Pourquoi l’heure est grave ? |
Décembre 2006 - Golias - golias.ouvaton.org |
Il est désormais difficile de nier que l’enjeu des grandes manœuvres du tandem Benoît XVI-Castrillon de Hoyos (1) concernant la réintégration des intégristes est de tourner le dos au Concile Vatican II. Bien sûr, le pape Ratzinger n’a de cesse de s’y référer, mais très habilement il en fait une relecture révisionniste qui le neutralise et le dénature complètement (2). Ainsi, au-delà de la matérialité des textes du concile, de la sédimentation des rédactions et des compromis finaux, un véritable tournant s’est dessiné, déjà longuement préparé (3) en amont, nous conduisant dans une autre direction. Le courant intégriste ne s’est pas trompé de cible : il accepte désormais les négociations avec Rome et surtout, accueille favorablement l’interprétation du Concile faite par Benoît XVI. L’interprétation ouverte du Concile comme événement fondateur, nouvelle inspiration, conversion de l’être chrétien, laisse hélas aujourd’hui la place à sa négation même : une sorte de concile châtré, épisode fade parmi d’autres, accumulation de textes doctrinaux indigestes ou convenus, qui n’empêche plus de dresser haut l’étendard menaçant d’une restauration catholique intransigeante. On comprend alors pourquoi les prochains temps seront décisifs. Au fond, pour le pape actuel et le cardinal Castrillon de Hoyos (4), le Concile aura simplement marqué une parenthèse regrettable que des naïfs – dont nous sommes – auront cru « enchantée ». Une page se tourne donc. Le chemin de ce pontificat est tracé : une appropriation conservatrice des textes d’un concile qui se voulait tout sauf « doctrinaire » : dans l’esprit de Jean XXIII, il ne s’agissait pas de définir des positions ou des dogmes comme à Nicée, Trente ou même Vatican I. Or, aujourd’hui, la Lettre l’emporte une nouvelle fois sur l’Esprit, dans une nouvelle manifestation de la peur devant la modernité et les « signes des temps » chers au pape Jean et à de nombreux Pères du Concile (Liénard, Frings, Alfrinck, etc…). Pour le pape Benoït XVI, la tradition de Vatican II est définitivement verrouillée. Pis, le « transfuge » Laguérie a même obtenu le droit de critiquer le Concile… Une première dans l’histoire de l’Eglise ( !) dont peu d’observateurs semblent avoir mesuré l’importance. L’abbé Laguérie serait donc chargé par Rome de dépister tout ce qu’il y a de faux dans le dernier Concile. On croit rêver ! Est-il vraiment l’homme le plus qualifié pour mener cette opération ? Comment Rome arrive-t-elle à une posture aussi lamentable ? A moins que nous voyons là la confirmation de ce que nous écrivons depuis des années, à savoir que Vatican II n’a pas remis en cause ni modifié substantiellement le modèle catholique intransigeant, mais a seulement procédé à des rééquilibrages (5). Au risque de laisser des brèches ouvertes dans lesquelles les intégristes se sont engouffrés pour faire leur nid. D’autant que le pape régnant a toujours dénoncé et ce, de manière récurrente, un prétendu « esprit du Concile ». Il nous faut donc, à Golias, poursuivre notre chemin de résistance humaine, spirituelle et théologique - pour sauver, avec d’autres, ce qui fait le cœur même de notre foi, - pour sauver notre liberté de fils et de fille de Dieu, - pour sauver jusqu’au nom de Dieu puisque le noyau dur de notre espérance est touché, atteint même. Le travail entrepris par Golias depuis des années maintenant est plus nécessaire que jamais. Le ralliement d’ex lefebvristes ensoutanés – signe avant coureur d’un mouvement plus important à terme – ne doit déstabiliser ni les communautés chrétiennes qui n’en ont vraiment pas besoin ni les hommes et les femmes de bonne volonté attachés à un christianisme d’ouverture. D’ores et déjà, nous refusons qu’une poignée d’activistes victimisés – appartenant tous à l’extrême-droite catholique et dont le latin est le cache sexe – débarquent dans l’Eglise pour faire la leçon et casser ce qui se construit même difficilement. Sans compter que les négociations pour leur réintégration se sont déroulées de manière honteuse. Car Rome , fidèle à ses habitudes, a non seulement imposé ses choix sans aucune concertation avec les responsables locaux, c’est-à-dire les évêques, mais, et ce n’est pas anodin, les a fait rentrer au bercail sans même leur demander, au moins publiquement, de « recevoir » le Concile et notamment la Déclaration sur la liberté religieuse (D. H. décembre 1965). Alors même que tous les clercs sont astreints à un serment de fidélité ! Un vrai scandale ! Nous le disons haut et fort : L’église de Laguérie n’est pas l’Eglise de Jésus Christ (6). Que ces “ralliés” d’une autre époque laissent le Peuple de Dieu poursuivre sa route éclairé en particulier – nous le soulignons avec force – par Vatican II. Un Concile que l’institution ecclésiastique n’est toujours pas prête à entendre et qu’elle continue à instrumentaliser dans la direction que l’on sait, incapable qu’elle est d’accepter la loi congénitale de notre foi en la Résurrection. Et pourtant, il lui faudra passer, un jour, par la mort pour renaître comme le Seigneur en son temps. Notes : 1. Cardinal colombien, Préfet de la Congrégation pour le clergé, président de la commission « Ecclesia Dei » chargée de la réintégration des intégristes. 2. Confère son discours à la Curie le 22 décembre 2005 à l’occasion du quarantième anniversaire du Concile Vatican II. Déclaration approuvée dans sa quasi totalité par les responsables de la Fraternité St Pie X. 3. L’œuvre de Joseph Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi sous le pontificat de Jean Paul II, témoigne d’une multitude de travaux pour une interprétation minimaliste du Concile. 4. La compétence théologique et pastorale du cardinal colombien est d’ailleurs très contestée dans les milieux ecclésiastiques, y compris les plus conservateurs. 5. Lire l’ouvrage de Pierre Hégy : « Vatican II, ou l’espoir déçu », aux éditions Golias. 6. Lire notre ouvrage “Le scandale Laguérie - le retour des intégristes”, aux éditions Golias. A paraître le 8 décembre 2006 (260 pages, 22 euros). |