et nous en manquons tous, tant l’esprit du temps, qui conduit à juger de tout à partir des illusions de notre ego, nous caractérise tous. Sans humilité du cœur pourtant, il est impossible de correspondre à la volonté de Dieu et d’accomplir notre vocation.

Demandons à Notre Dame de renouveler cette humilité en nos âmes, afin que nous servions Dieu et l’Église avec un cœur d’autant plus désintéressé que nous ne nous rechercherons pas nous-mêmes, un cœur joyeux qui chantera avec la Sainte Vierge le Magnificat d’une action de grâce s’élevant sans cesse vers Dieu ».
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) L’abbé Vincent Ribeton affirme que la messe traditionnelle « est un instrument pastoral proportionné aux besoins de notre temps ». Les besoins ? Le 10 décembre dernier, le cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, invité dans la cathédrale de Milan par son ami le cardinal Scola, a dressé un tableau de la situation du catholicisme occidental si dramatique que le quotidien Il Foglio l’a ainsi résumé : « Nous sommes au bord de l’apostasie ». Or, le Cardinal avouait qu’il n’avait pas de solution. Pourquoi donc ne pas favoriser « ce qui marche » pastoralement, par exemple cette liturgie traditionnelle qui remplit les églises qu’on lui concède d’un public étonnamment jeune, qui attire encore des vocations (1 séminariste français sur 6), qui s’accompagne d’un nouvel élan catéchétique ?

2) « Beaucoup d’entre les fidèles qui y sont attachés ne la connaissaient pas dans leur enfance », souligne l’abbé Vincent Ribeton. Ceci est avéré. En outre, tous les témoignages des prêtres qui la célèbrent, ne fût-ce qu’occasionnellement, convergent : parmi ceux qui ne la connaissaient pas auparavant, ce sont les jeunes catholiques qui sont les plus intéressés par la liturgie traditionnelle lorsqu’elle leur est offerte. Ce qui ne veut pas dire qu’ils pratiqueront dès lors exclusivement cette liturgie, mais que loin de les rebuter, elle leur paraît une réponse à ce besoin de sacré et de ritualisme que les sociologues du religieux analysent dans les générations catholiques nouvelles (« c’est une messe carrée ! »).

3) « Aussi n’avons-nous pas le droit, égoïstement, de garder ce trésor pour nous », poursuit l’abbé Ribeton. Ceci est d’autant plus vrai que, contrairement à une idée médiatique reçue, le nouveau pontificat n’a pas enrayé l’aspiration à la « restauration », notamment liturgique, qui s’est déployée avant et pendant le précédent pontificat. À preuve, qu’on nous pardonne la référence, les diatribes constantes de la revueGolias contre le profil des jeunes prêtres et des séminaristes français qui seront bientôt majoritaires dans un clergé clairsemé. Ainsi, la référence que constitue la messe selon la forme extraordinaire conserve toute sa force pour ces prêtres qui cherchent à rendre leur liturgie « digne » et qui, dans un certain nombre de cas, célèbrent dans l’une et l’autre forme.

4) Enfin l'abbé Vincent Ribeton rappelle que la liturgie traditionnelle « est un trésor qui appartient à toute l’Église, dont tous sont héritiers, auquel tous les fidèles ont le droit de puiser ». C'est une des idées qui sous-tendent le Motu Proprio de 2007. Le droit des fidèles qui a été ainsi consacré est, comme diraient les juristes, un « envoi en possession » : il s'agit de la remise (qui reste, hélas, souvent très théorique) entre les mains de tous les héritiers du legs qui leur a été fait et dont ils peuvent désormais jouir. Ce legs est celui de la lex orandi, aussi précieux, toutes choses égales, que le catéchisme qui avait été transmis de génération en génération jusqu’au grand chambardement de la fin des années 60 et des années 70 : « La messe, la célébration du Sacrifice eucharistique est l'une des professions de foi les plus importantes qui soient. Nous aimons, nous préférons et nous conservons la messe dans la forme traditionnelle du rite romain, précisément parce qu'elle est une claire profession de foi dans le dogme eucharistique, dans le dogme de la Messe comme Sacrifice, renouvellement non sanglant du sacrifice de la Croix, dans le dogme de la présence réelle et de la transsubstantiation ». (Mgr Rifan, homélie du Christ-Roi lors de la Messe de clôture du pèlerinage Summorum Pontificum, en l’église Sainte-Marie sur la Minerve à Rome).