Chers amis et bienfaiteurs,
Le culte de saint Mayeul, de nos jours bien oublié, a revêtu une grande importance au Moyen Âge. Son développement a été considérable et a très vite débordé le réseau des monastères clunisiens. « Le saint, dit Pierre le Vénérable, grand par sa vie et par ses miracles, ainsi que le savent presque toutes les populations des Gaules, s’imposa comme une personnalité tout à fait remarquable aussi longtemps qu’il vécut et plus encore après sa mort. Il s’est illustré par cette grâce des miracles depuis déjà cent soixante-deux ans, c’est-à-dire depuis sa mort, au point que, après la sainte Mère de Dieu, il n’a son pareil pour de telles oeuvres en aucun des saints de toute notre Europe.»
Né vers 910, ce provençal de Valensole, venu parfaire ses études à Lyon, avait choisi d’abord le clergé séculier. Archidiacre de l’évêque de Mâcon, il fut bientôt conquis par la séduction de Cluny, à laquelle l’évêque même n’échappait pas, et y fit profession en 943. Le bienheureux Aimard le distingua entre tous, et, très âgé, c’est entre les mains du moine Mayeul, jeune encore, qu’il résigna sa charge en 948. L’unanimité des témoignages démontre qu’il émanait de toute sa personne un indicible rayonnement dont la source cachée était son union à Dieu. Au dire de saint Odilon qui se fit son biographe, «c’était une joie de le voir : son visage angélique, son regard serein, chaque mouvement, chaque geste ou action de son corps respirait la dignité».
Ses biographes diront que le motif de sa venue à Cluny avait été « le désir de la solitude et de la paix » : « Sonder du regard tout ce qui est paisible et tranquille ». C’est qu’il voulait être vraiment et entièrement moine, c’est-à-dire simple, unifié en Dieu : « Devenu tout entier moine, il parvint au sommet de la conduite monastique ». On comprend ainsi que la solitude lui ait été chère. Élu abbé, il fait rebâtir un ermitage, où il pût, « dans le secret et la tranquillité, se consacrer avec plus d’attention au service divin par des prières prolongées ». Les chroniqueurs de Cluny nous apprennent encore que « seul ou en voyage, où qu’il fût, chaque jour, il se ménageait un lieu caché où, séparé des hommes, il s’unissait à Dieu de plus près… Loin du monde afin d’être toujours proche de Dieu, voulant rester caché, il cherchait l’ombre, pour y demeurer avec Jésus ». Cette attitude de prière est le secret de la paix qui émane de lui : « il règle tout patiemment, avec tranquillité d’âme ». « Cet homme était toujours égal à lui-même.»
Le moine Nagold nous apprend que son programme était de vivre du Christ et d’en faire vivre autrui : « Goûter le Christ, parler du Christ, laisser de côté les choses terrestres, soupirer vers les éternelles ». Mayeul est un abbé qui instruit et qui enseigne, qui a quelque chose à dire sur le Christ ; ce n’est pas seulement un chef qui administre et qui gouverne, c’est un père et un maître, il a une doctrine, il forme et il guide ses moines. « C’est pour apporter la lumière à une multitude, dit saint Odilon, que l’éternelle Lumière des lumières l’envoie, tel un astre tout resplendissant, se lever parmi les hommes.»
Très moine, très solitaire, il était en même temps très humain. Animé de « l’amour de l’ordre monastique », il s’efforçait de maintenir dans son monastère cette unanimité clunisienne dont l’exemple venait de la communauté des Apôtres. « Bien que ses moines fussent de différentes nations, ils étaient unis par l’esprit, de telle façon qu’en eux s’accomplissait ce qu’on lit de l’église naissante, aux Actes des Apôtres : Il y avait en eux un seul coeur, une seule âme. » Parfois « il s’asseyait parmi ses frères pour s’entretenir avec eux ». Ceux de ses fils qui étaient las, il les consolait avec bonté. « Aux autres il insinuait de goûter, par le zèle d’une méditation assidue, combien le Seigneur est doux. » Il savait rester moine parmi les moines : « Ce bon père emplissait de joie ces bons fils : il restait avec eux comme l’un d’eux, il donna en tout l’exemple d’une humilité invincible».
Enfin, sa charité s’exerçait envers tous : « Avec ceux qui sont proclamés bienheureux parce qu’ils pleurent, il désirait pleurer sur les négligences et les peines de ses fils et du monde entier, afin de parvenir à l’éternelle consolation avec tous les siens ». Personne ne fait rien seul dans l’ordre du salut ; saint Mayeul avait un sens aussi vif de la communion des saints que de la solitude : il s’était retiré au désert pour le profit de tous. De cette sorte il faisait participer l’église entière au fruit de sa contemplation. Car il priait «pour son salut et pour celui du monde entier… Se sacrifiant entièrement sur l’autel de la contemplation et pratiquant une lourde mortification quotidienne il devenait une victime agréable à Dieu… Et par la foi, comme le font les saints, il acquit au Seigneur les peuples de nombreuses nations ». La vie monastique comporte un sacrifice, mais qui est efficace pour le monde entier.
Surtout il désirait le Ciel et le faisait désirer: «Parce qu’il fut tendu assidûment dans le désir du Ciel, il mérita la grâce de la contemplation divine». «Il enseignait à aller vers la cité permanente, la céleste Jérusalem. » A la fin de sa vie, «soit dans le monastère, soit dans l’une des cellules des environs, il recevait les frères, les conseillait. Mais plus souvent encore, loin de tous, il s’unissait à Dieu seul». Cette alternance de prière et de rayonnement spirituel avait été l’occupation de toute son existence de moine. Il pouvait maintenant, libéré des soucis de l’administration, s’y adonner exclusivement, dans le désir de la paix qui suivrait, dans la patrie, son pèlerinage terrestre : « Il était arrivé à la pureté du moine. étant passé de Jéricho à Jérusalem, de cette terre obscure et misérable au pays de la lumière et de la paix, il avait fait une ascension pleine de joie ». Il mourut en 994 à Souvigny.
Le secret de saint Mayeul, des grands abbés de sa lignée, et de Cluny en ses deux premiers siècles, est dans cette ferveur tranquille et continue, dans cette alliance de la vigueur et de la paix. Expliquer le prestige de Cluny, soit par la longévité de ses abbés, soit par leur habileté politique, soit encore par l’appui des papes et des princes, c’est restreindre à des facteurs secondaires et humains une oeuvre essentiellement spirituelle. Car la source véritable du rayonnement d’un monastère n’est autre que la sainteté de ses moines. Puissions-nous, aidés par vos prières, marcher fidèlement sur les traces de nos saints pères.
Fr. Placide, o.s.b., Prieur