SOURCE - Don Pio Pace - Rorate Caeli - via Riposte Catholique - 17 juillet 2014
Il nous paraît intéressant de publier la traduction de l’article de don Pio Pace, publié par le blogue Rorate Caeli, en date du 3 juillet 2014.
Dans le feuilleton interminable de la réconciliation entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X, une occasion historique extraordinaire s’est présentée en février 2013. Une occasion manquée. Elle est arrivée après l’annonce de la démission de Benoît XVI, le 12 février 2013 : une prélature personnelle pour la FSSPX, la Prélature Saint Pie X, qui avait été l’objet des négociations interrompues en juin 2012, a été à nouveau proposée à l’évêque Fellay, supérieur général de la Société, pour être érigée le 22 février 2013, fête de la Chaire de Saint-Pierre. Mais la Maison générale de la Fraternité Saint-Pie-X n’a pas donné suite. Il aurait été nécessaire, il est vrai, de mener des deux côtés, rapidement et efficacement, les négociations finales, en particulier en ce qui concerne la formule d’adhésion, que je citerai plus tard. Le pré-conclave s’est alors ouvert en mars, marqué par des tensions extrêmement violentes à propos de la réforme de la Curie romaine, sur la base de l’accusation implicite d’impuissance du pontificat qui venait de se terminer : l’un des échecs attribués à Benoît XVI était d’avoir investi en vain sur une réconciliation avec les traditionalistes, en leur remettant des gages inutiles, en particulier par le biais de Summorum Pontificum et de la suppression des excommunications des évêques consacrés par l’archevêque Lefebvre. À ce moment-là, avant le conclave, en tenant compte du poids psychologique que la question Lefebvre avait encore à l’époque, il n’est pas douteux que, si le dernier acte du pontificat de Benoît XVI avait été la réintégration canonique des adversaires les plus visibles du Concile, cela aurait permis une réduction du déficit du « bilan de pontificat » examiné par les cardinaux. Et, surtout, on n’aurait parlé que de ça ! Au lieu de cela, la ligne de fracture entre «restaurateurs» et «libéraux», qui avait marqué les conclaves de 1978 et 2005, est devenue obsolète au conclave de 2013.
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Le nouveau pontificat ignore la communauté fondée par Mgr. Marcel Lefebvre. Jusque-là, la FSSPX avait provoqué dans l’Église, au moins à Rome, un grand intérêt pour ses faits et gestes. Notamment, un grand intérêt pour sa croissance – moindre après 1988, mais encore tout à fait remarquable, alors que le catholicisme en Occident est en déclin continu. La critique, même si elle était mal formulée, de Vatican II, et l’existence de ce réservoir sacerdotal hostile à la ligne conciliaire était une «interrogation», permanente comme on dit.
Mais toute l’attention que le pontificat de Benoît XVI avait donné à la «bonne interprétation» de Vatican II (discours inaugural à la Curie, du 22 Décembre 2005; adresse d’adieu du 14 Février 2013, au clergé romain) a soudainement disparu. Certes, en ayant récemment reçu les Franciscains de l’Immaculée, le 10 Juin, le pape François a de nouveau exprimé son estime pour un interprète du Concile qui est de la ligne « de continuité », Mgr. Agostino Marchetto (Il Concilio Vaticano II Ecumenico. Par una sua corretta ermeneutica, Libreria Editrice Vaticana, 2012). Mais tout le monde sait que François est étranger à ce débat. Alors qu’il n’est pas un adepte d’une théorie de « rupture », il n’est pas du tout intéressé par les tentatives qui veulent prouver une « continuité » entre le dernier Concile et le Magistère précédent. Vatican II n’est pas pour lui une collection de textes qui contredisent, plient ou reformulent tel ou tel dogme antérieur : Vatican II est un concile pastoral d’ouverture sur le monde, un « retour à l’Evangile ». Point. En ce qui concerne le Magistère antérieur, sans le remettre en cause en théorie, il souhaite lui appliquer une sorte de flexibilité (l’expression est donnée par le cardinal Lorenzo Baldisseri, secrétaire du Synode des Evêques, un personnage clé dans la Curie de François), une flexibilité qui implique la mise en parenthèses des « rigidités » de la doctrine, en particulier dans le domaine moral. Le pape a pour l’ancien Magistère, pour l’enseignement de Vatican II, et aussi pour les préoccupations théologiques de Benoît XVI, le respect que l’on a pour une personne âgée mais qui ne doit pas empêcher le souci de la vraie vie des gens d’aujourd’hui et de leurs problèmes concrets, ces gens pour lesquels le catholicisme doit être avant tout un message de joie et de miséricorde.
Quelle place reste, dans ce contexte, pour la discussion doctrinale en général, et pour la critique des textes conciliaires en particulier? L’orientation du pape Bergoglio met partiellement au chômage non seulement les théologiens traditionalistes, mais aussi les théologiens classiques, et même les théologiens progressistes – le pape étant, par sa disposition mentale, imperméable à cette tendance « de gauche » – sauf en ce qui concerne le libéralisme moral. Aujourd’hui, la réflexion intense et l’activité théologique et magistérielle qui a toujours circulé entre le pape et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, n’existe plus. On pourrait qualifier cette étonnante nouvelle situation qui prévaut dans les palais pontificaux – peut-être faut-il dire dans les « auberges pontificales » – comme le degré zéro de l’enseignement du magistère.
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Néanmoins, si le pontificat de François est en fait si peu favorable à l’expression du charisme critique de la Fraternité Saint-Pie X, il pourrait, paradoxalement, rendre l’obtention d’une reconnaissance canonique facile pour elle. La rencontre avec le Pape qui a été organisée pour Mgr. Fellay, il y a environ six mois, dans une salle de la Domus Sanctae Marthae, alors que lui et ses collaborateurs étaient conviés à un repas dans le réfectoire en compagnie de Mgr. Pozzo et Mgr. Di Noia, montre que des contacts permanents sont clairement rétablis entre les supérieurs de la Fraternité Saint-Pie-X et de la Commission Ecclesia Dei, et qu’ils sont approuvés par le pape. Sur quelles bases ont été rétablies ces relations? Précisément, du fait de l’absence d’intérêt du Pape pour questions herméneutiques concernant Vatican II, il semble que les fameuses « conditions » doctrinales présentées à Mgr. Fellay ont été rangées dans des cartons d’archives. C’est de toute façon ce qui ressort de l’information que les personnes en charge des relations avec les traditionalistes laissent filtrer : elles estiment qu’avoir voulu soumettre à la signature de l’évêque Fellay des déclarations doctrinales trop strictes a été une erreur.
Il est connu comme une question de fait que, pendant les négociations (septembre 2011 – juin 2012), la création d’une prélature personnelle, dont Mgr. Fellay aurait été le prélat-évêque, et la reconnaissance canonique de tous les fondements de sa société, ont été soumises à la condition suspensive de son adhésion à un Préambule doctrinal. Pour résumer, l’accord a échoué en juin 2012 sur les points suivants : l’évêque traditionaliste souhaitait déclarer qu’« il est légitime de promouvoir, par une discussion légitime, l’étude et l’explication théologique d’expressions ou de formulations du Concile Vatican II et du Magistère successif, dans le cas où ils ne semblent pas compatibles avec le Magistère antérieur de l’Église » ; ses interlocuteurs de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, élevant la barre, voulaient qu’il déclare qu’« il est légitime de discuter, d’étudier et d’expliquer, théologiquement, les expressions ou formulations du Concile Vatican II, en particulier pour aider à la compréhension de leur continuité avec le Magistère de l’Église avant ». Le « en particulier » rendait les deux formulations tout de même assez proches.
Quoi qu’il en soit, ces détails minutieux ne sont plus à l’ordre du jour. Alors, la Prélature de Saint Pie X est pour demain? Hélas ! Mgr. Fellay qui, en juin 2012, était complètement prêt à sauter le pas, en juillet 2014, n’est plus intéressé. La raison qu’il a donnée au pape lui-même lors de leur rencontre est que, s’il avait signé un accord, sa société aurait explosé. En réalité, après un chapitre général difficile, en juillet 2012, après l’exclusion de Mgr. Williamson et des membres plus «durs», le supérieur de la FSSPX a retrouvé son habituelle approche d’attendre et voir venir. Il faut reconnaître qu’il a des excuses : la destruction programmée des Franciscains de l’Immaculée, sous le prétexte qu’ils étaient «crypto-lefebvristes», une accusation absurde et sans fondement théologique, n’augure rien de bon pour une intégration canonique de la société fondée par Mgr. Lefebvre.
Mais quel est l’avis des membres – des prêtres, en tout cas – de la FSSPX ? Aucun sondage n’est disponible. Mais on sait que les prêtres qui sont les plus hostiles à un accord canonique craignent une contamination doctrinale et les inévitables compromis qui suivraient un accord. Ils sont une minorité mais, mais ont de l’influence. Quant à la grande majorité des prêtres de la FSSPX, les habitudes d’indépendance aidant, ils ne voient tout simplement aucun intérêt à se mettre dans un espace ecclésial officiel, ce qui est inquiétant. Seuls certains d’entre eux, les « accordistes », affirment que l’apostolat de la FSSPX serait multiplié par dix si elle jouissait d’une reconnaissance officielle, et ils soulignent aussi les dangers d’un fossé psychologique croissant entre la Fraternité Saint-Pie-X et le reste de l’Église. Ces préoccupations relèvent du bon sens, et même du sens catholique. Mais qu’est-ce que cela signifie d’être canoniquement « à l’intérieur »ou « à l’extérieur » aujourd’hui? Il faut avouer que, quand on entend, par exemple, les cardinaux de la sainte Église romaine mettre en cause pacifiquement l’indissolubilité du mariage, on a une certaine difficulté à dire qui est « à l’intérieur » de l’Église et qui est « à l’extérieur ». Qui est « à l’intérieur », Mgr. Fellay ou le cardinal Kasper ? Mais si Mgr. Fellay attend que le cardinal Kasper sorte pour entrer, il peut avoir à attendre longtemps. D’autre part, s’il était canoniquement à l’intérieur, il pourrait aider, peut-être pas à « sortir » Kasper, mais au moins, dans un premier temps, à aider à le marginaliser.