SOURCE - FSSPX Canada - Lettre du Supérieur - août 2015
Toutes ces observations nous conduisent à une conclusion : les mots catholiques ordinaires n'ont plus le même sens qu'ils avaient. Il est très important de tenir compte de cette réalité pour comprendre la crise de l'Église : les modernistes se servent de mots catholiques, mais leur donnent un nouveau sens.
Chers amis et bienfaiteurs,
Le pape François a publié une encyclique 'Laudato si' sur le soin à apporter au bien commun. Il entend par là l'environnement physique de la planète Terre.
Il y a une erreur à appeler 'Laudato si' une encyclique. D'après l'encyclopédie catholique de 1912 « dans les temps modernes, le terme encyclique s'emploie presque exclusivement pour désigner certains documents pontificaux qui sont adressés aux patriarches, primats, archevêques et évêques du monde catholique en grâce et communion avec le Siège Apostolique (…). Par leur nature, les encycliques concernent des sujets qui touchent le bien de l'Église en général. Elles condamnent quelque erreur, indiquent des dangers qui menacent la foi ou la morale, exhortent les fidèles à la persévérance ou prescrivent des remèdes afin d'aider à faire face aux dangers prévus ou déjà existants. »
Par exemple, Léon XIII d'heureuse mémoire avait avec raison adressé sa première encyclique «aux patriarches, primats, archevêques et évêques » dans un but précis : « afin que vous nous aidiez à poursuivre la lutte déjà engagée par l'Église de Dieu pour le salut des âmes ». (21 avril 1878)
Le pape François ne s'adresse pas aux patriarches, primats, etc. mais lance plutôt un appel à tous (nos 14, 64, etc.) et s'adresse à « toutes les personnes de bonne volonté » (no 62). De plus, il ne prétend pas enseigner (normalement un professeur enseigne, en latin magister, d'où le mot magistère de l'Église) mais il incite au dialogue, à la conversation, au débat : « J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète. Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous. » (no 14)
Comme résultat, le Saint-Père admet qu'il ne peut pas parler avec autorité : « Sur beaucoup de questions concrètes, en principe, l’Église n’a pas de raison de proposer une parole définitive». (no 61) « Dans certaines discussions sur des questions liées à l’environnement, il est difficile de parvenir à un consensus. Encore une fois je répète que l’Église n’a pas la prétention de juger des questions scientifiques ni de se substituer à la politique, mais j’invite à un débat honnête et transparent, pour que les besoins particuliers ou les idéologies n’affectent pas le bien commun. » (no 188)
Ainsi, le pape admet qu'il n'enseigne pas; néanmoins, il veut que son encyclique fasse partie de l'enseignement de l’Église. « J’espère que cette Lettre encyclique, qui s’ajoute au Magistère social de l’Église… » (no 15)
Toutes ces observations nous conduisent à une conclusion : les mots catholiques ordinaires n'ont plus le même sens qu'ils avaient. Il est très important de tenir compte de cette réalité pour comprendre la crise de l'Église : les modernistes se servent de mots catholiques, mais leur donnent un nouveau sens. Ici nous avons une encyclique bien différente des encycliques précédentes et on nous dit qu'elle fera partie du « Magistère social de l'Église ». C'est pourtant un texte qui n'a pas grand-chose en commun avec les encycliques Quas Primas de Pie XI au sujet du Christ-Roi ou Immortale Dei de Léon XIII sur la constitution chrétienne des États, deux encycliques enseignant la doctrine sociale de l'Église.
Dans son œuvre magistrale Iota Unum, Romano Amerio écrit au no 49 : « La profondeur des variations qui se sont opérées dans l'Église à la période postconciliaire ressort aussi des grands changements intervenus dans le langage ». Il continue en le prouvant par
* la disparition de certains mots comme 'enfer', 'paradis', 'prédestination';
* la transposition sémantique comme appeler le curé 'ouvrier paroissial', la messe 'Cène', l'autorité et n'importe quelle autre fonction 'services';
* le néologisme, le plus souvent une monstruosité philologique, parfois destiné à exprimer des idées nouvelles comme 'presbytéral' au lieu de prêtre ou 'eucharistie' au lieu de messe. Dans cette substitution de néologismes aux termes anciens se cache toujours un changement d'idées, ou tout au moins une nuance différente.
* D'autres mots qui n'avaient jamais eu cours dans les documents pontificaux et demeuraient relégués dans des domaines circonscrits ont acquis une diffusion prodigieuse comme le mot 'dialogue', précédemment tout à fait ignoré de l'Église. Vatican II, au contraire, l'employa vingt-huit fois.
S'il écrivait aujourd'hui, Amerio pourrait ajouter un nouvel abus de langage postconciliaire : se servir des mêmes mots, mais dans un sens différent et même contraire. Cela rend impossible une discussion sérieuse. Par exemple le mot 'Tradition', qui contient l'idée de recevoir quelque chose du passé et de le transmettre, a parfois de nos jours perdu sa référence au passé, et avec l’expression 'Tradition vivante' ne signifie plus que l’Église d'aujourd'hui. Le mot 'œcuménique' se rapportait à l'esprit missionnaire de l'Église cherchant à ramener au bercail les brebis qui s'en étaient éloignées; maintenant, on parle 'd'unité dans la diversité', du besoin d'unir toutes les religions telles qu'elles sont. (cf. Iota Unum no 245) Le cardinal Kasper l'a souvent répété : « Nous avons abandonné cet 'œcuménisme du retour' ».
Même le mot 'concile' a changé de sens. Se servir du mot 'concile' pour décrire une réunion pastorale où on a évité explicitement de se servir du langage de la théologie scolastique conduit à mettre en doute l'autorité même de ce concile. Que signifie une 'Constitution dogmatique' dans un concile pastoral qui a refusé de définir le dogme ou de condamner l'erreur? Ils ont gardé les mots, mais en ont changé le sens.
« La renonciation des Pères conciliaires au 'langage scolastique' a ouvert de fait, quasi officiellement mais presque sans bruit, les écluses pour une 'nouvelle théologie'… Les théologiens dirigeants virent bien sûr que dans cette question de langage il s'agissait de l'affaire de la théologie et de la foi. » (P. Johannes Dörmann, L'étrange théologie de Jean-Paul II, tome 1, Éditions Fideliter, p. 52)
Permettez que je finisse par les mots de l'encyclique Pascendi de 1907 dans lesquels on voit bien que saint Pie X se rendait compte que les modernistes se serviraient du langage pour changer la foi : « À la mission qui Nous a été confiée d'en-haut de paître le troupeau du Seigneur, Jésus-Christ a assigné comme premier devoir de garder avec un soin jaloux le dépôt traditionnel de la foi, à l'encontre des profanes nouveautés de langage comme des contradictions de la fausse science. Nul âge, sans doute, où une telle vigilance ne fût nécessaire au peuple chrétien : car il n'a jamais manqué, suscités par l'ennemi du genre humain, d’hommes ‘au langage pervers’ (Act., XX, 30), ‘diseurs de nouveautés et séducteurs’ (Tit., I, 10), ‘sujets de l'erreur et entraînant à l'erreur’ (2 Tim., III, 13) ».
Saint Pie X, priez pour nous, priez pour l'Église !
Bien vôtre au service de Jésus et de Marie Immaculée.
Abbé Daniel Couture