SOURCE - Roberto de Mattei - Correspondance Européenne - octobre 2011
La supplique de certains catholiques italiens à Benoît XVI afin qu’il n’aille pas à Assise en octobre prochain (cf. CE 229/01, 31 janvier 2011), a suscité un vif débat dans lequel, en plus d’appréciations qui font autorité, il y a eu, comme cela était prévisible, des critiques et des commentaires très perplexes.
Il me semble inutile de répondre aux accusations venant du côté progressiste qui voit dans cet événement l’occasion pour relancer un œcuménisme syncrétiste : ces critiques constituent en effet la meilleure confirmation de l’opportunité de notre appel. J’estime par contre qu’il est nécessaire de répondre aux critiques du côté conservateur, lancées par des frères dans la foi qui ont probablement notre même amour pour l’Eglise.
Ces critiques pourraient être résumées en ces termes : la rencontre d’Assise annoncée par Benoît XVI n’a pas à nous plaire ou à nous déplaire ; on ne peut pas critiquer un Pape pour ce qu’il a fait (Jean-Paul II en 1986) ou pour ce qu’il souhaite faire (Benoît XVI en 2011), prétendant lui expliquer ce qui est bon pour l’Eglise. De la part des fidèles, surtout s’ils sont des laïcs, on exige une religieuse approbation de toute initiative et décision du Souverain Pontife.
La réponse à cette critique vient du Catéchisme, de la tradition théologique, de l’histoire de l’Eglise et de l’Enseignement pontifical. Le Catéchisme nous enseigne que le sacrement du Baptême nous incorpore à l’Eglise, en nous faisant partager sa mission (n. 1213), et celui de la Confirmation oblige tous les baptisés « à répandre et à défendre la foi par la parole et par l'action en vrais témoins du Christ » (n. 1285). La promesse de l’assistance divine de l’Esprit Saint, plusieurs fois répétée par le Seigneur aux Apôtres (Jn, 14, 16-17; 26-26) ne se manifeste pas seulement à travers le Magistère, mais aussi à travers le consensus de l’universitas fidelium, comme l’ont expliqué, contre les protestants, le grand théologien dominicain Melchior Cano dans De Locis theologicis et saint Robert Bellarmin dans De ecclesia militante. Les théologiens successifs ont distingué entre l’infallibilitas in docendo et l’infallibilitas in credendo de l’Eglise. Cette dernière repose sur le sens de la foi, c’est-à-dire la capacité du croyant de distinguer ce qui est conforme à la foi de ce qui ne l’est pas, non pas par un raisonnement théologique, mais au moyen d'une sorte de connaissance par co-naturalité. La vertu de la foi (habitus fidei), reçue avec le Baptême, explique en effet saint Thomas d’Aquin, produit une co-naturalité de l’esprit humain avec les mystères révélés, faisant de sorte que l’intellect de tout baptisé soit, comme par instinct, attiré par les vérités surnaturelles et adhère à celles-ci.
Au long de l’histoire de l’Eglise, le sensus fidei des simples fidèles a été parfois plus conforme à la Tradition apostolique qu’à celui des Pasteurs, comme cela arriva pendant la crise arienne du IVème siècle, lorsque la foi fut gardée par une minorité de saints et d’évêques rebelles, tels saint Athanase, Hilaire de Poitiers, Eusèbe de Vercelli et surtout par le peuple fidèle. Ce dernier ne s'associait pas aux diatribes théologiques mais gardait, par un simple instinct surnaturel, la bonne doctrine. Le bienheureux Newman écrit qu’« à cette époque d’immense confusion, le divin dogme de la divinité de Notre Seigneur fut proclamé, inculqué, gardé et (humainement parlant) préservé beaucoup plus par l’Ecclesia docta que par l’Ecclesia docens ».
Le rôle de tout baptisé dans l’histoire de l’Eglise a été évoqué par Benoît XVI dans son discours du 26 janvier 2011. Le Pape a rappelé la mission de « deux jeunes femmes du peuple, laïques et consacrées dans la virginité ; deux mystiques engagées non dans le cloître, mais au milieu de la réalité la plus dramatique de l’Église et du monde de leur temps ». Il s’agit de sainte Catherine de Sienne et sainte Jeanne d’Arc, « peut-être les figures les plus caractéristiques de ces ‘femmes fortes’ qui, à la fin du Moyen Âge, portèrent sans peur la grande lumière de l’Évangile dans les complexes événements de l’histoire. Nous pourrions les rapprocher des saintes femmes qui restèrent au Calvaire, à côté de Jésus crucifié et de Marie sa Mère, tandis que les Apôtres avaient fui et que Pierre lui-même l’avait renié trois fois ». L’Eglise, dans cette période-là, vivait la profonde crise du grand schisme d’Occident, qui a duré presque 40 ans. A cette époque aussi dramatique que la crise arienne, ces deux saintes furent guidées par la lumière de la foi plus que les théologiens et les ecclésiastiques de l’époque. Le Pape adresse à ces deux laïques les mots de Jésus selon lesquels les mystères de Dieu sont révélés à ceux qui ont le cœur des tout-petits, alors qu’ils restent cachés aux sages et aux intelligents qui n’ont pas d’humilité (cf. Lc. 10, 21).
C’est dans cet esprit que nous avons exprimé toutes nos perplexités et réserves face à cette rencontre interreligieuse d’Assise du 27 octobre 1986, qui ne fut pas un acte magistériel, mais un geste symbolique, dont le message fut confié non pas à des écrits ou à des mots, mais au fait lui-même et à son image. Un hebdomadaire italien en résumait alors le sens avec les mots du père Marie-Dominique Chenu: « C’est le rejet officiel de l’axiome qui était enseigné jadis : hors de l’Eglise, point de salut » (“Panorama”, 2 novembre 1986).
J’étais à Assise ce jour-là et j’ai une documentation photographique de ce qui se passa, par exemple dans l’église Saint-Pierre où à la place du Très-Saint-Sacrement, une petite statue de Buddha fut intronisée sur l’autel qui garde les reliques du martyr Vittorino, alors que sur un étendard situé devant le même autel on lisait « Je me consacre à la loi du Buddha ». En tant que catholique, j’éprouvai et je continue à éprouver répugnance pour cet événement qui ne mérite pas, d’après moi, d’être rappelé sinon pour en prendre les distances. Je suis certain que Benoît XVI ne souhaite pas que les abus de cette époque-là se répètent, mais nous vivons dans une société médiatique et la nouvelle rencontre d’Assise risque d’avoir la même signification qui fut attribuée à la première par les moyens de communication et donc par l’opinion publique mondiale, comme cela est en train de se passer.
Aujourd’hui nous vivons une époque dramatique où tout baptisé doit avoir le courage surnaturel et la franchise apostolique de défendre à voix haute sa propre foi, suivant l’exemple des saints et sans se laisser conditionner par la “raison politique”, comme il se passe très souvent dans le domaine ecclésiastique aussi. Ce n’est que la conscience de notre foi et aucune autre considération qui nous a poussé à refuser Assise I et II et à exprimer au Saint-Père, avec respect, toutes nos préoccupations devant l’annonce d’un prochain Assise III.
(Roberto de Mattei)
La supplique de certains catholiques italiens à Benoît XVI afin qu’il n’aille pas à Assise en octobre prochain (cf. CE 229/01, 31 janvier 2011), a suscité un vif débat dans lequel, en plus d’appréciations qui font autorité, il y a eu, comme cela était prévisible, des critiques et des commentaires très perplexes.
Il me semble inutile de répondre aux accusations venant du côté progressiste qui voit dans cet événement l’occasion pour relancer un œcuménisme syncrétiste : ces critiques constituent en effet la meilleure confirmation de l’opportunité de notre appel. J’estime par contre qu’il est nécessaire de répondre aux critiques du côté conservateur, lancées par des frères dans la foi qui ont probablement notre même amour pour l’Eglise.
Ces critiques pourraient être résumées en ces termes : la rencontre d’Assise annoncée par Benoît XVI n’a pas à nous plaire ou à nous déplaire ; on ne peut pas critiquer un Pape pour ce qu’il a fait (Jean-Paul II en 1986) ou pour ce qu’il souhaite faire (Benoît XVI en 2011), prétendant lui expliquer ce qui est bon pour l’Eglise. De la part des fidèles, surtout s’ils sont des laïcs, on exige une religieuse approbation de toute initiative et décision du Souverain Pontife.
La réponse à cette critique vient du Catéchisme, de la tradition théologique, de l’histoire de l’Eglise et de l’Enseignement pontifical. Le Catéchisme nous enseigne que le sacrement du Baptême nous incorpore à l’Eglise, en nous faisant partager sa mission (n. 1213), et celui de la Confirmation oblige tous les baptisés « à répandre et à défendre la foi par la parole et par l'action en vrais témoins du Christ » (n. 1285). La promesse de l’assistance divine de l’Esprit Saint, plusieurs fois répétée par le Seigneur aux Apôtres (Jn, 14, 16-17; 26-26) ne se manifeste pas seulement à travers le Magistère, mais aussi à travers le consensus de l’universitas fidelium, comme l’ont expliqué, contre les protestants, le grand théologien dominicain Melchior Cano dans De Locis theologicis et saint Robert Bellarmin dans De ecclesia militante. Les théologiens successifs ont distingué entre l’infallibilitas in docendo et l’infallibilitas in credendo de l’Eglise. Cette dernière repose sur le sens de la foi, c’est-à-dire la capacité du croyant de distinguer ce qui est conforme à la foi de ce qui ne l’est pas, non pas par un raisonnement théologique, mais au moyen d'une sorte de connaissance par co-naturalité. La vertu de la foi (habitus fidei), reçue avec le Baptême, explique en effet saint Thomas d’Aquin, produit une co-naturalité de l’esprit humain avec les mystères révélés, faisant de sorte que l’intellect de tout baptisé soit, comme par instinct, attiré par les vérités surnaturelles et adhère à celles-ci.
Au long de l’histoire de l’Eglise, le sensus fidei des simples fidèles a été parfois plus conforme à la Tradition apostolique qu’à celui des Pasteurs, comme cela arriva pendant la crise arienne du IVème siècle, lorsque la foi fut gardée par une minorité de saints et d’évêques rebelles, tels saint Athanase, Hilaire de Poitiers, Eusèbe de Vercelli et surtout par le peuple fidèle. Ce dernier ne s'associait pas aux diatribes théologiques mais gardait, par un simple instinct surnaturel, la bonne doctrine. Le bienheureux Newman écrit qu’« à cette époque d’immense confusion, le divin dogme de la divinité de Notre Seigneur fut proclamé, inculqué, gardé et (humainement parlant) préservé beaucoup plus par l’Ecclesia docta que par l’Ecclesia docens ».
Le rôle de tout baptisé dans l’histoire de l’Eglise a été évoqué par Benoît XVI dans son discours du 26 janvier 2011. Le Pape a rappelé la mission de « deux jeunes femmes du peuple, laïques et consacrées dans la virginité ; deux mystiques engagées non dans le cloître, mais au milieu de la réalité la plus dramatique de l’Église et du monde de leur temps ». Il s’agit de sainte Catherine de Sienne et sainte Jeanne d’Arc, « peut-être les figures les plus caractéristiques de ces ‘femmes fortes’ qui, à la fin du Moyen Âge, portèrent sans peur la grande lumière de l’Évangile dans les complexes événements de l’histoire. Nous pourrions les rapprocher des saintes femmes qui restèrent au Calvaire, à côté de Jésus crucifié et de Marie sa Mère, tandis que les Apôtres avaient fui et que Pierre lui-même l’avait renié trois fois ». L’Eglise, dans cette période-là, vivait la profonde crise du grand schisme d’Occident, qui a duré presque 40 ans. A cette époque aussi dramatique que la crise arienne, ces deux saintes furent guidées par la lumière de la foi plus que les théologiens et les ecclésiastiques de l’époque. Le Pape adresse à ces deux laïques les mots de Jésus selon lesquels les mystères de Dieu sont révélés à ceux qui ont le cœur des tout-petits, alors qu’ils restent cachés aux sages et aux intelligents qui n’ont pas d’humilité (cf. Lc. 10, 21).
C’est dans cet esprit que nous avons exprimé toutes nos perplexités et réserves face à cette rencontre interreligieuse d’Assise du 27 octobre 1986, qui ne fut pas un acte magistériel, mais un geste symbolique, dont le message fut confié non pas à des écrits ou à des mots, mais au fait lui-même et à son image. Un hebdomadaire italien en résumait alors le sens avec les mots du père Marie-Dominique Chenu: « C’est le rejet officiel de l’axiome qui était enseigné jadis : hors de l’Eglise, point de salut » (“Panorama”, 2 novembre 1986).
J’étais à Assise ce jour-là et j’ai une documentation photographique de ce qui se passa, par exemple dans l’église Saint-Pierre où à la place du Très-Saint-Sacrement, une petite statue de Buddha fut intronisée sur l’autel qui garde les reliques du martyr Vittorino, alors que sur un étendard situé devant le même autel on lisait « Je me consacre à la loi du Buddha ». En tant que catholique, j’éprouvai et je continue à éprouver répugnance pour cet événement qui ne mérite pas, d’après moi, d’être rappelé sinon pour en prendre les distances. Je suis certain que Benoît XVI ne souhaite pas que les abus de cette époque-là se répètent, mais nous vivons dans une société médiatique et la nouvelle rencontre d’Assise risque d’avoir la même signification qui fut attribuée à la première par les moyens de communication et donc par l’opinion publique mondiale, comme cela est en train de se passer.
Aujourd’hui nous vivons une époque dramatique où tout baptisé doit avoir le courage surnaturel et la franchise apostolique de défendre à voix haute sa propre foi, suivant l’exemple des saints et sans se laisser conditionner par la “raison politique”, comme il se passe très souvent dans le domaine ecclésiastique aussi. Ce n’est que la conscience de notre foi et aucune autre considération qui nous a poussé à refuser Assise I et II et à exprimer au Saint-Père, avec respect, toutes nos préoccupations devant l’annonce d’un prochain Assise III.
(Roberto de Mattei)