La liturgie de Noël est comme un prolongement du chant des anges dont les moines se font l’écho: Gloire à Dieu au plus haut des cieux ; et paix sur terre aux hommes de bonne volonté (Luc I, 14). L’Ordre bénédictin a comme devise: «Pax». Dès le prologue de la Règle, notre Père saint Benoît, s’appropriant un verset de la sainte Écriture, nous exhorte: «Cherche la paix et poursuis-la.» Le moine, serviteur du Christ Rex pacificus, le Roi pacifique, est un artisan de paix. «Est moine, disait saint Théodore Studite, celui qui, en possession de la paix avec Dieu, devient encore cause de paix pour les hommes.» De ce fait les bénédictins ont toujours eu une dévotion particulière pour la béatitude des pacifiques, celle des enfants de Dieu, les frères de celui qui est, selon saint Paul, notre paix.
Cependant, pour vivre vraiment en homme de paix, le moine doit s’oublier, se perdre en Dieu. «Aimer Dieu, écrivait dom Paul Delatte, c’est mettre son bonheur dans le bonheur de Dieu, et, comme Dieu est heureux, comme Dieu ne change pas, comme rien ne peut atteindre Dieu, aimer Dieu, c’est s’établir dans la paix et la stabilité parfaite.» Saint Grégoire a caractérisé d’un mot très heureux cette attitude profondément contemplative que notre bienheureux Père savait observer lui-même: «Sa vie s’écoulait toute sous le regard de la divine majesté ; il se considérait toujours devant la face de son Créateur.» Aussi n’a-t-il pu mieux faire, pour conduire ses disciples à la paix intérieure, que leur recommander de se considérer continuellement en présence de Dieu, «les yeux ouverts sur la lumière qui divinise» (prologue): «C’est de toute notre foi que nous croyons Dieu présent partout» (sainte Règle, c. XIX). L’abbesse madame Cécile Bruyère résumait ainsi notre vocation: «La vie contemplative, c’est réfléchir Dieu dans le fond de son âme, parce qu’on le regarde sans cesse, et tandis que nous le regardons, il s’imprime en nous.»
Le monastère, qui est dans le monde, mais non du monde, y représente une «vision de paix», une fenêtre ouverte sur le Ciel: «Si l’on peut penser, écrit le biographe de saint Hugues, que les habitants du Ciel peuvent se plaire en des domiciles humains de cette sorte, celui-ci mérite d’être appelé le promenoir des anges.» Dans son testament, le bienheureux Bernon, fondateur de Cluny, avait résumé en quelques mots quelle devait être la vie menée dans son monastère: «Par la miséricorde de Dieu qui nous voit en personne, je supplie les abbés et tous les moines qu’entre vous persévère l’unanimité.» De cette vie dans la charité découlera le repos de l’âme. «Sans charité, dit saint Augustin, point de paix. Aimez la paix, aimez le Christ. Car si l’on aime la paix, on aime le Christ.» Où est la charité, Dieu est ; où elle habite, Dieu réside, et avec lui toute sa douceur. C’est elle qui, d’avance, fait goûter cette unanimité et cette suavité qui seront celles de la vie bienheureuse. En résumé, la paix bé- nédictine est celle du moine qui cherche Dieu dans la concorde avec ses frères, dans l’unité d’âme avec eux, dans l’unanimitas. Les moines construisent, dans leur monastère, une Jérusalem spirituelle, une image de l’Église céleste qui présente aux autres chrétiens la réalisation de ce que nous cherchons tous: l’union dans la charité et la paix.
La paix annoncée par les anges la nuit de Noël n’est pas le fruit des conventions humaines: c’est Dieu lui-même, en nous. Le Christ est venu nous apporter cette paix: Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. (Jean XIV, 27) Avant de pouvoir la répandre, il faut d’abord que nous la recevions. Notre paix intérieure dépendra essentiellement de nos rapports avec Dieu. Tranquillus Deus tranquillat omnia, disait saint Bernard: «Le Dieu paisible pacifie toute chose.» Si l’on veut se fixer dans la paix, il faut se fixer en Dieu, s’enraciner en Dieu et en son amour. Oui, s’enfoncer, tous les jours un peu plus, dans le mystère insondable de Dieu, qui est Silence et Paix infinie. Dieu est un Océan de paix, on ne s’y immerge pas sans en revenir pacifié. Un seul regard dans les profondeurs de Dieu suffit à pacifier nos pauvres cœurs. Que la Vierge toute sereine nous établisse dans cette paix divine: Funda nos in pace. Qu’elle nous donne de plonger notre regard en Dieu avec amour, et de ne pas le détourner sur autre chose que lui seul.
Fr. Placide, o.s.b., Prieur