Essai La fraternité est une tâche permanente qui suppose le partage d’un même élan vital ancré dans le désir naturel de « bien faire le bien ».
• Le Prix de la fraternité. Retrouver ce qui nous unit, de Guillaume de Tanoüarn, Tallandier, 334 p., 18,90 €
La fraternité est souvent invoquée comme un remède politique aux maux de notre société. Pourtant, elle ne se décrète pas. Sur quoi donc la fonder ? comment la construire ? C’est à ces questions que tente de répondre cet essai.
Le père Guillaume de Tanoüarn, transfuge de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, et cofondateur de l’Institut du Bon-Pasteur en communion avec Rome, fait ici œuvre de philosophe. Pour exister, la fraternité a besoin d’une foi « capable de fédérer ceux qui s’y rattachent », soutient-il. « Non pas une foi confessionnelle ou cultuelle. Ni une foi surnaturelle. Une foi humaine, qui est absolument naturelle », et sans laquelle l’appel à la fraternité ne peut que retentir dans le vide. Pour exister, la fraternité a besoin d’une « transcendance commune qui la fonde et la garantisse ».
Cette conviction de départ amène le père de Tanoüarn à revenir aux classiques de la philosophie politique moderne pour les interroger « sur les chances que possède la fraternité de se développer dans leur monde à chacun ». Son parcours débute avec les premiers penseurs du libéralisme, Adam Smith et Mandeville, invitant à découvrir ce qui les distingue, au-delà de l’éloge de l’individu. Le premier croyait « à un ordre transcendant les individus, au sein duquel les injustices doivent peu à peu se résoudre ou se résorber », alors que pour le second, « au contraire, l’ordre se réalise de lui-même, mécaniquement sans aucune prétention morale ».
Un appel à « bien faire le bien »
« Chez Mandeville, il n’y a plus de grâce. L’égoïsme reste seul », résume le philosophe. Il poursuit la même démarche en comparant Hobbes et Rousseau, Voltaire et Diderot pour montrer qu’au-delà des apparences ces couples de penseurs ne cultivent pas les mêmes valeurs. De fait, leur monde respectif ne donne pas les mêmes chances à la fraternité.
Mais la réunion des conditions d’existence de la fraternité ne suffit pas à garantir son existence ! Il faut faire un pas en amont, et s’interroger sur ce qui « fonde la possibilité, au-delà des rivalités et des désirs contradictoires, d’une véritable fraternité humaine » indépendante des liens du sang. Et c’est chez Augustin que le philosophe dit trouver la « ressource intérieure » commune à tous, à partir de laquelle « peut s’élaborer humainement une fraternité politique ».
De l’évêque d’Hippone, un des rares théologiens « vraiment existentiels dont le message (…) reste accessible à tous au nom de cette existence commune », l’auteur retient la défense d’une foi naturelle dans le bien, un appel à « bien faire le bien » qui retentit dans la conscience de chacun, et qui est à l’origine d’une préférence pour la bienveillance sur le chaos qui se manifeste encore aujourd’hui : « Il est frappant de constater que notre époque, qui semble avoir voulu se séparer définitivement du christianisme, a gardé cette valeur du service, comme un signe évident du bien. Qu’est-ce que servir, sinon mettre quelque chose au-dessus de soi ? », relève Guillaume de Tanoüarn.
Ne pas faire de la fraternité un slogan
La réflexion se poursuit avec saint Thomas, « le premier théoricien de la fraternité », qui aide « à voir clair sur ce premier élan d’amour, sur cette fraternité native qui est en nous et qui attire comme malgré nous notre liberté vers un bien qui nous dépasse ». Cette connaissance, aussi appelée “loi naturelle”, « est innée et elle n’a rien à voir ni avec l’intérêt ni avec un calcul rationnel du maximum de plaisir des individus. Tel est l’amour naturel, cet attrait pour le bien que chacun perçoit à sa hauteur », résume l’auteur.
La dernière partie du livre quitte « le point de vue de Sirius » pour se demander comment aujourd’hui « bâtir une nouvelle société de croyants » partageant un même élan de vie. Laïcité, multiculturalisme, dialogue des croyants…, les dossiers ne manquent pas où la fraternité est en jeu.
Le propos est toujours intéressant et bien informé, même si tout n’est pas également convaincant. En tout cas, le père de Tanoüarn invite à ne pas faire de la fraternité un slogan : elle exige un effort permanent des uns et des autres pour la raviver. La tradition philosophique et théologique occidentale peut utilement y contribuer pour le bien de tous. Ce que montre avec brio ce livre.
Dominique Greiner