SOURCE - Le Matin - Camille Krafft - 28 août 2010
L'abbé Hervé Mas porte le col romain et dit la messe en latin selon le rite tridentin. Durant une année, il s'est rendu plusieurs fois par semaine au centre-ville de Lausanne pour rencontrer les drogués de la Riponne et les déshérités de la Soupe populaire. Un ministère de rue qu'il a accompli spontanément et «sans faire de prêchi-prêcha». Rencontre avec un homme d'Eglise éclectique
Son sac à dos et son sourire jovial lui confèrent un petit air de scout toujours, à qui l'on donnerait le bon Dieu sans confession. Par-dessus sa chemise blanche à manches courtes, qu'il possède en plusieurs exemplaires et qu'il troque contre une noire en hiver, l'abbé Hervé Mas affiche un col romain: il y a une heure, l'homme a dit une messe en latin selon le rite ancien dans une paroisse lausannoise. «J'aime rester identifiable à tout moment. Mais une soutane serait trop encombrante», explique le prêtre en s'approchant d'un groupe de toxicomanes, place de la Riponne, vendredi soir.
«Je t'ai pas déjà vu à la Croisée ( ndlr: prison située à Orbe (VD), toi?» demande un homme au visage émacié, un demi-litre de bière à la main. L'abbé Mas répond que c'est possible, serre des pognes, demande des nouvelles, tapote l'épaule d'un héroïnomane en train de sombrer dans son «shoot». «Ça va pas bien, toi, hein?» En une année de ministère de rue au centre de Lausanne, entre les junkies de la Riponne et les déshérités de la Soupe populaire, il l'assure, insiste: jamais il n'a été mal reçu par les marginaux qu'il abordait.
Discussions sur le quotidien des drogués
Ancien curé de paroisse, un rôle qu'il retrouvera dès cette semaine comme prêtre auxiliaire à Givisiez (FR), ce Français d'origine a débarqué dans les rues de Lausanne «sans crier gare», et sans que personne ne l'en ait prié: «C'était à une époque où on ne savait pas top quoi faire de moi. Je me suis senti rejeté. Alors j'ai décidé d'aller vers ceux qui sont en marge. L'Eglise a tendance à oublier son rôle auprès des pauvres. Mais ce n'est pas une option!» La première fois qu'il s'est retrouvé sur le pavé, Hervé Mas a croisé quelqu'un qui lui a dit: «Sachez que vous êtes ici chez vous.» «Sans doute un signe de Dieu, dit-il. C'est moi qui l'interprète comme ça.»
Et de quoi parle l'abbé de 65 ans avec les défavorisés, qu'il rejoint deux à trois fois par semaine? De religion et de spiritualité, un peu, «parce qu'ils y viennent spontanément. Ici, les gens sont rarement athées. Mais je ne fais pas du prêchi-prêcha. La mode charismatique, ce n'est pas mon style» A la Riponne, il parle de la vie, surtout. De tout ce qui fait qu'un quotidien de toxicomane est un enfer, de l'abcès qui ne se referme pas suite au shoot de cocaïne coupée avec du verre pilé, de l'héro qui ne quittera jamais définitivement votre cerveau, de la copine qu'on n'a pas vu depuis trois jours et pour qui l'on s'inquiète. Surpris par cette chaleur gratuite, attirés par cette écoute offerte, les marginaux s'approchent, se confient et le quittent en lui disant: «Prenez soin de vous.» Sauveur d'âmes perdues, Hervé Mas? Certainement pas. «J'ai eu une fois une demande de baptême qui n'a pas abouti. Mais mon but n'est pas de les convertir, ni de les sortir de la drogue, plutôt de partager une rencontre».
De ces silhouettes titubant sur les pavés lausannois une bière à la main, nous dirions qu'elles sont le restant de la colère de Dieu. Lui, rectifie: «Ce sont des personnes, simplement. Ils me disent souvent: regardez comment les autres nous regardent.» Face à ceux qui lui suggèrent que, quand même, «s'ils le voulaient, ils arriveraient à se sevrer», Hervé Mas s'énerve. «Je sais que vous voulez tous vous en sortir», lâche-t-il à un homme qui lui décrit ses rechutes. «Ils ne sont pas fiers du tout d'être dans la drogue, ajoute l'abbé. Ils ont beaucoup plus le sens de la faute que le commun des mortels».
Un peu plus tard, attablé dans les locaux de la Soupe populaire où il a mangé «comme les autres» son repas du soir, Hervé Mas regarde autour de lui: les Roms, les toxicomanes, les vieux, tous ces gens venus consommer les invendus qu'ils ne peuvent se payer. Le cran d'arrêt sorti juste pour frimer, la dispute qui éclate entre un héroïnomane et son dealer, le chien qui se fait menaçant, l'abbé ne les voit pas, ou si peu. D'autres que lui ont pourtant tenté l'expérience, avant de baster. «Un autre curé est venu quelquefois, mais il était très tendu dans cet environnement. Pour ce qui me concerne, c'est peut-être moche ici, mais je me sens bien.»
Bénir les animaux, sans les notes aiguës
Au moins aussi bien que lorsqu'il bénit des animaux, une autre de ses spécialités, après avoir demandé à l'organiste de ne pas jouer des notes aiguës. Ou lorsqu'il dit la messe selon le rite tridentin, à quelques pas de la Riponne. Un grand écart entre des mondes aux antipodes que l'homme assume totalement. «Parce qu'on les traite de sales intégristes, ceux qui veulent suivre la messe en latin se sentent aussi rejetés. Comme les marginaux du centre-ville».
Demain, Hervé Mas déménagera dans le canton de Fribourg, pour aller prendre soin de ses nouveaux paroissiens. Mais tous les quinze jours, il reviendra à Bex, pour voir les requérants d'asile qu'il a régulièrement visités durant cette année. Et au retour, il s'arrêtera à la Soupe populaire de Lausanne, auprès des déshérités: «Je ne peux pas les abandonner.»
Dès demain, l'abbé Mas rejoindra la paroisse de Givisiez (FR) comme prêtre auxiliaire. Mais il gardera toujours «le bout d'un orteil» auprès des déshérités lausannois.
L'abbé Hervé Mas porte le col romain et dit la messe en latin selon le rite tridentin. Durant une année, il s'est rendu plusieurs fois par semaine au centre-ville de Lausanne pour rencontrer les drogués de la Riponne et les déshérités de la Soupe populaire. Un ministère de rue qu'il a accompli spontanément et «sans faire de prêchi-prêcha». Rencontre avec un homme d'Eglise éclectique
Son sac à dos et son sourire jovial lui confèrent un petit air de scout toujours, à qui l'on donnerait le bon Dieu sans confession. Par-dessus sa chemise blanche à manches courtes, qu'il possède en plusieurs exemplaires et qu'il troque contre une noire en hiver, l'abbé Hervé Mas affiche un col romain: il y a une heure, l'homme a dit une messe en latin selon le rite ancien dans une paroisse lausannoise. «J'aime rester identifiable à tout moment. Mais une soutane serait trop encombrante», explique le prêtre en s'approchant d'un groupe de toxicomanes, place de la Riponne, vendredi soir.
«Je t'ai pas déjà vu à la Croisée ( ndlr: prison située à Orbe (VD), toi?» demande un homme au visage émacié, un demi-litre de bière à la main. L'abbé Mas répond que c'est possible, serre des pognes, demande des nouvelles, tapote l'épaule d'un héroïnomane en train de sombrer dans son «shoot». «Ça va pas bien, toi, hein?» En une année de ministère de rue au centre de Lausanne, entre les junkies de la Riponne et les déshérités de la Soupe populaire, il l'assure, insiste: jamais il n'a été mal reçu par les marginaux qu'il abordait.
Discussions sur le quotidien des drogués
Ancien curé de paroisse, un rôle qu'il retrouvera dès cette semaine comme prêtre auxiliaire à Givisiez (FR), ce Français d'origine a débarqué dans les rues de Lausanne «sans crier gare», et sans que personne ne l'en ait prié: «C'était à une époque où on ne savait pas top quoi faire de moi. Je me suis senti rejeté. Alors j'ai décidé d'aller vers ceux qui sont en marge. L'Eglise a tendance à oublier son rôle auprès des pauvres. Mais ce n'est pas une option!» La première fois qu'il s'est retrouvé sur le pavé, Hervé Mas a croisé quelqu'un qui lui a dit: «Sachez que vous êtes ici chez vous.» «Sans doute un signe de Dieu, dit-il. C'est moi qui l'interprète comme ça.»
Et de quoi parle l'abbé de 65 ans avec les défavorisés, qu'il rejoint deux à trois fois par semaine? De religion et de spiritualité, un peu, «parce qu'ils y viennent spontanément. Ici, les gens sont rarement athées. Mais je ne fais pas du prêchi-prêcha. La mode charismatique, ce n'est pas mon style» A la Riponne, il parle de la vie, surtout. De tout ce qui fait qu'un quotidien de toxicomane est un enfer, de l'abcès qui ne se referme pas suite au shoot de cocaïne coupée avec du verre pilé, de l'héro qui ne quittera jamais définitivement votre cerveau, de la copine qu'on n'a pas vu depuis trois jours et pour qui l'on s'inquiète. Surpris par cette chaleur gratuite, attirés par cette écoute offerte, les marginaux s'approchent, se confient et le quittent en lui disant: «Prenez soin de vous.» Sauveur d'âmes perdues, Hervé Mas? Certainement pas. «J'ai eu une fois une demande de baptême qui n'a pas abouti. Mais mon but n'est pas de les convertir, ni de les sortir de la drogue, plutôt de partager une rencontre».
De ces silhouettes titubant sur les pavés lausannois une bière à la main, nous dirions qu'elles sont le restant de la colère de Dieu. Lui, rectifie: «Ce sont des personnes, simplement. Ils me disent souvent: regardez comment les autres nous regardent.» Face à ceux qui lui suggèrent que, quand même, «s'ils le voulaient, ils arriveraient à se sevrer», Hervé Mas s'énerve. «Je sais que vous voulez tous vous en sortir», lâche-t-il à un homme qui lui décrit ses rechutes. «Ils ne sont pas fiers du tout d'être dans la drogue, ajoute l'abbé. Ils ont beaucoup plus le sens de la faute que le commun des mortels».
Un peu plus tard, attablé dans les locaux de la Soupe populaire où il a mangé «comme les autres» son repas du soir, Hervé Mas regarde autour de lui: les Roms, les toxicomanes, les vieux, tous ces gens venus consommer les invendus qu'ils ne peuvent se payer. Le cran d'arrêt sorti juste pour frimer, la dispute qui éclate entre un héroïnomane et son dealer, le chien qui se fait menaçant, l'abbé ne les voit pas, ou si peu. D'autres que lui ont pourtant tenté l'expérience, avant de baster. «Un autre curé est venu quelquefois, mais il était très tendu dans cet environnement. Pour ce qui me concerne, c'est peut-être moche ici, mais je me sens bien.»
Bénir les animaux, sans les notes aiguës
Au moins aussi bien que lorsqu'il bénit des animaux, une autre de ses spécialités, après avoir demandé à l'organiste de ne pas jouer des notes aiguës. Ou lorsqu'il dit la messe selon le rite tridentin, à quelques pas de la Riponne. Un grand écart entre des mondes aux antipodes que l'homme assume totalement. «Parce qu'on les traite de sales intégristes, ceux qui veulent suivre la messe en latin se sentent aussi rejetés. Comme les marginaux du centre-ville».
Demain, Hervé Mas déménagera dans le canton de Fribourg, pour aller prendre soin de ses nouveaux paroissiens. Mais tous les quinze jours, il reviendra à Bex, pour voir les requérants d'asile qu'il a régulièrement visités durant cette année. Et au retour, il s'arrêtera à la Soupe populaire de Lausanne, auprès des déshérités: «Je ne peux pas les abandonner.»
Dès demain, l'abbé Mas rejoindra la paroisse de Givisiez (FR) comme prêtre auxiliaire. Mais il gardera toujours «le bout d'un orteil» auprès des déshérités lausannois.