SOURCE - Abbé Philippe Laguérie - 21 janvier 2011
Le pape Saint Marcellin gouverna l’Eglise de 296 (22 décembre 295) à 304, en quelle date il fut décapité sur l’ordre de Dioclétien. Son nom prestigieux est inscrit au canon de la messe romaine.
Le pape Saint Marcellin gouverna l’Eglise de 296 (22 décembre 295) à 304, en quelle date il fut décapité sur l’ordre de Dioclétien. Son nom prestigieux est inscrit au canon de la messe romaine.
Son histoire mérite d’être méditée, surtout en ces temps d’agitation. Elle démontre qu’un homme a pu faire de graves fautes et terminer sa vie en héros et en saint. La vie d’un homme n’est pas toujours une ligne droite, un glaive rectiligne. L’Evangile s’évertue à nous enseigner le contraire par tous les moyens (Marie-Madeleine, le bon larron etc.) en positif comme en négatif. Un pieux chrétien peut aussi finir dans la débauche, comme les deux réformateurs des franciscains (Branche des capucins) qui défroquèrent tous les deux…
Bien des histoires attestent cette vérité évangélique. L’homme est libre : il peut s’améliorer jusqu’à l’héroïsme et déchoir jusqu’à la nausée, selon l’adage « corruptio optimi pessima ». Voyez le grand Salomon.
En des temps plus récents, on en rapporte de tout aussi spectaculaires. Je raconte souvent, au catéchisme, l’histoire de saint Jacques l’ermite, passeur à gué du VIème siècle en Palestine et pieux anachorète à ses temps libres. Un jour se présente à lui, pour passer la rivière, une très belle jeune fille. Sur l’autre rive, envouté et fou, Jacques la viole puis, horrifié par son premier forfait, l’assassine, ainsi que son frère, témoin gênant. Le pieux Martyrologe Romain se contente de dire pudiquement « après une très grave faute ». Ce violeur doublé d’un assassin est canonisé par l’Eglise. Il est vrai qu’il fit rude pénitence : il passa le reste de sa vie dans le sépulcre qu’il s’était déjà aménagé, non sans faire de brillants miracles. Avis aux scrupuleux ou aux déprimés.
Tout aussi spectaculaire, quoique dans le domaine doctrinal (moins croustillant, je vous le concède) est le cas de saint Thomas-More. Le célèbre Chancelier du Royaume d’Angleterre sous le débauché Henri VIII mourut martyr, décapité par son roi schismatique, pour sa fidélité à l’Eglise Catholique. Mais pour ceux qui ont lu son maître-ouvrage, la célèbre « Utopie » (qui porte si bien son nom !) on croit rêver les yeux ouverts. Cette société sans foi ni loi, peace and love, New-Age avancé, véritable abbaye de Thélème plus audacieuse que celle de François Rabelais, démocratie plus lunaire que celle de Rousseau. Bref, un délire soixante-huitard au 16ème siècle ! Lui aussi est canonisé et pas seulement béatifié. La fin d’un homme ne blanchit pas ses turpitudes, certes, mais elle les rachète dans la fidélité jusqu’à l’héroïsme.
Marcellin, pape, « apostat » et martyre. Sans doute les sources historiques principales de son funeste écart sont celles des donatistes. On le comprend aisément : les catholiques de l’époque avaient peine à rapporter le parcours chaotique du Pontife, avant son brillant retour. Tandis que les « Golias » de l’époque s’en donnaient à cœur-joie. A toutes les époques, les hommes sont les hommes… Sa présence depuis 17 siècles au canon de la messe suffit largement.
Son pontificat lui-même est très peu connu par la raison que la plus terrible persécution contre les chrétiens, la dernière et la plus cruelle, celle de Dioclétien, fait rage sur l’Eglise. Rien qu’en Italie, 17 000 chrétiens ont déjà été immolés à la fureur du culte des idoles. Le pape se terre, persuadé qu’à ce compte l’Eglise Romaine va bientôt disparaître. Mathématiquement, il n’a pas tort. Sur les ordres de Dioclétien, le préfet Urbain parvient néanmoins à s’emparer du chef des « athées » (Ainsi appelait-on les chrétiens, qui refusaient le culte des idoles de l’empire). Par ses flagorneries, ses menaces, mais surtout en lui suggérant les avantages considérables pour la préservation du troupeau et la fin des ravages, le préfet finit par convaincre le pape d’offrir trois petits grains d’encens aux dieux de l’empire. Quand le monde parle à l’Eglise, elle doit se méfier. Il l’emmène au temple de Vesta et le pontife y jette furtivement l’encens de la honte…Prêtres et diacres qui l’accompagnent refusent d’entrer avec lui dans le temple, en sortent pétrifiés. La persécution cesse, le massacre est stoppé. Mais à quel prix, surtout pour le pauvre Marcellin, qui n’en dort plus. Ce sont d’abord les fidèles qui viennent trouver le Pontife affaibli, les clercs n’osant pas. Leurs reproches sont pleins de respect pour l’oint du Seigneur. Ils parviennent cependant à le faire rentrer en lui-même. Le pape accepte de se rendre au concile de Sinuesse en Campanie où nombre d’évêques italiens l’attendent en tremblant, eux aussi. Ils lui expliquent qu’ils ne peuvent en aucun cas le juger, qu’il doit être son propre juge et prononcer la sentence de sa propre bouche. Quel singulier procès.
Le pape, alors, revenu à lui-même, n’y va pas par quatre chemins : il ne démissionne pas, il se dépose lui-même. Mais la foule l’acclame et les évêques le proclament pape. Le pape revient à Rome, confesse face à Urbain qu’il n’y a qu’un seul Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ. La persécution reprend de plus bel, nouvelle hécatombe de chrétiens en laquelle le pape lui-même trouve le salut éternel et la palme du martyre.
Dans le bref temps qui le sépare de son triomphe, le pape se déclare indigne de la sépulture, excommunie à l’avance ceux qui auraient la présomption de l’ensevelir ! Son successeur, le saint pape Marcel, n’ose enfreindre les ordres du pontife défunt. Cependant, 35 jours après le martyre, saint Pierre devra lui apparaître :
« Frère Marcel, pourquoi ne m’ensevelis-tu pas ? ».
« Mais, Seigneur, n’êtes-vous pas déjà enseveli ? ».
« Je me considère non enseveli tant que je verrai Marcellin sans sépulture ».
« Mais Seigneur, ne savez-vous pas qu’il a anathématisé tous ceux qui l’enseveliraient ? ».
« N’est-il pas écrit : celui qui s’humilie sera élevé ? Allez donc l’ensevelir à mes pieds ! ».
Autres temps, autres mœurs. Ces gens-là appelaient les choses par leur nom. Le sanguinaire coran n’existait pas encore mais bruler trois grains d’encens aux faux dieux leur était odieux. Dans le mal, ils se raidissaient, dans la souffrance, ils offraient. Dans le péché, ils se taisaient, dans la conversion, ils tressaillaient. Dans l’obscurité, ils éclairaient, dans la lumière ils pardonnaient.