SOURCE - François-Xavier Maigre - La Croix - 9 juin 2010
Depuis la publication du motu proprio Summorum Pontificum en 2007, plus de 200 paroisses françaises proposent désormais la messe selon la forme extraordinaire du rite romain.
Nichée sur les hauteurs de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), l’église Notre-Dame-des-Airs est une paroisse presque comme les autres. Chaque dimanche, deux célébrations s’y succèdent, l’une en début de matinée, l’autre un peu plus tard, comme cela se pratique un peu partout en Île-de-France pour répondre à la forte demande des fidèles de cette région de l’ouest parisien.
Comme les autres ? Pas tout à fait. Car cette petite église – l’une des quatre que compte cette paroisse aux 2 500 fidèles réguliers – est depuis trois ans le théâtre d’un étonnant ballet dominical.
À 9h30, une première messe est célébrée selon la «forme extraordinaire» du rite romain, celle du Missel de Jean XXIII que le motu proprio Summorum Pontificum a voulu remettre à l’honneur en 2007. Puis, dans la foulée, une seconde messe selon la « forme ordinaire » promulguée par Paul VI – autrement dit la « messe issue du Concile » que l’on célèbre dans l’écrasante majorité des paroisses de France.
«Tous sont paroissiens, et je n’ai pas à leur dire des choses différentes»
Le contraste est frappant : d’un côté la solennité du chant grégorien et de l’encens, l’application millimétrée des servants d’autel vêtus d’aubes rouges et surplis blanc tandis que le prêtre officie devant l’autel, en latin. Et de l’autre la spontanéité d’une assemblée où l’on entonne des refrains entraînants et l’on s’échange un geste de paix avant la communion…
Deux sensibilités certes bien différentes, mais un même célébrant et, d’évidence, un vrai respect entre « ceux de 9h30 » et les paroissiens de la messe ordinaire, plus nombreux. « J’ai le sentiment que la paroisse est passée de deux mondes qui se saluaient de loin à un stade où les gens commencent à travailler ensemble. Les choses avancent dans le bon sens », constate le P. Philippe de Morand, prêtre lyonnais en mission d’études à Paris, affecté à Saint-Cloud.
En effet, pour lui comme pour les cinq autres prêtres de la paroisse, diversifier l’offre liturgique ne signifie en aucun cas scinder la communauté paroissiale, bien au contraire : « Annonces identiques, mêmes activités proposées, homélies similaires… Tous sont paroissiens, et je n’ai pas à leur dire des choses différentes. On annonce le même Dieu ! »
«La seule fois de ma vie où j’ai été injurié en pleine messe»
Selon lui, cette cohérence n’est possible qu’à la condition que « les mêmes prêtres célèbrent les deux messes, ce serait moins vrai s’ils venaient de l’extérieur ». C’était d’ailleurs l’une des exigences qu’avait exprimée le P. Yvon Aybram, vicaire épiscopal du diocèse de Nanterre et curé doyen de Saint-Cloud, lorsque l’initiative a été lancée en 2007 : « Dans un souci de charité pastorale et d’unité de l’Église, écrivait-il alors, la paroisse de Saint-Cloud ne se contentera pas d’héberger une messe supplémentaire : elle accueillera fraternellement et chaleureusement les fidèles qui prendront part à cet office, qu’ils habitent sur la commune ou qu’ils viennent d’ailleurs. »
Après trois ans, le P. Aybram dresse un premier bilan encourageant : « Entre 100 et 150 personnes assistent chaque dimanche à la messe selon la forme extraordinaire. La majorité vient des communes avoisinantes, et un certain nombre d’entre eux assistent alternativement aux deux célébrations, soit pour des raisons pratiques, soit parce qu’ils apprécient l’une et l’autre forme. On ne peut pas dire qu’ils sont crispés sur ces questions, nous n’avons pas, ici, de militants acharnés. »
Même s’il y a eu, reconnaît-il, des tensions au moment où cette messe, antérieurement célébrée à Nanterre, fut transférée à Saint-Cloud : « C’est la seule fois de ma vie où j’ai été injurié en pleine messe, où l’on m’a traité publiquement de menteur », se souvient-il, affirmant que ce coup d’éclat avait été orchestré par La Paix liturgique, un petit groupe dont il juge les actions contre-productives et en aucun cas représentatives de l’ensemble des fidèles attachés à la forme extraordinaire.
«Le problème de fond, c’est l’interprétation de Vatican II»
En effet, pour la plupart, la liturgie n’est pas d’abord « un lieu de combat », comme le dit le P. Aybram, mais l’expression d’une soif spirituelle. « J’ai trouvé une immense richesse dans cette forme, confirme Aymeric, 37 ans, qui a goûté aux charmes du latin dans son enfance. Au moins, avec la liturgie traditionnelle, on est sûr de retrouver les mêmes repères dans n’importe quel lieu, tandis que la messe de Paul VI ne me semble pas toujours très homogène.»
François, 23 ans, habite une rue voisine. Quand la messe en latin est arrivée près de chez lui, ce jeune étudiant au sourire jovial y a vu une chance inespérée : «J’ai longtemps navigué entre Paris et Versailles, j’étais un vrai touriste liturgique ! Me voici enfin fixé», explique cet ardent défenseur de «la messe de toujours, celle de nos ancêtres».
Malgré la brèche ouverte par le pape, «le chemin de réconciliation est encore long», nuance un père de famille de sensibilité traditionaliste, qui accueille avec prudence la main tendue du diocèse : «Le problème de fond, pour nous, c’est l’interprétation de Vatican II. Notamment sur la liberté religieuse, le rôle du prêtre, la dimension sacrificielle de la messe, la manière de faire du catéchisme… Beaucoup de choses doivent être posées sur la table.»
«La messe doit rester un acte collectif, accessible»
L’unité, dit-il, « ne peut se faire que dans la vérité ». Des divergences de fond qui n’empêchent pas, sur le perron de l’église, une certaine sympathie réciproque. Loin de se regarder en chiens de faïence, les fidèles des deux messes s’enquièrent les uns des autres, se saluent chaleureusement. « Les signes d’apprivoisement se font sentir », confirme le P. Aybram.
Sacristain de Notre-Dame des Airs depuis trois ans, Marc assure chaque dimanche le lien et le passage de témoin entre les deux communautés : « Les plus anciens d’entre nous ont dû faire des efforts pour dépasser leurs a priori, reconnaît-il. Bien que ce ne soit pas vraiment ma sensibilité, cette découverte est passionnante. »
À 86 ans, Raphaël Aris n’avait pas, lui, tant d’appréhension : « Étant curieux de nature, j’ai assisté à la première messe quand l’expérience a démarré. Cela m’a rappelé ma jeunesse, mais sans nostalgie. Il faut vivre avec son temps, et je reste très attaché à la messe du Concile. Cela ne m’empêche pas de réciter mes prières en latin, chez moi. La messe, elle, doit rester un acte collectif, accessible », explique cet homme affable et rempli de sagesse. Quant à Yves et Marie, jeunes parents, ils disent se sentir à mi-chemin : « Plutôt de “sensibilité Paul VI”, on apprécie aussi la messe en latin. »
Les deux communautés ont encore tendance à vivre en parallèle
N’est-il pas délicat cependant, pour un prêtre dont ce n’est pas la culture, de répondre à de telles demandes ? Pas vraiment, à en croire le P. Aybram, pour qui cette démarche s’est imposée comme une évidence : « Il me semble préférable que les fidèles attachés à la forme extraordinaire puissent être intégrés à une paroisse », résume, pragmatique, ce prêtre qui n’a pas hésité – à la demande de son évêque – à se rendre à l’abbaye de Fontgombault pour apprendre à célébrer selon le rite de saint Pie V, il y a cinq ans.
Le P. de Morand, lui aussi, s’est « formé sur le tas » alors qu’il n’y « connaissait rien ». Tous deux reconnaissent avoir élargi leur perception de la liturgie : « Cela m’a enraciné dans quelque chose que je pressentais depuis toujours. Mais aucun missel n’épuise à lui seul le mystère que nous célébrons, dit le P. Aybram. Pour les uns, l’autel est d’abord la table du sacrifice. Pour d’autres, c’est le lieu du repas. Mais faut-il vraiment choisir ? »
Aujourd’hui, même si les deux communautés ont encore tendance à vivre en parallèle – les jeunes de la messe de saint Pie V, par exemple, sont pour la plupart inscrits dans d’autres mouvements scouts que ceux de la paroisse –, l’expérience semble s’enraciner peu à peu, loin des querelles idéologiques des décennies passées. Il faut dire que le P. Aybram a longuement préparé ses paroissiens à cet accueil. C’est pour lui une question de cohérence : « Si cela peut aider à maintenir l’unité de l’Église, il faut le faire. »
François-Xavier MAIGRE
Depuis la publication du motu proprio Summorum Pontificum en 2007, plus de 200 paroisses françaises proposent désormais la messe selon la forme extraordinaire du rite romain.
Nichée sur les hauteurs de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), l’église Notre-Dame-des-Airs est une paroisse presque comme les autres. Chaque dimanche, deux célébrations s’y succèdent, l’une en début de matinée, l’autre un peu plus tard, comme cela se pratique un peu partout en Île-de-France pour répondre à la forte demande des fidèles de cette région de l’ouest parisien.
Comme les autres ? Pas tout à fait. Car cette petite église – l’une des quatre que compte cette paroisse aux 2 500 fidèles réguliers – est depuis trois ans le théâtre d’un étonnant ballet dominical.
À 9h30, une première messe est célébrée selon la «forme extraordinaire» du rite romain, celle du Missel de Jean XXIII que le motu proprio Summorum Pontificum a voulu remettre à l’honneur en 2007. Puis, dans la foulée, une seconde messe selon la « forme ordinaire » promulguée par Paul VI – autrement dit la « messe issue du Concile » que l’on célèbre dans l’écrasante majorité des paroisses de France.
«Tous sont paroissiens, et je n’ai pas à leur dire des choses différentes»
Le contraste est frappant : d’un côté la solennité du chant grégorien et de l’encens, l’application millimétrée des servants d’autel vêtus d’aubes rouges et surplis blanc tandis que le prêtre officie devant l’autel, en latin. Et de l’autre la spontanéité d’une assemblée où l’on entonne des refrains entraînants et l’on s’échange un geste de paix avant la communion…
Deux sensibilités certes bien différentes, mais un même célébrant et, d’évidence, un vrai respect entre « ceux de 9h30 » et les paroissiens de la messe ordinaire, plus nombreux. « J’ai le sentiment que la paroisse est passée de deux mondes qui se saluaient de loin à un stade où les gens commencent à travailler ensemble. Les choses avancent dans le bon sens », constate le P. Philippe de Morand, prêtre lyonnais en mission d’études à Paris, affecté à Saint-Cloud.
En effet, pour lui comme pour les cinq autres prêtres de la paroisse, diversifier l’offre liturgique ne signifie en aucun cas scinder la communauté paroissiale, bien au contraire : « Annonces identiques, mêmes activités proposées, homélies similaires… Tous sont paroissiens, et je n’ai pas à leur dire des choses différentes. On annonce le même Dieu ! »
«La seule fois de ma vie où j’ai été injurié en pleine messe»
Selon lui, cette cohérence n’est possible qu’à la condition que « les mêmes prêtres célèbrent les deux messes, ce serait moins vrai s’ils venaient de l’extérieur ». C’était d’ailleurs l’une des exigences qu’avait exprimée le P. Yvon Aybram, vicaire épiscopal du diocèse de Nanterre et curé doyen de Saint-Cloud, lorsque l’initiative a été lancée en 2007 : « Dans un souci de charité pastorale et d’unité de l’Église, écrivait-il alors, la paroisse de Saint-Cloud ne se contentera pas d’héberger une messe supplémentaire : elle accueillera fraternellement et chaleureusement les fidèles qui prendront part à cet office, qu’ils habitent sur la commune ou qu’ils viennent d’ailleurs. »
Après trois ans, le P. Aybram dresse un premier bilan encourageant : « Entre 100 et 150 personnes assistent chaque dimanche à la messe selon la forme extraordinaire. La majorité vient des communes avoisinantes, et un certain nombre d’entre eux assistent alternativement aux deux célébrations, soit pour des raisons pratiques, soit parce qu’ils apprécient l’une et l’autre forme. On ne peut pas dire qu’ils sont crispés sur ces questions, nous n’avons pas, ici, de militants acharnés. »
Même s’il y a eu, reconnaît-il, des tensions au moment où cette messe, antérieurement célébrée à Nanterre, fut transférée à Saint-Cloud : « C’est la seule fois de ma vie où j’ai été injurié en pleine messe, où l’on m’a traité publiquement de menteur », se souvient-il, affirmant que ce coup d’éclat avait été orchestré par La Paix liturgique, un petit groupe dont il juge les actions contre-productives et en aucun cas représentatives de l’ensemble des fidèles attachés à la forme extraordinaire.
«Le problème de fond, c’est l’interprétation de Vatican II»
En effet, pour la plupart, la liturgie n’est pas d’abord « un lieu de combat », comme le dit le P. Aybram, mais l’expression d’une soif spirituelle. « J’ai trouvé une immense richesse dans cette forme, confirme Aymeric, 37 ans, qui a goûté aux charmes du latin dans son enfance. Au moins, avec la liturgie traditionnelle, on est sûr de retrouver les mêmes repères dans n’importe quel lieu, tandis que la messe de Paul VI ne me semble pas toujours très homogène.»
François, 23 ans, habite une rue voisine. Quand la messe en latin est arrivée près de chez lui, ce jeune étudiant au sourire jovial y a vu une chance inespérée : «J’ai longtemps navigué entre Paris et Versailles, j’étais un vrai touriste liturgique ! Me voici enfin fixé», explique cet ardent défenseur de «la messe de toujours, celle de nos ancêtres».
Malgré la brèche ouverte par le pape, «le chemin de réconciliation est encore long», nuance un père de famille de sensibilité traditionaliste, qui accueille avec prudence la main tendue du diocèse : «Le problème de fond, pour nous, c’est l’interprétation de Vatican II. Notamment sur la liberté religieuse, le rôle du prêtre, la dimension sacrificielle de la messe, la manière de faire du catéchisme… Beaucoup de choses doivent être posées sur la table.»
«La messe doit rester un acte collectif, accessible»
L’unité, dit-il, « ne peut se faire que dans la vérité ». Des divergences de fond qui n’empêchent pas, sur le perron de l’église, une certaine sympathie réciproque. Loin de se regarder en chiens de faïence, les fidèles des deux messes s’enquièrent les uns des autres, se saluent chaleureusement. « Les signes d’apprivoisement se font sentir », confirme le P. Aybram.
Sacristain de Notre-Dame des Airs depuis trois ans, Marc assure chaque dimanche le lien et le passage de témoin entre les deux communautés : « Les plus anciens d’entre nous ont dû faire des efforts pour dépasser leurs a priori, reconnaît-il. Bien que ce ne soit pas vraiment ma sensibilité, cette découverte est passionnante. »
À 86 ans, Raphaël Aris n’avait pas, lui, tant d’appréhension : « Étant curieux de nature, j’ai assisté à la première messe quand l’expérience a démarré. Cela m’a rappelé ma jeunesse, mais sans nostalgie. Il faut vivre avec son temps, et je reste très attaché à la messe du Concile. Cela ne m’empêche pas de réciter mes prières en latin, chez moi. La messe, elle, doit rester un acte collectif, accessible », explique cet homme affable et rempli de sagesse. Quant à Yves et Marie, jeunes parents, ils disent se sentir à mi-chemin : « Plutôt de “sensibilité Paul VI”, on apprécie aussi la messe en latin. »
Les deux communautés ont encore tendance à vivre en parallèle
N’est-il pas délicat cependant, pour un prêtre dont ce n’est pas la culture, de répondre à de telles demandes ? Pas vraiment, à en croire le P. Aybram, pour qui cette démarche s’est imposée comme une évidence : « Il me semble préférable que les fidèles attachés à la forme extraordinaire puissent être intégrés à une paroisse », résume, pragmatique, ce prêtre qui n’a pas hésité – à la demande de son évêque – à se rendre à l’abbaye de Fontgombault pour apprendre à célébrer selon le rite de saint Pie V, il y a cinq ans.
Le P. de Morand, lui aussi, s’est « formé sur le tas » alors qu’il n’y « connaissait rien ». Tous deux reconnaissent avoir élargi leur perception de la liturgie : « Cela m’a enraciné dans quelque chose que je pressentais depuis toujours. Mais aucun missel n’épuise à lui seul le mystère que nous célébrons, dit le P. Aybram. Pour les uns, l’autel est d’abord la table du sacrifice. Pour d’autres, c’est le lieu du repas. Mais faut-il vraiment choisir ? »
Aujourd’hui, même si les deux communautés ont encore tendance à vivre en parallèle – les jeunes de la messe de saint Pie V, par exemple, sont pour la plupart inscrits dans d’autres mouvements scouts que ceux de la paroisse –, l’expérience semble s’enraciner peu à peu, loin des querelles idéologiques des décennies passées. Il faut dire que le P. Aybram a longuement préparé ses paroissiens à cet accueil. C’est pour lui une question de cohérence : « Si cela peut aider à maintenir l’unité de l’Église, il faut le faire. »
François-Xavier MAIGRE