Plus j'y pense, plus je me pose la question : Qui se cache derrière Sénèze ?
Certains ont exprimé ici ou là, sur ce forum, l'opinion selon laquelle le débat avec Nicolas Senèze était parfaitement inutile voire inconvenant (car ce serait déchoir que de discuter avec un vulgaire journaliste de "La Croix"). A quoi je réponds en demandant : n'y a t-il pas, derrière Sénèze, plus que Sénèze ?
Mon idée est qu'en écrivant son livre sur l'intégrisme, ce journaliste de "La Croix" était en réalité en service commandé. Il a dit lui-même que nous ne l'intéressions pas du tout, qu'il ne peut supporter notre messe hiératique, qu'il ne lirait pas la méchante prose de l'abbé Célier s'il n'y était obligé, etc. Mais en ce cas, pourquoi faire un livre sur nous ? Pourquoi, si ce n'est parce qu'il en a reçu la mission ?
De qui ? La réponse est simple : du noyau dirigeant de l'épiscopat français (dont "La Croix" est le porte-parole officieux, comme chacun sait).
Madiran a rapporté (dans "Itinéraires" nº 132, page 7) comment, en mai 1955, il fut subitement attaqué, sans raison visible, par le journal "La Croix". L'abbé Berto lui fit alors cette simple remarque : "C'est un article inspiré".
Madiran raconte :
« J'étais jeune, je ne compris pas la portée de cette remarque, qui me parut creuse et presque comique (et qui se fixa dans ma mémoire pour cette raison). Et qui me parut invraisemblable absolument. J'avais la candeur de croire que les évêques ne pouvaient pas (etc.) »
Du livre de Senèze, on peut dire la même chose : c'est un livre inspiré. Non par le Saint-Esprit, assurément, mais par Mgr Hippolyte Simon ou quelque autre de ses confrères. (Je pense à Mgr Simon pour diverses raisons, et notamment pour le renversement idéologique qui voudrait présenter Mgr Lefebvre – dont toute la vie fut centrée sur la défense du sacerdoce – comme un "anticlérical" !)
Comment expliquer, sans cela, que Senèze défende absolument l'idée qu'il n'y aurait plus, actuellement, d'abus liturgiques en France ? Qui peut prétendre sans rire une chose pareille, sinon un des membres ou un des représentants du noyau dirigeant de notre épiscopat ? (Et l'on sait que c'est un des messages principaux que ces évêques s'emploient actuellement à faire passer vers Rome : Ne croyez pas ces abominables tradis qui nous calomnient sans cesse : la liturgie est chez nous d'une solennité et d'une rigueur sans égales, et, s'il y a peut-être eu quelques abus ici ou là dans les années 70 (on n'en est pas bien sûr, mais les méchants tradis le répètent tellement qu'il y a peut-être, sous les exagérations exponentielles dont ils sont coutumiers, quelque fondement à leurs plaintes), une chose est sûre : on en est sorti depuis longtemps, et tout spécialement depuis que nous, qui vous parlons, sommes installés comme évêques.)
Comment expliquer cette insistance sur la bonté et la mansuétude dont les "tradis" auraient toujours été l'objet ? Ce refus d'admettre que l'épiscopat français ait pu avoir quelque responsabilité que ce soit dans ce que l'auteur appelle "la crise intégriste" ?
De la part d'un observateur vraiment indépendant, une vue aussi manichéenne des choses serait absolument inexplicable.
La seule solution, à mon avis, est la suivante : Nicolas Senèze écrit ce livre comme un avocat défend un client, et il suit les consignes (plus ou moins explicites) du "Parti".
Les grandes thèses qu'il défend peuvent donc être tenues pour celles de nos évêques (ou, plus exactement, du "noyau dirigeant de notre épiscopat" ; l'expression est un peu lourde, mais je la croix exacte, et elle évite de mettre tous nos évêques dans le même sac).
Ces thèses sont véritablement effarantes (et il fallait un journaliste jeune, et n'ayant pas connu les années 1970, pour pouvoir les défendre de bonne foi) :
1. — La "nouvelle messe" n'existe pas. C'est une invention des tradis. Paul VI a seulement un peu réaménagé le missel romain, comme ses prédécesseurs. Mais les méchants tradis qui étaient à l'affut d'une occasion de s'opposer au pape (car c'est leur but dans la vie, à ces tradis : s'opposer au pape) ont inventé qu'il s'agissait d'une "nouvelle messe". Malheureusement, Paul VI est tombé dans le panneau.
2. — Vatican II n'est absolument pour rien dans la crise. Il n'y a eu aucune désaffection de masse envers l'Église durant les années 70. Au contraire, cela a fait venir tous ces gens qu'on peut voir actuellement dans nos paroisses (et qui, notons-le, sont bien plus nombreux que les méchants tradis). S'il n'y avait pas eu Vatican II, aucune de ces personnes ne serait plus catholique et il ne resterait plus, dans l'Église, que les tradis. C'est dire le désastre auquel ce concile providentiel nous a fait échapper. Si quelques personnes sont peut-être parties à ce moment (on n'en est pas bien sûr, mais les méchants tradis le répètent tellement qu'il y a peut-être, sous les exagérations exponentielles dont ils sont coutumiers, quelque fondement à leurs plaintes), c'est à cause de ce qui se faisait avant le Concile.
Ajoutons à cela quelques arguments qui ne dépareraient pas dans le théâtre comique d'Aristophane, comme l'accusation portée aux méchants tradis d'influencer en leur faveur la moyenne d'âge, en ayant des familles de huit enfants ! (C'est de la triche !)
Mais voyons surtout le grand argument-massue de notre avocat : la crise avait commencé avant Vatican II !!! Comme si quelqu'un le niait ! Et comme s'il était absolument incompréhensible qu'un gouvernement sans Dieu, des lois sans Dieu, une école sans Dieu imposés pendant près d'un siècle à un peuple catholique finissent par entraîner une certaine déchristianisation ! Le contraire serait tout simplement miraculeux ! Mais le problème est qu'au lieu de lutter contre le mal, on s'est employé, à partir du Concile, à l'admettre et l'encourager. Au lieu de lutter contre l'influence déchristianisante, on s'est ouvert à elle !
Qui peut nier, d'ailleurs, que le mouvement de déchristianisation (qui avait, certes, commencé avant Vatican II) n'ait connu une formidable amplification à partir des années 1960 ? Oui, qui peut nier cela, sinon un journaliste suffisamment jeune choisi précisément pour défendre cette thèse par les principaux responsables du désastre (ou, du moins leurs successeurs immédiats) ?
Telle est, à mon avis, la portée du débat avec N. Senèze.
Il nous montre les convictions et les intentions du parti actuellement au pouvoir dans l’Église de France. Il nous montre leur haine résolue de la Tradition. L’attachement qu’ils vouent à leur idéologie (prêts à nier, pour la défendre, les évidences les plus aveuglantes).
Mais il nous montre aussi leur agressivité, et dissimule mal leur désarroi, face à une situation qui commence à leur échapper.
Le fait qu'ils aient senti le besoin de faire écrire un tel livre est à lui seul révélateur.
Et cela, c’est une bonne nouvelle.