SOURCE - Abbé Iborra - Propos recueillis par Rita von Grothuss pour mauvaisenouvelle.com - 13 juillet 2014
Merci Monsieur l’abbé d’avoir accepté de répondre aux nombreuses questions qu’ont soulevées les derniers rebondissements judiciaires de l’affaire Bonnemaison et du sort du malheureux Vincent Lambert. Il nous a semblé assez évident de nous adresser à vous puisque vous avez exercé votre ministère des années à La Pitié Salpêtrière comme aumônier.
Merci Monsieur l’abbé d’avoir accepté de répondre aux nombreuses questions qu’ont soulevées les derniers rebondissements judiciaires de l’affaire Bonnemaison et du sort du malheureux Vincent Lambert. Il nous a semblé assez évident de nous adresser à vous puisque vous avez exercé votre ministère des années à La Pitié Salpêtrière comme aumônier.
MN : Vous avez dû être souvent confronté à la fin de vie ou en langage non politiquement correct à l’agonie ?
Abbé Iborra : C’est essentiellement aux urgences que la mort est présente. Dans ce service, la mort est habituelle et l’échec des techniques médicales est mieux accepté. Un chef de service m’a cependant expliqué que beaucoup de jeunes urgentistes faisaient vraiment le maximum et sauvaient du coup des cas parfois désespérés. A posteriori, on pouvait penser qu'il aurait été plus sage de les laisser partir naturellement. En revanche, dans des services plus orientés vers des soins thérapeutiques -médicaux ou chirurgicaux- , la mort est vécue comme un drame. Elle vient troubler le sentiment de la médecine toute-puissante, plus forte que la mort.
MN : Comment expliquez-vous que les institutions catholiques n’aient pas réagi au moment de l’application de la loi Leonetti ?
Abbé Iborra : Cette loi est passée en silence parce que l’on s’attendait à pire. Il est évident que certains soins sont choquants sur des mourants. En plus de n’avoir plus d'utilité thérapeutique, ils font souffrir et entretiennent la relation triangulaire du mensonge. Je m’explique : le médecin ment au patient sur son état en prodiguant des soins inutiles, la famille ment au patient pour ne pas l’inquiéter ou l’angoisser et, le patient à sa famille, pour ne pas ajouter à son angoisse, et se ment parfois à lui-même. L’aumônier et les unités de soins palliatifs ont alors un rôle à jouer en désamorçant ce cycle. Ils ont une action très positive puisqu’ils soulagent les familles et le malade en réintroduisant la normalité de la mort. Le médecin n’est pas à même de le faire car pour lui, quand il se situe seulement au niveau technique, la mort reste quand même un échec.
MN : La loi Leonetti est-elle acceptable au regard de l’Église ?
Abbé Iborra : La loi Leonetti est quand même contre l’euthanasie active. Elle comporte néanmoins une grave ambiguïté en ce qui concerne l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation. L’Église est ferme : « ces deux actions sont considérées comme un acte positif d’Euthanasie ».
MN : Est-ce que cette loi, en autorisant des injections massives et létales d’antidouleur, ne nous vole pas notre mort ?
Abbé Iborra : Oui, effectivement la médecine vole la mort des patients. Ce dernier se trouve plongé dans bien des cas en un état comateux. Nul profane ne peut dire s’il est mort ou vivant. La frontière entre la vie et la mort s'épaissit, on peine à repérer l'avant et l'après. Le médecin est gêné par la mort. C’est à la fois pour des raisons psychologiques et matérielles. Psychologiques parce qu'il doit reconnaître son impuissance. Matérielles parce que l'administration massive de médicaments évite de subir les critiques des familles ne supportant pas la souffrance des leurs et, d’une certaine manière, permet d’occulter la laideur de la mort. Il est plus facile d’endormir le patient que d’entendre ses cris. On oublie ce que le mourant peut apporter aux vivants de richesses spirituelles.
Pour ma part, tous les 6 mois environ, je croisais des patients qui m'évangélisaient. Je voudrais parler de deux cas précis, tous deux anglais, de malades agonisants qui voulaient présider à leur mort. Une dame anglicane, de 60-70 ans, atteinte de 3 cancers qui refusait la morphine. Lorsque je lui demandais si elle ne souffrait pas trop, elle me répondit que le Christ avait refusé le vinaigre donné pour adoucir les souffrance des condamnés et que, lui, était innocent. Elle a vécu sa mort en union à la passion du Christ. Elle voulait être aussi plus présente aux siens. L’autre cas est celui d’un professeur souffrant lui aussi d’un cancer. Il avait pris la même résolution. Il bénéficia d’une courte rémission après l’extrême onction qui lui permit de faire ses adieux à sa famille et à ses amis.
On peut dire que notre société en voulant instaurer l’euthanasie légale fait une tentative vaine de faire disparaître la mort et son caractère hideux. Les sociétés anciennes s’y sont employées aussi en recourant à des rites funéraires comme la momification ou l’incinération. La réponse chrétienne est tout autre. Les franciscains italiens du 18ème siècle la mettaient même en scène avec des ossements d'une manière qui nous paraît aujourd'hui bien morbide mais qui, à l'époque baroque, témoignait de l'espérance joyeuse de la résurrection sur la mort. Citons également le texte magnifique du Cardinal Newman : « le songe de Gérontius ». Ce poème, nous décrit le passage de l'âme, accompagnée de son ange gardien, pour comparaître devant son Créateur. La mort doit être prise au sérieux mais ne doit pas nous terrifier, nous désespérer.
En conclusion, on peut dire que la technique médicale va souvent trop loin en anesthésiant la conscience du mourant. Il n’a plus les moyens de dire adieu. Il ne peut pas pardonner et demander pardon. L’homme part avec des non-dits. Combien de fois, un fils n’a pu dire à son père qu’il l’aimait.