10 octobre 2018

[Paix Liturgique] La face traditionnelle de Paul VI

SOURCE - Paix - lettre 664 - 10 octobre 2018

Paul VI, pape-Janus, à deux visages? Son prochaine canonisation le dimanche 14 octobre 2018 soulève des réactions diverses, comme plus généralement les béatifications et canonisations très rapides de tous les papes
qui ont présidé ou qui ont succédé au concile Vatican II. Nous n’avons pas la compétence pour entrer dans ces discussions, ni dans celles concernant l’autorité de ces canonisations à marche forcée. 
En revanche, nous voudrions donner notre sentiment sur le jugement assez courant qui classe et oppose les papes du Concile et de l’après-Concile, en «libéraux» (Paul VI, le Pape François), d’une part, et en «restaurationnistes» (Jean-Paul II, Benoît XVI), d’autre part. Les choses nous paraissent autrement complexes, spécialement en ce qui concerne Paul VI. 
Sans doute a-t-il présidé un concile qui a apporté dans l’Eglise un bouleversement dont plus personne aujourd’hui n’ose affirmer qu’il a été un merveilleux «printemps». Sans doute est-il le pape qui a promulgué des textes fondateurs de doctrines particulièrement novatrices comme celle de l’œcuménisme. Sans doute – et cela nous est particulièrement sensible – est-il l’homme d’une réforme liturgique, que nous qualifierions plus volontiers de révolution. 
Et cependant, il est aussi l’auteur d’une série de textes en sens opposé qui, à notre avis, lui mériteraient tout autant que Jean-Paul II, la qualification de pape de «restauration», ce qui, par la même occasion, permet de préciser la compréhension ambivalente de ce terme qui tire son origine du thème développé par le cardinal Joseph Ratzinger dans son Entretien sur la foi de 1985.
3 septembre 1965 : Mysterium fidei et la foi en l’eucharistie

Dans l’atmosphère de libération théologique qui accompagna le concile Vatican II, des remises en cause de la foi en la présence réelle dans l’eucharistie se sont multipliées, et ce d’autant plus que les bouleversements de la réforme liturgique étaient lancés depuis 1964.

En publiant l’encyclique Mysterium fidei, le 3 septembre 1965, Paul VI répondait à des inquiétudes gravissimes : «Nous savons en effet que parmi les personnes qui parlent ou écrivent sur ce mystère très saint, il en est qui répandent au sujet des messes privées, du dogme de la transsubstantiation et du culte eucharistique certaines opinions qui troublent les esprits des fidèles ; elles causent une grande confusion d’idées touchant les vérités de la foi, comme s’il était loisible à qui que ce soit de laisser dans l’oubli la doctrine précédemment définie par l’Église ou de l’interpréter de manière à appauvrir le sens authentique des termes ou énerver la force dûment reconnue aux notions».

Certains, disait Paul VI, voulaient que la présence réelle soit exprimée différemment. Très couramment, d’ailleurs, des fidèles refusaient de communier avec des hosties qui n’avaient pas été consacrées lors de la messe. Certains niaient la présence du Christ dans les hosties consacrées restant après la messe : la présence réelle était, selon eux, attachés à la communauté célébrant l’eucharistie. Paul VI dénonçait donc des théories parlant de «transsignification» ou de «transfinalisation» (le signe sacramentel occasionnerait un changement de signification ou de finalité du pain et du vin) qui entendaient se substituer au terme, dogmatiquement consacré, de transsubstantiation. Et de réaffirmer : «Cette présence, on la nomme "réelle", non à titre exclusif, comme si les autres présences n'étaient pas "réelles", mais par excellence ou "antonomase", parce qu'elle est substantielle, et que par elle le Christ, Homme-Dieu, se rend présent tout entier».

24 juin 1967 : Sacerdotalis cælibatus et la défense du célibat ecclésiastique

Durant le Concile, la question du célibat ecclésiastique dans l’Eglise latine fut pas mal discutée. Elle était théoriquement malmenée par la tendance libérale, mais l’était aussi pratiquement, dans la mesure où de très nombreux prêtres et religieux quittaient leur état pour prendre femme. Certains voulaient tout de même, ce faisant, conserver des fonctions sacerdotales!

Paul VI intervint publiquement par une lettre au cardinal Tisserant, Doyen du Sacré Collège et l’un des présidents de l’assemblée conciliaire, en octobre 1965: «Il n’est pas opportun de débattre publiquement de ce thème qui requiert la plus grande prudence et revêt une telle importance. Et Nous avons le propos, non seulement de conserver autant qu’il est en Nous cette loi ancienne, sainte et providentielle, mais encore de renforcer son observance, rappelant les prêtres de l’Eglise latine à la conscience des causes et des raisons qui aujourd’hui, aujourd’hui précisément de façon spéciale, font que l’on doit considérer cette loi du célibat comme très adaptée parce que par elle les prêtres peuvent consacrer tout leur amour uniquement au Christ et se donner totalement et généreusement au service de l’Eglise et des âmes».

L’hémorragie de prêtres qui «quittaient» était considérable. Le P. Salvini dans La Civilta Cattolica, le 21 avril 2009, évaluait à environ 70.000 le nombre de prêtres qui avaient abandonné le ministère pour se marier depuis le Concile, la période de 1965 à 1980 ayant été la plus aigue et la plus dramatique.

Deux ans après la fin de Vatican II, le 24 juin 1967, Paul VI publia l’encyclique Sacerdotalis cælibatus sur le célibat sacré, qui «conserve toute sa valeur également à notre époque caractérisée par une transformation profonde des mentalités et des structures». Dans ce texte, un des plus beaux qu’il ait composés, même s’il est très marqué par le style ecclésiastique de l’immédiat après-Concile, Paul VI rappelait entre autres le sens christologique du célibat des prêtres : «La somme des idéaux les plus élevés de l’Evangile et du royaume» font ainsi «la dignité et le caractère désirable du choix de la virginité pour ceux qu’appelle le Seigneur Jésus, et qui entendent ainsi participer non seulement à sa fonction sacerdotale mais partager également avec lui l’état de vie qui fut le sien».

Texte qui acquiert une nouvelle actualité, alors que de nouvelles entreprises remettent aujourd’hui en cause la discipline latine par des voix comme celle du cardinal Marx, archevêque de Munich, et par le biais du document préparatoire du Synode sur l’Amazonie, d’octobre 2019, lequel suggère «un type de ministère officiel» qui pourrait être confié aux femmes (le diaconat féminin) et laisse ouverte, comme on dit, la question de l’ordination d’hommes mariés.

30 juin 1968 : le Credo du Peuple de Dieu

La tourmente postconciliaire ne cessant de s’aggraver, Paul VI décida que, du 29 juin 1967 au 29 juin 1968, serait célébrée une «année de la foi», à la fin de laquelle, il proclama un Credo du peuple de Dieu, le 30 juin 1968. Très caractéristique des hésitations du pape Montini est le fait qu’il ait d’abord demandé au P. Congar de rédiger un Credo. Il s’adressa ensuite au cardinal Journet, qui lui-même proposa une rédaction de Jacques Maritain, qui venait de rédiger un essai alarmant : Le paysan de la Garonne. Un vieux laïc s’interroge à propos du temps présent (DDB, 1966).

Dans son Credo, Paul VI rappelait les grandes propositions de la foi catholique, notamment celles les plus contestées au sein même de l’Eglise. Jean Madiran regrettait certes, à l’époque, que Paul VI ne fît ce rappel que comme une profession de foi personnelle, pas de Pape qui oblige à croire, et surtout de manière seulement «positive», sans préciser que ceux qui n’adhéraient pas aux dogmes catholiques avaient fait naufrage dans la foi et ne faisaient plus partie de l’Eglise. Mais il énonçait clairement, par exemple : «Nous croyons qu’en Adam tous ont péché, ce qui signifie que la faute originelle commise par lui a fait tomber la nature humaine, commune à tous les hommes, dans un état où elle porte les conséquences de cette faute et qui n’est pas celui où elle se trouvait d’abord dans nos premiers parents, constitués dans la sainteté et la justice, et où l’homme ne connaissait ni le mal ni la mort».

Concernant le sacrifice de la messe, il adoptait, il est vrai, la thèse de Maritain, Journet et d’autres, lesquels gênés par l’affirmation tridentine que la messe est un sacrifice sacramentel référé à celui du Golgotha, estimaient que la messe est plutôt le sacrifice de la Croix, capté en quelque sorte par la célébration eucharistique (voir notre lettre n. 623) : «Nous croyons que la messe célébrée par le prêtre représentant la personne du Christ en vertu du pouvoir reçu par le sacrement de l’ordre, et offerte par lui au nom du Christ et des membres de son Corps mystique, est le sacrifice du calvaire rendu sacramentellement présent sur nos autels.

Mais, très classiquement, Paul VI affirmait la présence réelle du Christ dans l’eucharistie : «Le Christ ne peut être ainsi présent en ce sacrement autrement que par le changement en son corps de la réalité elle-même du pain et par le changement en son sang de la réalité elle-même du vin, seules demeurant inchangées les propriétés du pain et du vin que nos sens perçoivent. Ce changement mystérieux, l’Église l’appelle d’une manière très appropriée transsubstantiation».

25 juillet 1968 : Humanæ vitæ et la condamnation de la contraception

Et au sommet de ces mises en garde, vint le rappel moral qui déclencha le plus de contestations dans les décennies qui suivirent. Paul VI empêcha le Concile, dans Gaudium et spes, de se prononcer au sujet de la contraception (tout laissait craindre que ce serait en un sens libéral), au motif qu’une commission pontificale créée par Jean XXIII en 1963 étudiait cette question. Malheureusement, durant quatre ans, le pape laissa l’affaire en suspens, ce qui eut des effets désastreux, et par la suite indéracinables, dans la pratique des couples catholiques.

Pour forcer Paul VI a prendre parti dans un sens permissif, des fuites furent organisées qui permirent de savoir qu’en 1966, par 15 voix contre 4, la commission avait déclaré que la contraception artificielle n'était pas intrinsèquement mauvaise.

Malgré cela et malgré toutes les pressions, comme celles du cardinal Suenens de Malines-Bruxelles, et notamment en raison de l’insistance en sens inverse de Karol Wojtyla qui, devenu Jean-Paul II, sera un grand défenseur de la doctrine traditionnelle du mariage, Paul VI, par l’encyclique Humanæ vitæ du 25 juillet 1968, condamna la contraception : «Est exclue toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation».

1968, il y a cinquante ans, devint alors un Annus horribilis pour le pape Montini, qui vit monter la contestation de toutes parts, du côté progressiste, contre Humanæ vitæ, promulguée le 25 juillet, et du côté traditionnel, contre le nouvel Ordo Missæ, approuvé par lui le 6 novembre.

Et dans l’Église, les maux ne cessaient d’empirer, au point que le 29 juin 1972 le malheureux pontife en vint à affirmer qu'il avait «le sentiment que par quelque fissure, la fumée de Satan est entrée dans le temple de Dieu». «Il y a le doute, disait-il, l'incertitude, la problématique, l'agitation, l'insatisfaction, l'affrontement. […] On croyait qu'après le Concile, il y aurait une journée ensoleillée dans l'histoire de l'Église. Il est venu à la place une journée de nuages, de tempête, de ténèbres, de recherche, et d'incertitude». 

Pyromane qui se fait pompier, a-t-on souvent commenté. Cependant, il est clair que toute l’entreprise dont on crédite Jean-Paul II et de Benoît XVI pour tenter d’encadrer le concile Vatican II et pour écarter les «abus» a son origine dans ce désir de «recentrement» exprimé pathétiquement par Paul VI lui-même. Le nier serait injuste. Et si l’on affirme que ce recentrement de Paul VI n’était au fond qu’une tentative thermidorienne, qui voulait empêcher les excès de la révolution sans revenir sur les racines du mal, on porte du même coup cette critique contre Jean-Paul II et Benoît XVI. 

De notre point de vue – la défense de la messe traditionnelle – nous retiendrons que la première lueur concernant la célébration de la messe ancienne fut l’indult de la Congrégation du Culte divin du 5 novembre 1971, donnant aux évêques d’Angleterre et du Pays de Galles la faculté de permettre à certains groupes de fidèles, en des occasions spéciales, de participer à la messe célébrée «selon les rites et les textes du missel romain précédent». A cause de la signature de l’illustre romancière anglaise, Agatha Christie, donnée à la pétition de protestation qui avait précédé cette mesure, on qualifia cette permission d’«indult Agatha Christie». Cette autorisation de PaulVI lui-même de célébrer selon le missel antérieur servira de précédent, lors des décisions qui élargiront cette permission, Quattuor abhinc annos de 1984, Ecclesia Dei adflicta de 1988, Summorum Pontificum de 2007. Il est d’ailleurs significatif que ce pape, dont on disait qu’il avait le caractère hésitant d’Hamlet, ait d’une main enterré la messe tridentine et de l’autre ouvert une première possibilité pour continuer à la célébrer.