| Où l’on reparle du Magistère | 
| Abbé Bruno le Pivain - revue-kephas.org - Octobre–Décembre 2006 | 
| « Ils reconnaissent les richesses de l’enseignement       du Concile Vatican II, fruit de la Tradition vivante de l’Église. […]       Les évêques attendent de ces fidèles un geste d’assentiment sans       équivoque aux enseignements du Magistère authentique de l’Église. […]       Dans sa Tradition, l’Église a toujours associé la liturgie à sa       foi. »… Ce court message de « fraternelle confiance »       est adressé par les évêques de France au Président de la Conférence       épiscopale, le Cardinal Jean-Pierre Ricard, à l’issue de la dernière       assemblée de Lourdes. Il est daté de la fête de la Dédicace de       Saint-Jean-de-Latran, cathédrale du diocèse de Rome, « Mère et       Tête de toutes les églises dans la Ville et le monde », selon l’inscription       latine qui court sur le majestueux frontispice de la basilique       reconstruite après 150 ans de ruines et de désolation ; message chargé       de sens, au-delà de l’épisode qui en fut le prétexte. Ces derniers mois l’auront encore montré : les       tensions sont nombreuses, qui manifestent la permanence de la crise       profonde que traverse notre Église. Ainsi de la « question       liturgique », sur laquelle on reviendra, au moyen d’un dossier       intitulé « L’esprit de la liturgie et celui de Vatican       II ». Mais c’est toujours au Magistère de l’Église, à sa       Tradition vivante, qu’il faut recourir si l’on veut démêler les fils       obscurs des contradictions dans lesquelles les catholiques français –       parfois aussi gaulois ou gallicans, suivant l’accent qu’on y met –       sont souvent enfermés. À ce sujet, les semaines écoulées sont aussi       riches d’enseignements que de confusions entretenues. Le 8 septembre dernier est donc créé par le Vatican       le nouvel Institut du Bon Pasteur, fort de cinq prêtres –       « médiatiques », ce qui, sans changer le caractère       sacerdotal, pourrait en rendre l’exercice plus ardu. Deux jours après,       le nouveau supérieur, l’abbé Laguérie, explique en chaire le rôle       que lui confie l’Eglise Mère et Maîtresse à propos de la réception       du Concile Vatican II : « Il faut redonner un sens       véritablement et univoquement catholique à tous ces textes, et c’est       également le travail confié à l’Institut. » La mission est       ambitieuse, pour le moins, puisque cela fait quelques décennies que le       Magistère de l’Église reprend, expose et illustre ces textes dont tout       théologien sait qu’il faut d’abord les recevoir avant que de les       commenter. Le Cardinal Ricard, dans son discours de clôture de Lourdes,       préfère distinguer les textes du Concile et leur application. Après       avoir noté que cette réception est encore à poursuivre, il remarque       aussi qu’il faut « vérifier » « que l’on ne met pas       sous son patronage des façons de vivre, de penser, de célébrer ou de s’organiser       qui n’ont rien à voir avec lui. » Il n’est cependant pas       question pour le moment, dans les déclarations des membres du nouvel       Institut, de la « notion incomplète et contradictoire de la       Tradition », pointée par le Motu proprio Ecclesia Dei du       pape Jean-Paul II au moment de la rupture lefebvriste. C’est pourtant       cette contradiction qui avait entraîné l’évolution de ce       mouvement : « C’est surtout une notion de la Tradition,       écrivait Jean-Paul II, qui s’oppose au Magistère universel de l’Église,       lequel appartient à l’évêque de Rome et au corps des évêques, qui       est contradictoire. » Quelques jours plus tard sourd la rumeur mille fois       relancée de la libéralisation imminente du rite de la messe dit       « de saint Pie V ». On ne sait d’où vient l’information,       qui s’enrichit quotidiennement de détails parfois contradictoires,       toujours inquiétants ou fascinants, suivant le bord duquel on les       perçoit. Le Saint-Père est alors soupçonné, à mots plus ou moins       couverts, ni plus ni moins que de remettre en question l’enseignement du       Concile Vatican II. On ignore ce faisant son désir, qui est celui du       Christ, de l’unité. Mais veut-on de cette unité ? Mieux, on ne       prend pas la peine – pourtant peu considérable – de remarquer que les       commentaires qui fusent en tous sens et l’exégèse appliquée qu’on       approfondit journellement ne se fondent sur aucun texte connu. Une fois le       tourbillon apaisé, ce « détail » apparaît flagrant. Sans       doute avait-on perdu de vue que le Saint-Père est l’un des rares       exerçant aujourd’hui une responsabilité dans l’Eglise – certes pas       la moindre – à avoir effectivement participé à ce Concile, et à n’avoir       eu de cesse depuis d’en transmettre l’enseignement, ce à quoi il s’est       de nouveau engagé quelques heures après son élection au Siège de       Pierre. L’évidence s’impose, qui explique aussi le choix       du patronyme de votre revue : la crise majeure de la foi que       traversent nos vieilles contrées de chrétienté se manifeste d’abord       par une crise de l’autorité magistérielle, de la réception de la       Parole de l’Église. On peut trouver à cet état de fait quatre raisons       majeures, qui n’épargnent aucun milieu – surtout pas ceux qui s’en       croient préservés. Tout d’abord, le refus du mystère, conséquence       directe de la sécularisation ambiante, fait que l’intelligence humaine       voudrait tout jauger à sa mesure, juger à sa convenance, et délaisse la       nécessaire docilité intérieure et la confiance qui doivent présider à       la croissance dans la vérité. La raison devient inapte à admettre la       moindre certitude qu’elle n’a pas pu vérifier par ses propres moyens.       L’homme, avec son pouvoir de décision et de réflexion, est livré à l’opinion       publique, à celle du milieu dans lequel il évolue. L’on sait ce que       pensaient les Anciens de l’opinion, Parménide allant jusqu’à       apostropher les « mortels à double tête ». Dans la ligne de cette atrophie de la raison – alors       même qu’elle s’imagine gagner en dignité -, l’on finit par se       contenter du slogan, inlassablement ressassé, qui va tenir lieu de dogme.       C’est le règne des magistères médiatiques ou des groupes de pression       qui s’allient bizarrement à l’autonomie de la conscience. Celle-ci,       en effet, va choisir son groupe, sa couleur, aura même l’impression d’imprimer       sa marque au mouvement des idées, puisque l’opinion la rejoindra, pour       la bonne raison qu’elle-même lui obéit. Elle pourra alors voter,       revendiquer, manifester, réclamer, voire déclamer... La condition d’exercice, ou l’atmosphère, de ces       attitudes, demeure le relativisme en ses multiples visages. Il est une       violence faite à l’intelligence, à la personne humaine. Il prive en       effet l’intelligence de ce pour quoi elle est faite, la Vérité. Il       coupe l’accès à Celui qui est la Vérité première. Il enlève ipso       facto la nourriture nécessaire à l’élan de la volonté et peut       sans doute être considéré comme l’une des causes majeures de l’état       dépressif de nos sociétés occidentales. Il empêche purement et       simplement l’exercice de la liberté, puisqu’il rend impossible le       choix entre deux propositions différenciées. Reste enfin cette double opposition tenace entre la       raison et la Tradition d’une part, entre la Tradition et le Magistère d’autre       part. Dans le premier cas, la liberté de l’acte de penser postule l’autonomie       absolue de la raison et refuse donc toute vérité reçue par voie de       transmission, de tradition. Dans le deuxième cas, c’est la Tradition       librement interprétée qui doit juger le Magistère. C’est oublier que       celui-ci est l’organe vivant sans lequel la Tradition n’est plus qu’un       vague souvenir remisé dans les greniers de l’histoire. Toutes ces caractéristiques modernes se retrouvent par       définition chez les baptisés, qui sont aussi dans le monde et de leur       temps, qu’ils soient dits « progressistes » ou       « traditionalistes ». Ainsi, le temps que nous vivons, jalonné d’inquiétudes,       de blessures, de ressentiments, est-il avant tout un temps de grâce. Oui,       les réponses aux multiples questions qu’ont pu faire naître les       décennies de l’après-Concile ne pourront venir que du Magistère de l’Église,       le même, hier, aujourd’hui et à jamais, parce que « l’Église,       c’est Jésus-Christ, mais Jésus-Christ répandu et communiqué. »       Le Magistère n’est pas d’abord à mesurer en termes de syllogismes ou       de juridiction, il est essentiellement l’expression de la Miséricorde       du Christ toujours à l’œuvre en ce monde et appelle à ce titre la       même confiance inébranlable. L’Église est servante de la vérité: ce       n’est que par une nouvelle prise de conscience de la dimension       essentiellement spirituelle du Magistère que pourront cesser les       dialectiques et s’édifier l’unité. Faut-il en effet mesurer la charité et freiner la       réconciliation ? Faut-il tamiser la vérité et l’enseignement de       l’Eglise? Les évêques répondent : « œuvrer pour la réconciliation       dans la vérité et la charité ». Une condition essentielle s’impose       ici, rappelée par le Saint-Père à l’Université du Latran dans son       beau discours du 21 octobre dernier, et que les tumultes des semaines       écoulées rendent plus urgente encore, alors qu’il s’agit du bien       spirituel des hommes de ce temps : « Que l’espace du silence       et de la contemplation, qui sont le décor indispensable sur lequel       planter les interrogations que suscite l’esprit, puissent trouver entre       ces murs des personnes attentives qui sachent en mesurer l’importance, l’efficacité       et les conséquences pour la vie personnelle et sociale. » C’est à ce prix que progresseront et la vérité, et       la charité. 1 - On se permet ici de renvoyer aux pages 178–181 de ce numéro de Kephas, pour la recension du nouvel ouvrage collectif paru aux éditions Ad Solem, premier de la collection « Kephas », sous le titre L’Église servante de la vérité – Regards sur le Magistère. | 
