Le grand œuvre de Benoît XVI - par Yves Chiron |
11 décembre 2006 - Aletheia n°102 - www.aletheia.free.fr |
Cette année 2006 qui s’achève aura été riche en actes magistériels de notre pape Benoît XVI (sa première encyclique), en nominations à des postes-clefs, en décisions personnelles (la création de l’Institut du Bon Pasteur), sans oublier la première condamnation du pontificat (l’interdiction d’enseigner au théologien allemand Hasenhüttl, théoricien et praticien de la communion interconfessionnelle). On tiendra pour essentielle sa volonté de continuer ou de renouer des dialogues avec les lointains ou les plus proches (l’Islam, l’orthodoxie, la Fraternité Saint-Pie X, sans oublier, plus discret, mais très riche de promesses, le dialogue avec certains secteurs de l’anglicanisme). Le motu proprio sur la liturgie traditionnelle, annoncé depuis plus d’un an, retardé à plusieurs reprises, sera, si l’on en croit certaines sources romaines, plus surprenant qu’on ne s’y attend et ne concernera pas que la liturgie traditionnelle. Il ne faut pas considérer Benoît XVI comme un « pape traditionaliste » – comme on l’a dit bien légèrement – ni même comme un pape qui placerait la question « traditionaliste » au premier rang de ses préoccupations. Il a une vision historique du présent de l’Eglise – son état de crise, dans un monde dominé par le relativisme – et une vision historique de ce que pourrait être son avenir, c’est-à-dire une vision qui n’est pas binaire et qui ne compte pas sur des retournements brutaux. Le grand œuvre que Benoît XVI a engagé va dans deux directions essentielles : l’unité de l’Eglise et la prière de l’Eglise. Son souci de l’unité de l’Eglise, face au monde relativiste et aux forces centrifuges, passe par un dialogue prioritaire avec les Orthodoxes. Les problèmes franco-français pourraient faire oublier que, pour le Pape, la réconciliation avec l’Orient orthodoxe est un engagement déterminé. La rencontre récente avec le Patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, n’est que la première étape d’un chemin qui vise au « rétablissement de la pleine communion entre catholiques et orthodoxes ». En 2007, la Commission mixte du dialogue catholique-orthodoxe reprendra ses travaux après six ans d’interruption. La reprise des travaux aura lieu en Italie, à Ravenne. Bartholomée Ier et Benoît XVI pourraient se rencontrer à nouveau à cette occasion et décider de co-présider la Commission. Le deuxième grand chantier ouvert par le Pape – rendre à la prière de l’Eglise une place centrale et son caractère sacré – prend la voie d’une réforme liturgique continuée. Mais Benoît XVI ne rétablira jamais la liturgie traditionnelle dans sa primauté et son exclusivité. Il l’a explicitement dit lui-même en plusieurs endroits (et j’ai essayé de l’expliquer ici à plusieurs reprises), Benoît XVI veut « réformer la réforme » liturgique engagée après Vatican II et, à long terme, il espère, il aspire à une fusion entre le rite traditionnel et le Novus Ordo Missæ rectifié et réformé ; une fusion par principe d’intégration. Il l’a écrit, en 2003, au Professeur Barth : « …il faut avancer pas à pas, chaque nouvelle précipitation ne produira pas de bons résultats. Mais je crois que, dans l’avenir, l’Eglise romaine devra avoir à nouveau un seul rite ; l’existence de deux rites est dans la pratique difficilement ”gérable” pour les évêques et pour les prêtres. Le rite romain de l’avenir devrait être un seul rite, célébré en latin ou en langue populaire, mais entièrement fondé dans la tradition du rite ancien ; il pourrait intégrer quelques nouveaux éléments, qui ont fait leurs preuves, comme de nouvelles Fêtes, quelques nouvelles Préfaces dans la messe, un Lectionnaire élargi – un plus grand choix qu’avant, mais pas trop –, une Oratio fidelium, c’est-à-dire une litanie de prières d’intercession après l’Oremus de l’Offertoire, où il avait jadis sa place. [1]» Que cette ambition – qu’il sait irréalisable dans l’immédiat – passe par la restauration de la liturgie traditionnelle dans son droit de cité dans l’Eglise, n’empêche pas qu’elle contredit les rêves de restauration intégrale et unique des uns et le mélange d’anarchie et de fixisme des autres. Cette ambition d’une réforme restauratrice en deux temps rencontre des résistances. Certaines oppositions épiscopales françaises ne doivent pas être sous-estimées (elles ont été provisoirement efficaces cet automne). Il en est d’autres qui sont autant, sinon plus, redoutables encore : aux Etats-Unis (refus d’appliquer les instructions reçues de Rome et dérives théologiques différentes des dérives françaises), et aussi en Afrique noire et en Asie (où, là, ce sont les pratiques liées à l’inculturation de la liturgie qui font des ravages). [1] Traduction intégrale de la lettre in Aletheia n° 89, le19 février 2006. |