SOURCE - Massimo Introvigne - cesnur.org - traduction par benoit-et-moi.fr - 18 janvier 2011
Comme on le sait, des pourparlers sont en cours depuis des mois entre le Saint-Siège et la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X fondée par Mgr Marcel Lefebvre, afin d'explorer les conditions théologiques et canoniques d'une réconciliation, après la levée par Benoît XVI de l'excommunication des quatre évêques consacrés sans l'approbation de Rome en 1988, un geste - comme le Pape l'a expliqué à plusieurs reprises - qui initie - et non pas conclut - le dialogue, dès l'instant que les questions doctrinales demeurent non résolues.
On dit souvent que le succès de ces conversations est également affectée par les actions perturbatrices de catholiques qui, pour diverses raisons, ne voient pas avec faveur le retour de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X en pleine communion avec Rome. Il se peut que dans ces soupçons, il y ait aussi une part de vérité.
Nous devons cependant nous demander si ce n'est pas la Fraternité Saint Pie X elle-même qui met en péril le succès du dialogue.
Ces dernières semaines, de ce bord, sont en effet parvenues de très virulentes critiques contre Benoît XVI et sa proposition de lire le Concile Vatican II selon une "herméneutique de la réforme dans la continuité" par rapport au précédent Magistère de l'Église.
Je ne parle pas tant des réactions à l'annonce d'une nouvelle rencontre inter-religieuse à Assise, des réactions à bien des égards prévisibles, même si l'image évoquée dans l'homélie de Mgr Bernard Fellay, le supérieur de la Fraternité, le 9 Janvier 2011 à Paris, de "démons sur Assise", suivie de la question rhétorique "Est-ce cela la continuité?" n'est pas vraiment un exemple de langage modéré. (ndt: "tous les dieux des païens, ce sont des démons, ce sont des démons, et Assise, ce sera plein de démons. C'est la Révélation, c'est la Foi de l'Église, c'est l'Enseignement de l'Église. Elle est où, la continuité ? Elle est où, la rupture ?" ici).
Plus grave semble la publication fin 2010 d'un livre d'un autre des évêques à qui l'excommunication a été levée, Mgr Bernard Tissier de Mallerais, intitulé "L'étrange Théologie de Benoît XVI. Herméneutique de continuité ou rupture?" , une œuvre qui se présente comme une critique complète du Magistère du Pape, et en particulier de son herméneutique de Vatican II.
Une note de la rédaction (p. 7) donne déjà le ton de l'ouvrage: "La théologie de Benoît XVI s'éloigne de manière impressionnante de la théologie catholique, elle est la principale cause de la crise actuelle dans l'Église.."
Le livre cherche à reconstruire la pensée du théologien Joseph Ratzinger et de Benoît XVI - entre les deux, insiste l'auteur, il y a vraiment continuité, et non pas rupture - comme fondée sur une philosophie personnaliste et sur la prétention d'importer dans la théologie la philosophie moderne, en particulier celle de langue allemande, du kantisme à la notion Heideggerienne de l'être, si différente de la classique... Ce faisant, selon Mgr Tissier de Mallerais, Ratzinger / Benoît XVI s'illusionne de christianiser la philosophie moderne comme le Moyen Age avait christianisé la pensée grecque. Mais, contrairement à cette dernière, la philosophie moderne est fondamentalement anti-chrétienne, selon l'auteur, et il ne peut en sortir rien de bon.
Si on emprunte cette voie, insiste le livre, on ne propose pas une version chrétienne de la philosophie moderne, mais on réduit les bases de la foi chrétienne à une version diluée et affaiblie sur la base de cette philosophie. Le résultat final a peu à voir avec la foi chrétienne authentique, et parvient à rien moins qu'"un refus pire que celui de [Martin] Luther"(p. 73) de la doctrine catholique. En effet, une confrontation entre Ratzinger XVI / Benoît et Luther pose la question: «Lequel des deux est chrétien" (P. 75), et la réponse suggérée est que le père du protestantisme sauve au moins une notion de la rédemption chrétienne, tandis que le pape actuel, dans une interprétation réductrice de la rédemption, sur la base de subjectivisme et du personnalisme de la philosophie moderne, risque de glisser hors du christianisme.
Problème après problème, les jugements sont tout aussi radicaux. Même quand dans les textes du Pape, le langage chrétien est conservé, le sens serait toujours faussé par le personnalisme et le subjectivisme, lesquels conduisent à une humanitarisme dont l'auteur dénonce les similitudes et les dérives maçonniques. Nous lisons ainsi: "Le droit conciliaire à la liberté religieuse est un manque de foi. En soutenant ce droit, Benoît XVI manque de foi» (p. 96). Voici [...] un pape qui se désintéresse de la réalité de l'Incarnation, qui pratique l''epochè' sur la matérialité de la Rédemption, et qui nie la royauté de Notre Seigneur Jésus-Christ" (p. 97). "Benoît XVI, dans son encyclique [...] Spe Salvi ne comprend plus la belle définition que saint Paul donne la foi" (pp. 100-101).
Les modernistes, déjà, se sont servis de la philosophie moderne. Mais, puisque celle-ci, depuis l'époque de la crise moderniste a continué sa course, devenant de plus en plus radicalement éloignée de la chrétienté, l'attitude du Pape serait "un sceptisme ultra-moderniste. Pour conclure, je dirais que nous sommes confrontés aujourd'hui à un modernisme renouvelé, perfectionné".(p. 103).
L'herméneutique de la réforme dans la continuité de Benoît XVI pour Vatican II, se ramène, selon l'auteur, à une tentative pour déguiser la dépendance des textes fondamentaux du Concile - sur certains desquels, du reste de le théologien Ratzinger a eu une influence directe - de la philosophie moderne. En tant que telle, l'herméneutique proposée par Benoît XVI n'est pas un programme mais un "anti-programme», qui nie toute la tradition catholique. Et "les avocats de cet anti-programme désincarné, décrucifient et découronnent Jésus-Christ avec plus de brio que Kant et Loisy "(p. 104). En somme, "le manque de foi dont souffre Benoît XVI [...] s'explique par son herméneutique" (p. 106).
Ce qui fait les frais de ce procesus, selon Mgr Tissier de Mallerais, c'est surtout la notion de rédemption, qu'une théologie inféodée à la philosophie moderne, avec son optimisme personnaliste, n'est plus en mesure de concevoir dans sa référence constitutive aux exigences de la justice divine causée par le péché de l'homme, mais ne peut que réduire à une manifestation de la miséricorde, où le Christ vient plutôt confirmer et célébrer une grandeur et une dignité de la personne humaine fondée sur des prémisses philosophiques modernes entièrement étrangères au christianisme (!!!).
Par rapport au théologien Ratzinger, Benoît XVI ne marque aucun repentir, persiste à ne pas accepter le mystère de la Rédemption" (p. 110). Le Catéchisme de l'Église catholique de 1992 , ne saurait lui non plus être un point de rencontre, au contraire la théologie du cardinal Ratzinger s'y exprime, au point que "la justice divine et ses exigences sont tuées par le «Catéchisme»" ( p. 167).
Le texte, un authentique "tour de force" (en français dans le texte), revendique dès le départ sa nature de "pamphlet" (p. 11) et l'appartenance au genre "polémique" (ibid.). Comme tous les "pamphlets", il est construit selon la méthode des citations sélectives. Celles-ci montrent bien que l'enseignement catholique récent, depuis le Concile jusqu'à Benoît XVI, a voulu prendre en considération les questions et les exigences posées par la culture moderne et la philosophie. Mais il ne s'ensuit absolument pas que le Magistère ait emprunté les réponse à des philosophies contemporaines aux antipodes du christianisme , ni que le texte convainque, au-delà de la vigueur polémique.
En fin de compte, le livre n'est pas tant intéressant par ce qu'il affirme sur Benoît XVI , que par ce qu'il révèle de la mentalité de ceux qui l'ont écrit et de ceux qui le diffusent. En fait, en ce qui concerne la question des relations entre la Fraternité Saint-Pie X et le Saint-Siège, le livre permet peut-être de comprendre que le problème n'est pas seulement la liturgie, ou seulement une poignée d'extrémistes présents dans la fraternité. Ses représentants de tout premier ordre proclament, par écrit, un rejet total de Benoît XVI et de son enseignement.
Le chemin du dialogue, qui se poursuit malgré tout, semble semé d'embûches.
On dit souvent que le succès de ces conversations est également affectée par les actions perturbatrices de catholiques qui, pour diverses raisons, ne voient pas avec faveur le retour de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X en pleine communion avec Rome. Il se peut que dans ces soupçons, il y ait aussi une part de vérité.
Nous devons cependant nous demander si ce n'est pas la Fraternité Saint Pie X elle-même qui met en péril le succès du dialogue.
Ces dernières semaines, de ce bord, sont en effet parvenues de très virulentes critiques contre Benoît XVI et sa proposition de lire le Concile Vatican II selon une "herméneutique de la réforme dans la continuité" par rapport au précédent Magistère de l'Église.
Je ne parle pas tant des réactions à l'annonce d'une nouvelle rencontre inter-religieuse à Assise, des réactions à bien des égards prévisibles, même si l'image évoquée dans l'homélie de Mgr Bernard Fellay, le supérieur de la Fraternité, le 9 Janvier 2011 à Paris, de "démons sur Assise", suivie de la question rhétorique "Est-ce cela la continuité?" n'est pas vraiment un exemple de langage modéré. (ndt: "tous les dieux des païens, ce sont des démons, ce sont des démons, et Assise, ce sera plein de démons. C'est la Révélation, c'est la Foi de l'Église, c'est l'Enseignement de l'Église. Elle est où, la continuité ? Elle est où, la rupture ?" ici).
Plus grave semble la publication fin 2010 d'un livre d'un autre des évêques à qui l'excommunication a été levée, Mgr Bernard Tissier de Mallerais, intitulé "L'étrange Théologie de Benoît XVI. Herméneutique de continuité ou rupture?" , une œuvre qui se présente comme une critique complète du Magistère du Pape, et en particulier de son herméneutique de Vatican II.
Une note de la rédaction (p. 7) donne déjà le ton de l'ouvrage: "La théologie de Benoît XVI s'éloigne de manière impressionnante de la théologie catholique, elle est la principale cause de la crise actuelle dans l'Église.."
Le livre cherche à reconstruire la pensée du théologien Joseph Ratzinger et de Benoît XVI - entre les deux, insiste l'auteur, il y a vraiment continuité, et non pas rupture - comme fondée sur une philosophie personnaliste et sur la prétention d'importer dans la théologie la philosophie moderne, en particulier celle de langue allemande, du kantisme à la notion Heideggerienne de l'être, si différente de la classique... Ce faisant, selon Mgr Tissier de Mallerais, Ratzinger / Benoît XVI s'illusionne de christianiser la philosophie moderne comme le Moyen Age avait christianisé la pensée grecque. Mais, contrairement à cette dernière, la philosophie moderne est fondamentalement anti-chrétienne, selon l'auteur, et il ne peut en sortir rien de bon.
Si on emprunte cette voie, insiste le livre, on ne propose pas une version chrétienne de la philosophie moderne, mais on réduit les bases de la foi chrétienne à une version diluée et affaiblie sur la base de cette philosophie. Le résultat final a peu à voir avec la foi chrétienne authentique, et parvient à rien moins qu'"un refus pire que celui de [Martin] Luther"(p. 73) de la doctrine catholique. En effet, une confrontation entre Ratzinger XVI / Benoît et Luther pose la question: «Lequel des deux est chrétien" (P. 75), et la réponse suggérée est que le père du protestantisme sauve au moins une notion de la rédemption chrétienne, tandis que le pape actuel, dans une interprétation réductrice de la rédemption, sur la base de subjectivisme et du personnalisme de la philosophie moderne, risque de glisser hors du christianisme.
Problème après problème, les jugements sont tout aussi radicaux. Même quand dans les textes du Pape, le langage chrétien est conservé, le sens serait toujours faussé par le personnalisme et le subjectivisme, lesquels conduisent à une humanitarisme dont l'auteur dénonce les similitudes et les dérives maçonniques. Nous lisons ainsi: "Le droit conciliaire à la liberté religieuse est un manque de foi. En soutenant ce droit, Benoît XVI manque de foi» (p. 96). Voici [...] un pape qui se désintéresse de la réalité de l'Incarnation, qui pratique l''epochè' sur la matérialité de la Rédemption, et qui nie la royauté de Notre Seigneur Jésus-Christ" (p. 97). "Benoît XVI, dans son encyclique [...] Spe Salvi ne comprend plus la belle définition que saint Paul donne la foi" (pp. 100-101).
Les modernistes, déjà, se sont servis de la philosophie moderne. Mais, puisque celle-ci, depuis l'époque de la crise moderniste a continué sa course, devenant de plus en plus radicalement éloignée de la chrétienté, l'attitude du Pape serait "un sceptisme ultra-moderniste. Pour conclure, je dirais que nous sommes confrontés aujourd'hui à un modernisme renouvelé, perfectionné".(p. 103).
L'herméneutique de la réforme dans la continuité de Benoît XVI pour Vatican II, se ramène, selon l'auteur, à une tentative pour déguiser la dépendance des textes fondamentaux du Concile - sur certains desquels, du reste de le théologien Ratzinger a eu une influence directe - de la philosophie moderne. En tant que telle, l'herméneutique proposée par Benoît XVI n'est pas un programme mais un "anti-programme», qui nie toute la tradition catholique. Et "les avocats de cet anti-programme désincarné, décrucifient et découronnent Jésus-Christ avec plus de brio que Kant et Loisy "(p. 104). En somme, "le manque de foi dont souffre Benoît XVI [...] s'explique par son herméneutique" (p. 106).
Ce qui fait les frais de ce procesus, selon Mgr Tissier de Mallerais, c'est surtout la notion de rédemption, qu'une théologie inféodée à la philosophie moderne, avec son optimisme personnaliste, n'est plus en mesure de concevoir dans sa référence constitutive aux exigences de la justice divine causée par le péché de l'homme, mais ne peut que réduire à une manifestation de la miséricorde, où le Christ vient plutôt confirmer et célébrer une grandeur et une dignité de la personne humaine fondée sur des prémisses philosophiques modernes entièrement étrangères au christianisme (!!!).
Par rapport au théologien Ratzinger, Benoît XVI ne marque aucun repentir, persiste à ne pas accepter le mystère de la Rédemption" (p. 110). Le Catéchisme de l'Église catholique de 1992 , ne saurait lui non plus être un point de rencontre, au contraire la théologie du cardinal Ratzinger s'y exprime, au point que "la justice divine et ses exigences sont tuées par le «Catéchisme»" ( p. 167).
Le texte, un authentique "tour de force" (en français dans le texte), revendique dès le départ sa nature de "pamphlet" (p. 11) et l'appartenance au genre "polémique" (ibid.). Comme tous les "pamphlets", il est construit selon la méthode des citations sélectives. Celles-ci montrent bien que l'enseignement catholique récent, depuis le Concile jusqu'à Benoît XVI, a voulu prendre en considération les questions et les exigences posées par la culture moderne et la philosophie. Mais il ne s'ensuit absolument pas que le Magistère ait emprunté les réponse à des philosophies contemporaines aux antipodes du christianisme , ni que le texte convainque, au-delà de la vigueur polémique.
En fin de compte, le livre n'est pas tant intéressant par ce qu'il affirme sur Benoît XVI , que par ce qu'il révèle de la mentalité de ceux qui l'ont écrit et de ceux qui le diffusent. En fait, en ce qui concerne la question des relations entre la Fraternité Saint-Pie X et le Saint-Siège, le livre permet peut-être de comprendre que le problème n'est pas seulement la liturgie, ou seulement une poignée d'extrémistes présents dans la fraternité. Ses représentants de tout premier ordre proclament, par écrit, un rejet total de Benoît XVI et de son enseignement.
Le chemin du dialogue, qui se poursuit malgré tout, semble semé d'embûches.