SOURCE - DICI - 7 août 2015
Le 13 juillet, de retour d’Amérique latine, le pape a répondu aux questions des journalistes qui l’accompagnaient dans l’avion. Ses réponses ont été tellement déconcertantes que le journaliste américain, John Allen, a pu écrire sur Cruxnow que François avait montré qu’il y avait désormais un nouveau dogme : la faillibilité pontificale.
Le pape semble n’éprouver aucune honte à admettre des erreurs, confessant son ignorance, et reconnaissant qu’il peut avoir lui-même donné lieu à des malentendus.
Qu’une telle candeur soit charmante ou simplement déroutante, laissant les gens se demander si le pape comprend réellement ce qu’il dit, c’est une question de perception. En tout cas, c’est devenu un trait caractéristique du style de François. Un exemple classique, presque emblématique, s’est passé dimanche (13 juillet), durant la conférence de presse en vol du souverain pontife sur le chemin du retour à Rome, après un voyage d’une semaine en Amérique latine.
Lors d’une séance de 65 minutes avec des journalistes, François a adopté son dogme de la faillibilité au moins sept fois :
- Interrogé sur un différend frontalier entre la Bolivie et le Chili, François a dit qu’il ne ferait pas de commentaire parce que « je ne veux pas dire quelque chose de faux » – un aveu indirect qu’il est capable de faire cela précisément.
- Sur une polémique en Equateur, à propos de ce qu’il entendait par l’expression « le peuple s’est levé », François a répondu qu’ « une phrase peut être manipulée » et que « nous devons être très prudents » – reconnaissant peut-être qu’il n’a pas toujours fait preuve d’une telle prudence.
- Interrogé sur les tensions entre la Grèce et la zone euro, François a dit qu’il avait une « grande allergie » aux questions économiques, et évoquant la comptabilité d’entreprise que son père pratiquait en Argentine, il a dit « je n’y comprends pas grand-chose ». Venant d’un pontife qui a fait de la justice économique et de la finance mondiale, une pièce maîtresse de sa rhétorique sociale, c’était un aveu renversant. Egalement sur la situation en Grèce, François a dit qu’il avait entendu parler, il y a un an, d’un plan des Nations Unies pour permettre aux pays de se déclarer en état de banqueroute, mais il a ajouté, « je ne sais pas si c’est vrai », et, chose remarquable, il a demandé aux journalistes voyageant avec lui de le lui expliquer, si c’était vrai, pour savoir de quoi il parlait.
- Sur les retombées aux Etats-Unis de son discours sur le capitalisme, François dit qu’il est au courant, mais qu’il a refusé de réagir parce que « je n’ai pas le droit d’exprimer une opinion isolée du dialogue ».
- Contesté sur la raison pour laquelle il parle autant sur les pauvres, mais relativement peu sur la classe moyenne, François a carrément concédé « c’est une erreur de ma part de ne pas y penser » et « vous me parlez de quelque chose qu’il faut que je fasse ».
- Interrogé pour savoir s’il craint que ses déclarations puissent être exploitées par les gouvernements et les groupes de pression, François a dit que « chaque mot » court le risque d’être pris hors contexte, et il a ajouté : « si je fais une erreur, avec un peu de honte, je demande pardon et je vais de l’avant ».
Pour être clair, c’est tout juste si François ne reculait pas dans sa critique cinglante de ce qu’en Bolivie, il a qualifié de système économique mondial qui « impose la mentalité du profit à tout prix » au détriment des pauvres. (…)
Ce qu’il a ajouté, toutefois, c’est une dose d’humilité personnelle, en reconnaissant un manque d’expertise technique et une capacité à l’erreur quand il parle sur ces questions, à la fois dans la substance de ses positions et dans la façon dont il les formule. (…)
Dans un sens, ce dogme de la faillibilité personnelle concorde avec le style général de François. Par exemple, il se réfère à lui-même comme « évêque de Rome » plutôt que « souverain pontife », et se déplace dans une Kia ou une Ford plutôt que dans la limousine traditionnelle. C’est un autre chapitre, avec d’autres mots, dans le cadre d’une « démythification » de la papauté en cours. (…)
Une telle « démythification » de la papauté – qui ne semble pas inquiéter J. Allen – est en réalité un affaiblissement de l’autorité pontificale discréditée par de nombreuses affirmations approximatives ou contradictoires. C’est ce que l’on perçoit nettement sur Chiesa, le 29 juillet, où Sandro Magister reprend les propos que le père Federico Lombardi, directeur du Bureau de presse du Vatican, a tenus dans un entretien accordé à la revue National Geographic du mois d’août, sous le titre « Le pape changera-t-il le Vatican ? Ou le Vatican changera-t-il le pape ? »
Le journaliste américain Robert Draper, auteur de l’article, rapporte quelques phrases d’une conversation que le père Lombardi a eue, à Rome, avec l’un de ses collègues, l’Argentin Federico Wals, qui a été l’attaché de presse de Jorge Mario Bergoglio lorsque celui-ci était à Buenos Aires. « Comment te sens-tu quand tu travailles avec mon ancien patron ? », demande Wals. Et Lombardi de répondre : « Désorienté ».
Il n’existe pas d’équipe parallèle, petite mais compacte, qui travaillerait au service personnel et direct du pape. Lombardi explique que chacun des collaborateurs de François, y compris les plus proches, connaît seulement une partie des décisions et des actes du souverain pontife. A titre d’exemple, le père Lombardi cite une rencontre, à la Maison Sainte-Marthe, entre François et quarante personnalités juives (vraisemblablement la rencontre du 18 septembre 2014 avec 40 représentants du Congrès juif mondial, ndlr), dont le bureau de presse et lui-même n’ont eu connaissance qu’une fois la rencontre terminée. « Personne n’est informé de la totalité de ce que le pape est en train de faire », explique Lombardi. « Pas même son secrétaire personnel. Je dois toujours passer une série de coups de téléphone : telle personne connaît une partie de son agenda, telle autre une autre partie ».
Il découle de tout cela que Bergoglio utilise l’un ou l’autre de ses confidents les plus intimes en fonction de ce qu’il souhaite et de leurs capacités respectives. Parmi ceux qui sont les plus proches de lui, certains sont argentins :
- Fabián Pedacchio Leaniz, son secrétaire personnel ;
- Guillermo Javier Karcher, cérémoniaire pontifical et responsable du protocole, le service de la secrétairerie d’Etat par lequel passent tous les documents du Saint-Siège ;
- Marcelo Sánchez Sorondo, chancelier des Académies pontificales des sciences et des sciences sociales ;
- Víctor Manuel Fernández, recteur de l’Universidad Católica Argentina de Buenos Aires et intellectuel de référence du pape, bien que ses activités en ce domaine soient loin d’être brillantes.
D’autres sont italiens :
- Antonio Spadaro, jésuite, directeur de la revue La Civiltà Cattolica ;
- Dario Edoardo Viganò, directeur du Centre de Télévision du Vatican et également préfet du Secrétariat à la communication récemment créé ;
- Battista Ricca, directeur de la Maison Sainte-Marthe, qui a été promu par François au poste de prélat de l’IOR [Institut pour les Œuvres de Religion], en dépit de ses antécédents scandaleux, en particulier à l’époque où il était conseiller à la nonciature de Montevideo, face à Buenos Aires sur le Rio de la Plata.
La structure de la curie n’est plus claire
En tout cas – toujours selon les termes mêmes du père Lombardi – même avec la curie proprement dite, le pape agit de manière non coordonnée, en s’appuyant tantôt sur tel ou tel fonctionnaire ou service, tantôt sur un autre : « François a réduit de manière drastique les pouvoirs du secrétaire d’Etat, en particulier dans le domaine des finances du Vatican. Et il y a un autre problème : la structure de la curie n’est plus claire. Le processus [de réforme] est en cours et personne ne sait ce qui en sortira en fin de compte. La secrétairerie d’Etat n’est plus au centre de tout, comme elle l’était précédemment, et le pape a beaucoup de contacts qui sont dirigés seulement par lui, sans aucun intermédiaire ».
Et cependant, ajoute Lombardi, ce désordre lui-même n’est pas sans présenter quelques avantages : « En un certain sens, il est positif car, dans le passé, des critiques ont été émises parce qu’il y avait des gens qui avaient trop de pouvoir sur le pape. On ne peut pas dire que ce soit encore le cas actuellement ».
Le père Lombardi démythifie également la stratégie du pape François dans le domaine géopolitique. Il fait la comparaison entre ce que Benoît XVI lui disait, après une rencontre avec tel ou tel leader mondial, pour lui donner la possibilité de rédiger un communiqué faisant la synthèse de l’entretien, et ce que lui dit aujourd’hui le pape François : « C’était incroyable. Benoît était d’une telle clarté. Il disait : ‘Voici de quoi nous avons parlé ; je suis d’accord en ce qui concerne ces points-ci, j’aurais des objections à faire à propos de ces points-là ; voici quel est l’objectif de notre prochaine rencontre’. En deux minutes, le contenu de l’entretien était parfaitement clair pour moi. Lorsque je suis avec François [je l’entends me dire] : ‘Celui-ci [que j’ai rencontré] est un homme sage ; voici les expériences intéressantes qu’il a vécues’. Pour François, la diplomatie n’est pas tellement une stratégie, mais plutôt quelque chose comme : ‘J’ai rencontré telle personne, maintenant il y a entre nous un rapport personnel, maintenant nous allons chercher à faire du bien aux gens et à l’Eglise’ ».
En revanche le père Lombardi – toujours dans l’article paru dans National Geographic – affirme avec insistance que François est « totalement spontané » même lorsqu’il accomplit des gestes éclatants comme, par exemple, l’accolade à trois que lui, le pape, l’imam musulman Omar Abboud et le rabbin juif Abraham Skorka, qui sont deux de ses amis argentins, se sont donnée à Jérusalem, devant le Mur Occidental.
Mais l’affirmation selon laquelle Bergoglio serait une personnalité entièrement instinctive, portée à l’improvisation, a été démentie, dans ce cas spécifique, par le rabbin Skorka. Celui-ci a déclaré qu’il avait discuté avec le pape de l’idée de l’accolade avant même leur départ pour la Terre Sainte. D’une manière générale, il existe de nombreux témoignages, émanant de gens qui connaissent Bergoglio de longue date, qui décrivent celui-ci comme un « joueur d’échecs », un calculateur raffiné, dont chaque journée est parfaitement organisée et chaque mouvement soigneusement étudié.
D’autre part, voici ce que François a lui-même déclaré à la revue La Civiltà Cattolica (19 septembre 2013 ; voir DICI n°282 du 04/10/13) dans un entretien qui est le plus important de ceux qu’il a accordés depuis qu’il est pape : « Je me méfie toujours de ma première décision, c’est-à-dire de la première idée qui me vient à l’esprit lorsque j’ai une décision à prendre. En général cette idée-là est erronée. Il faut que j’attende, que je fasse intérieurement une évaluation, en prenant le temps nécessaire pour cela ».
De même il est difficile d’attribuer son comportement au contact des foules, tellement souriant et extraverti, uniquement à une inspiration spéciale du Saint-Esprit, survenue à la suite de son élection au souverain pontificat, comme lui-même l’a affirmé quelquefois. Tous ceux qui le connaissent depuis longtemps et sont de ses amis, – le dernier en date à s’être exprimé à ce sujet étant l’archevêque Agostino Marchetto, dans un long entretien accordé à Critica marxista (revue italienne qui « veut repenser la gauche », ndlr) et publiée au mois de juin 2015 –, parlent de lui comme de « quelqu’un d’extrêmement sérieux, qui ne riait jamais, jamais ». Un changement aussi net dans le comportement extérieur ne peut pas ne pas résulter également d’une évaluation rationnelle de son opportunité.
Et l’on peut en dire autant en ce qui concerne l’évidente préférence du pape pour la communication orale par rapport à la communication écrite. Dans le numéro de L’Osservatore Romano qui a été publié le 15 juillet, Mgr Dario Viganò – c’est un spécialiste en la matière (nommé le 27 juin 2015 préfet du nouveau Secrétariat pour la communication, ndlr) – a démontré que cette préférence n’est pas dépourvue de tout lien avec une pondération consciente, de la part du pape, des avantages apportés par l’oralité.
Une communication orale trop désinvolte
Toutefois on peut ajouter que le pape commence à mesurer également les inconvénients d’une communication orale trop désinvolte. Lorsque, par exemple, François insiste sur la nécessité de soumettre les propos qu’il tient lui-même à une « herméneutique » correcte – comme il l’a fait au cours de la conférence de presse qu’il a donnée dans l’avion qui le ramenait à Rome à l’occasion de son dernier voyage – il pense peut-être également à la gaffe colossale qu’il a commise le 11 juillet à Asunción, dans une improvisation adressée aux représentants de la société civile et aux plus hautes autorités politiques du Paraguay.
En effet, à un moment donné, il a déclaré textuellement : « Il y a deux choses que, avant de terminer, je voudrais mentionner. Et cela, comme il y a des politiciens présents ici – y compris le président de la République – je le dis fraternellement, n’est-ce pas ? Quelqu’un m’a dit : ‘Ecoutez, telle personne a été séquestrée par l’armée, faites quelque chose’. Je ne dis pas que ce soit vrai, ou que ce ne soit pas vrai, que ce soit juste, que ce ne soit pas juste, mais l’une des méthodes des idéologies dictatoriales du siècle passé, auxquelles je me suis référé tout à l’heure, c’était d’éliminer les gens, ou par l’exil, ou par la prison, ou dans les camps d’extermination nazis ou staliniens par la mort, n’est-ce pas ? Pour qu’il y ait une vraie culture chez un peuple, une culture politique et du bien commun, [il faut qu’il y ait aussi] des procès rapides, des procès transparents. Et un autre genre de stratagème ne sert pas. La justice transparente, claire ! Cela va nous aider tous. Je ne sais pas si ça existe ici ou non, je le dis avec tout le respect. On m’en a fait part quand j’entrais. On me l’a dit ici. Et il m’a été demandé de prier pour quelqu’un. Je n’ai pas bien entendu le nom de famille ».
Le nom que François n’avait pas « bien entendu » était celui d’Edelio Murinigo, un officier qui est séquestré, depuis plus d’un an, non pas par l’armée régulière du Paraguay – comme le pape l’avait compris – mais par une soi-disant “Armée du peuple paraguayen” (Ejército del Pueblo Paraguayo), groupe terroriste marxiste-léniniste qui est actif dans le pays depuis 2008. Et pourtant, bien qu’il ait déclaré et souligné qu’il ne connaissait pas cette affaire, François n’a pas craint d’utiliser les informations peu nombreuses et peu claires qu’il avait mal entendues peu de temps auparavant pour accuser « fraternellement » le président du Paraguay, qui n’en était pas coupable, d’un crime qu’il a carrément assimilé aux pires atrocités nazies et staliniennes.
Il s’agit, là encore, d’une affaire qui donne raison au père Lombardi. Dans ce cas, l’impulsivité, la « spontanéité », l’ont emporté sur la pondération et il semble bien que le pape François ait concrétisé « la première idée qui me vient à l’esprit ».
(Sources : Chiesa/Cruxnow – trad. Ch. de Peychpeyrou/benoitetmoi – DICI n°319 du 07/08/15)