17 avril 2008

[Jean Madiran - Présent] Dom Gérard et la messe

SOURCE - Jean Madiran - present.fr - 17 avril 2008

Dom Gérard et la messe
par Jean Madiran

Il n’y aurait donc plus de problème avec la nouvelle messe de Paul VI. La mouvance traditionnelle elle-même a enfin compris la nécessité de l’admettre telle quelle. La reconnaissance de cette nécessité, eh bien ce fut Dom Gérard le moteur d’un tel miracle. On l’en félicite ou on le lui reproche, mais enfin c’est bien lui qui l’a fait : un mois après ses funérailles, voilà déjà ce que l’on pouvait entendre et lire en substance, voire littéralement.
Si on laisse passer aujourd’hui, que n’inventera donc pas dans un an.

Bref avertissement. – Il faut d’abord savoir de quoi l’on parle et ce que signifient les mots que l’on emploie. C’est l’usage qui en est le grand maître. Quand les gens entendent parler de « messe de Paul VI », de « nouvelle messe » ou de « nouvel Ordo Missae », ils comprennent qu’il s’agit des célébrations auxquelles ils assistent (ou participent) dans les paroisses, depuis presque quarante ans.
En réalité ce ne sont pourtant pas, la plupart du temps, des « messes de Paul VI » mais, au mieux, des « messes issues de la messe de Paul VI ».
Avec Jean-Paul II
En 1995, à la tête d’un important pèlerinage à Rome, Dom Gérard apportait au Pape une caisse de carton contenant 70.000 signatures en faveur du rite traditionnel.
Jean-Paul II lui accorda une audience qu’il programma comme faisant suite à une concélébration dans sa chapelle privée. C’était une marque d’estime et un grand honneur d’être invité à concélébrer avec le Pape… mais dans le rite de Paul VI, ce n’était pas forcément une attention délicate. On aurait attendu plutôt l’inverse : la concélébration avec le Souverain Pontife existe en effet dans le rite romain traditionnel. (L’attente, d’ailleurs, se prolonge, pourquoi le taire, on peut le dire en tout respect, l’attente d’une messe célébrée par le Pape selon ce que Benoît XVI a finalement nommé le « rite extraordinaire ».) A l’occasion de cette concélébration, Dom Gérard eut l’occasion de rappeler publiquement quelque chose de bien connu, « la validité et l’orthodoxie » du nouveau rite promulgué par Paul VI.
Le terme d’« orthodoxie » choqua le cher abbé Paul Aulagnier. En l’occurrence il signifiait simplement que, dans son texte authentique, la nouvelle messe n’est pas hétérodoxe, elle n’est pas hérétique. C’est ce que dirent dès 1969 le cardinal Ottaviani, Cristina Campo, Guérard des Lauriers, Raymond Dulac, Louis Salleron (etc.) ; et c’est ce qui est resté constamment admis par la plupart de ceux qui ont émis des doutes, des réserves, des objections à l’encontre de cette artificielle fabrication, « pernicieuse par son caractère évolutif et œcuménique ».
En France
L’année suivante, Dom Gérard s’est trouvé dans une situation analogue quand il s’est agi de faire entrer le Barroux dans la conférence monastique de France.
Les évêques susceptibles d’accepter une fondation du Barroux dans leur diocèse étaient contraints, au nom d’une « collégialité » manipulée par son noyau dirigeant, de refuser leur autorisation aussi longtemps que le Barroux ne serait pas admis dans la conférence monastique. Celle-ci, probablement sous la pression du même noyau dirigeant, exigea, pour une telle admission, deux concélébrations et, en outre, l’assurance de ne jamais interdire aux prêtres du Barroux de concélébrer en dehors de leur monastère. Cette dernière exigence, Dom Gérard a reconnu plus tard qu’il aurait pu la rejeter en se retranchant sur le droit propre de la communauté du Barroux, fondé sur les Déclarations, approuvées par Rome, auxquelles les moines du Barroux sont solennellement liés par leurs vœux de religion. On y lit en effet : « Vie monastique selon la Règle de saint Benoît et les coutumes léguées par nos anciens, l’office divin et la liturgie de la messe célébrés selon les rites plus que millénaires de la Sainte Eglise Romaine, dans la langue latine : telles sont les deux sources qui ont donné naissance à la communauté du Barroux et constituent sa raison d’exister. » Ce n’est pas un indult dont il serait loisible d’user ou de ne pas user, et qui pourrait être supprimé, c’est ce que le droit canon appelle une lex propria, c’est la « loi propre » de la communauté du Barroux.
Selon une thèse contraire, aucun supérieur religieux ne pourrait interdire à un prêtre de concélébrer selon le « rite ordinaire ». C’est peut-être là une de ces quaestiones disputatae où diverses opinions sont libres de s’opposer les unes aux autres.
Un cas particulier
En tout cas voilà tout ce que l’on peut trouver chez Dom Gérard qui paraisse « en faveur » (?) de la messe nouvelle. Il ne s’en est point caché, cela est de notoriété publique, il a dit ce qu’il avait à en dire, et il n’y a vraiment pas de quoi en faire de lui le moteur ni même un bienveillant accompagnateur du ralliement (qui d’ailleurs n’a pas eu lieu) de la mouvance traditionnelle à une prétendue « nécessité » de la nouvelle messe. Dans la formation qu’il leur a donnée, il a toujours dit à ses moines de s’en abstenir à l’extérieur comme à l’intérieur du monastère. Il aimait mentionner les quatre années où trois moines du Barroux, étudiants à Rome et logés à l’abbaye Saint-Anselme, ont à contre-courant respecté la règle de refuser toute concélébration.
Autrement dit, ce qu’il a été amené à faire en certaines circonstances doit être – pour reprendre une formule officielle employée par le Saint-Siège dans une tout autre affaire – considéré comme « un cas particulier qui ne saurait être généralisé ». Dom Gérard lui-même s’est élevé, et parfois par écrit, contre une telle généralisation :
– Je regrette infiniment, protestait-il, que les deux concélébrations que j’ai consenties pour le bien de notre fondation d’Agen puissent créer un précédent dont on s’autoriserait à tort, non seulement pour en poursuivre et multiplier la pratique, mais aussi et surtout pour le reconnaître comme l’exercice d’un droit.
Gravement, il ajoutait à ce sujet :
– Il me revient le droit d’interdire formellement que l’on s’autorise de moi pour faire le contraire de ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité contre vents et marées.
Par « principe »
Selon une vue sommaire, qui est un piège, il ne pourrait y avoir que deux attitudes : ou bien reconnaître la « nécessité d’adopter » la nouvelle messe, ou bien la « refuser par principe ».
Mais « par principe » a un sens propre et un sens figuré.
Au sens propre, refuser la nouvelle messe par principe, ce serait la déclarer invalide ou hérétique.
Au sens figuré, c’est s’en abstenir partout et toujours.
La plupart des prêtres et des fidèles qui s’abstiennent partout et toujours de la nouvelle messe ne la croient cependant ni hérétique ni invalide.
D’ailleurs, dans la plupart des cas, ce n’est point de la « messe de Paul VI » qu’ils s’abstiennent, mais en fait de « messes issues de la messe de Paul VI » dont la valeur est manifestement incertaine.
Et puis…
Ce qui contribue à tout brouiller, c’est aussi, voire d’abord, l’usage de catégories artificielles qui enferment (et déforment) les réalités dans une opposition dialectique entre « ouverture » et « ghetto », « avenir » et « passé », « positif » et « négatif », « largeur d’esprit » et « fermeture ». Ce vocabulaire, ces concepts, ces critères sont d’esprit marxiste-léniniste, ils ont, dans nos démocraties occidentales, survécu à l’effondrement de la Russie soviétique. Les médias en demeurent pourris. La contagion, si l’on n’y veille, n’en épargne personne.

La rumeur dont nous parlons, la mauvaise rumeur, orale ou imprimée, semble n’avoir pas tout à fait ignoré la fermeté de Dom Gérard face à la nouvelle messe : alors elle trouve commode de supposer que ce fut à la fin de sa vie. Tardivement, sa position serait devenue moins irénique, plus sévère, parce qu’il serait devenu attentif aux effets catastrophiques de la réforme liturgique. Comme s’il n’en avait rien aperçu quand il se faisait (sans motif ?) ermite à Bedoin.

Jusqu’ici, on n’avait entendu aucun prêtre, aucun laïc déclarant avoir été amené par Dom Gérard à reconnaître la nécessité du nouveau rite. Si maintenant il existe une exception, ce doit être un malentendu.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 6571 de PRESENT du Jeudi 17 avril 2008, pp. 1 et 3