7 avril 2006

 Le laborieux retour liturgique - J. Madiran
6 et 7 avril 2006 - www.present.fr - Mis en ligne par le Forum Catholique
Le laborieux retour liturgique (I)
Intégrer des fidèles ?
Accueillir la messe !

Le quotidien (officieusement) officiel a donné lundi des informations que l’ont peut considérer comme (officiellement) officieuses concernant l’état d’esprit de l’épiscopat français devant la faveur croissante, surtout chez les jeunes pratiquants, pour la MESSE CATHOLIQUE TRADITIONNELLE, LATINE ET GRÉGORIENNE SELON LE MISSEL ROMAIN DE SAINT PIE V.
Voici ces informations de La Croix reproduites dans leur texte même :

«… SUJET DÉLICAT : l’accueil des groupes traditionalistes dans les Eglises diocésaines. Les approches des évêques français sur le sujet sont souvent différentes, voire opposées. Ainsi, à Toulon, Mgr Dominique Rey a-t-il érigé en septembre une “paroisse personnelle” (non territoriale) pour les fidèles attachés à la messe dite de saint Pie V.
D’autres évêques se montrent beaucoup plus circonspects dans l’application du motu proprio Eccclesia Dei adflicta disposant de la réinsertion des “transfuges” de Mgr Lefebvre dans le giron romain. Or ces évêques-là se voient régulièrement opposer, par certains de leurs fidèles, l’attitude considérée comme plus “ouverte” de leurs collègues.
C’est le cas à Nanterre et à Reims, où Mgr Gérard Dancourt puis Mgr Thierry Jordan ont subi la fronde du groupe traditionaliste “La Paix Liturgique”. » (La Croix du 3 avril 2006.)

Le « sujet délicat » paraît mal abordé d’emblée.
Selon La Croix, en effet, l’épiscopat français considère qu’il s’agit de « l’accueil des groupes traditionalistes dans les Eglises diocésaines ».
Ou bien, et c’est le même problème, de « la réinsertion des “transfuges” de Mgr Lefebvre dans le giron romain ».
Je ne prétends nullement que cette question de la « réinsertion » et de « l’accueil des groupes » ne se poserait pas.
Mais c’est prendre les choses sous un aspect réel certes, important, grave, et cependant beaucoup trop subjectif, beaucoup trop restrictif, beaucoup trop limité.
Il se saurait suffire de poser la question de l’accueil « des fidèles attachés à la messe dite de saint Pie V ».
En même temps, ou peut-être d’abord, il s’agit d’accueillir la messe elle-même dans les diocèses d’où elle a été brutalement chassée depuis le 12 novembre 1969.

Autrement dit, il s’agit des droits de la messe elle-même : LA MESSE CATHOLIQUE TRADITIONNELLE, LATINE ET GRÉGORIENNE SELON LE MISSEL ROMAIN DE SAINT PIE V.
Il s’agit de voir comment elle a été chassée des diocèses, y compris de ce que La Croix appelle « le giron romain » ; il s’agit de comprendre pourquoi il faut l’y réintroduire et comment cela pourrait se faire.
D’autant plus qu’on ne saurait l’y réintroduire autrement qu’à son rang, qui est (au moins) celui d’une PRIMAUTÉ D’HONNEUR.

Il est possible que sans Mgr Lefebvre et sa FSSPX, il ait fallu plus longtemps encore pour en arriver au point où nous en sommes aujourd’hui.
Mais il n’y a pas seulement le FSSPX.
Il n’y a pas seulement non plus les autres groupes ou communautés « traditionalistes ».
Il y a la vie des diocèses, où grandit, surtout parmi les jeunes séminaristes, le désir plus ou moins conscient, plus ou moins bien informé, d’une liturgie ayant retrouvé sa dignité, sa piété, sa rectitude explicite, sa solennité traditionnelles.

Il y a aussi cette catégorie qui a toujours existé, mais qui n’avait jamais été aussi nombreuse : les catholiques non pratiquants. La « révolution d’octobre dans l’Eglise » prêchée par le (futur) cardinal Congar, et très précisément sa révolution liturgique, avait vidé beaucoup d’églises, rendu déserts les séminaires.
Ces eucharisties aux bavardages improvisés, interminables et souvent provocants, ces communions dans la main, ces tristes célébrations debout, avec les embrassades finales, toute cette vulgarité débordante avait atteint au coeur et blessé à mort la piété d’une grande partie du peuple chrétien qui en était devenue « non pratiquante ».
Et les vocations sacerdotales continuent d’en être anesthésiées dans les diocèses.

Aujourd’hui la hiérarchie ecclésiastique reconnaît in petto, et parfois même, explicitement, que la messe traditionnelle n’a « jamais été interdite », ce qui est vrai si l’on veut bien préciser : « jamais valablement interdite ». Elle a été interdite en fait, cruellement, elle l’a été de manière indirecte en 1969, puis directement à partir de 1974-1976.
Mais valablement, elle n’a jamais été interdite parce qu’elle ne pouvait, ne peut, ne pourra jamais l’être. Une coutume millénaire ne pourrait être valablement abolie dans l’Eglise que si en elle-même elle était mauvaise. Sinon, à elle seule, la coutume fonde la loi, elle a force de loi. A demain.

JEAN MADIRAN

PRESENT n°6061 daté du Jeudi 6 avril 2006 , p.1

Le laborieux retour liturgique (II)
Le système de l’« indult » est tombé en désuétude


La messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V : on appelle « communautés Ecclesia Dei » les chapelles, monastères, troupes scoutes, groupes atypiques (etc.) qui la célèbrent en vertu de la lettre Quattuor abhinc annos du 3 octobre 1984 et du motu proprio Ecclesia Dei adflicta du 2 juillet 1988 ; c’est-à-dire d’un « indult » accordé par l’évêque du diocèse.

Mais désormais ces indults sont inadéquats : par définition, ils ont perdu toute signification. Voici comment.

Un «indult » est une dérogation à un règlement ou une loi en vigueur. Le 3 octobre 1984, la congrégation romaine pour la doctrine avait adressé aux évêques la lettre Quattuor abhinc annos qui disait :

« Le Souverain Pontif [Jean- Paul II] lui-même, désireux d’aller au devant de ces groupes [« tradis »] concède aux évêques diocésains la faculté d’user d’un indult par lequel les prêtres et les fidèles (…) pourront célébrer la messe en utilisant le missel romain selon l’édition typique de 1962. »

Quatre ans plus tard, par le motu proprio Ecclesia Dei adflicta, Jean-Paul II recommandait aux évêques de faire « une application large et généreuse » de l’indult concédé en 1984.

L’indult, quand il était accordé par l’évêque du diocèse, précisait par quels prêtres, dans quelles conditions de lieu et de fréquence, pouvait être célébrée la messe traditionnelle : c’était une dispense de l’obligation imposant la messe nouvelle de Paul VI.

L’obligation de célébrer seulement selon le rite nouveau était par le fait même une interdiction du rite ancien.
Cette interdiction résultait (notamment) des ordonnances de l’épiscopat français du 12 novembre 1969 et du 14 novembre 1974 ; de la lettre du cardinal Villot, secrétaire d’Etat, du 11 octobre 1975 ; du discours consistorial de Paul VI, le 24 mai 1976.

En sens contraire, le cardinal Ottaviani avait déclaré le 9 juin 1971 à Louis Salleron : « Le rite traditionnel de la messe selon l’Ordo de saint Pie V n’est pas, que je sache, aboli. »
Mais depuis trois ans le Cardinal était à la retraite, et l’on ne tint pas compte de sa déclaration.

En 1986 Jean-Paul II, qui apparemment trouve douteuse la validité de l’interdiction, institue une commission de neuf cardinaux pour tirer la chose au clair et répondre à la question :

La célébration de la messe tridentine a-t-elle été interdite ?

La réponse de la commission fut :

Elle n’a jamais été [valablement] interdite.

Mais on n’en sut rien à l’époque, plusieurs conférences épiscopales ayant exigé du Pape que rien n’en soit publié.

Le premier à en parler en public fut le cardinal Stickler, le 20 mai 1995, lors d’une conférence aux USA. En 1998, dans son « enquête sur la messe traditionnelle », la revue La Nef publia en outre une lettre très détaillée qu’Eric de Saventhem avait écrite à ce sujet en 1994. Enfin, en 2005, le livre de l’abbé Paul Aulagnier sur La bataille de la messe rassembla, en une quinzaine de pages, tout ce que l’on peut savoir sur la sentence (et aussi les propositions) de la commission des Cardinaux.

La hiérarchie ecclésiastique dans son ensemble avait cru pendant quinze ou vingt ans qu’il fallait considérer la messe traditionnelle comme interdite. Peu à peu, les présidents des conférences épiscopales ayant eu connaissance du jugement des Cardinaux (et aussi du sentiment personnel de Jean-Paul II), la plupart des autorités hiérarchiques furent amenées à changer d’avis, sans trop le dire. Mais enfin cela fut dit de plus en plus, ici où là. Et notamment le 24 mai 2003, à Sainte-Marie-Majeure, quand le cardinal Castrillon Hoyos déclara le « droit de cité » de la messe traditionnelle partout dans l’Eglise.

Un indult, nous l’avons dit, est la dispense d’une loi ou d’une interdiction. S’il n’y a pas de loi, si l’interdiction n’existe pas, si elle n’a « jamais [valablement] existé », si cette inexistence est maintenant reconnue, il n’y a pas matière à consentir dispense d’une obligation qui n’existe pas.

Il n’y a donc aucune raison de continuer à laisser croire aux « communautés Ecclesia Dei » que si elles peuvent célébrer la messe traditionnelle, ce serait seulement en vertu d’un indult, d’ailleurs révocable, ce qui permet des pressions indiscrètes tendant à leur imposer de célébrer aussi la nouvelle messe. Sous le régime de l’indult, la messe traditionnelle ne paraissait légitime que si elle restait à l’écart de la vie des diocèses, en quelque sorte enfermée dans les limites de quelques fraternités sacerdotales, de quelques chapelles et de quelques monastères. Elle a vocation à sortir de cet enfermement.

J.M.

PRESENT n°6062 daté du Vendredi 7 avril 2006 , p.1