Votre Excellence,
Comme nous nous préparons à entrer en Carême, période la plus douloureuse du calendrier de l’Église, je tiens à vous exprimer la peine que m’a causée votre sermon du 2 février dernier, prononcé en la fête de la Purification de Notre-Dame.
Ce qui m’a peiné ainsi, c’est ce que vous avez commencé de dire à la vingt-quatrième minute au sujet des « prêtres indépendants ». Ma première réaction a été la surprise, qui a fait place à l’indignation. Depuis lors, la prière m’a permis de prendre du recul et de vous accorder du moins le bénéfice du doute, car il est fort possible que vous n’ayez pas eu l’intention d’attaquer des prêtres injustement suspendus de leur diocèse ou de leur ordre religieux et officiant à titre plus ou moins individuel. Votre but principal, semble-t-il, était d’exposer un état des négociations avec Rome aux séminaristes de Winona et à leurs familles, dans le contexte des enseignements de l’Église. Comme vous avez fort peu développé les points en question, on peut considérer que votre propos se bornait à la situation de la Fraternité Saint-Pie X, sans allusion à quiconque d’autre.
Mais ce qui rend vos déclarations d’autant plus graves, c’est que votre sermon est aussi disponible en ligne sur le site officiel de la FSSPX. Par conséquent, quelque aient été vos intentions, ce que vous avez dit a été entendu de beaucoup, dont certains auront facilement pu en tirer la même impression que moi. Même en excluant l’existence d’arrières-pensées de votre part, ces remarques me semblent avoir été au moins sources de malentendu. Cela tient tout autant à ce que vous n’avez pas dit qu’à ce que vous avez effectivement dit.
Vous avez donc laissé entendre qu’un prêtre indépendant, vagus, perd automatiquement tout droit à l’exercice d’un ministère sacramentel. En temps normal, c’est évidemment exact. Mais ensuite, sans la moindre allusion à un « état d’urgence » et à une « juridiction suppléée », après une ou deux autres remarques, vous avez dit que la FSSPX n’était pas un groupe indépendant et ne l’avait jamais été. N’est-il pas tout à fait logique d’en déduire que vous cherchiez à écarter ainsi des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X ce stigmate qui, s’il leur était applicable, justifierait qu’on ne leur reconnaisse aucun droit à l’exercice d’un ministère sacramentel, même dans les temps que nous vivons ?
Mgr Fellay use de deux poids et deux mesures
Or, pour autant que je sache, la FSSPX n’a aucune juridiction ordinaire au sein de l’Église, et comme Mgr Tissier l’a si bien soutenu il y a une dizaine d’années de cela dans un article publié – je crois – par Si Si No No, elle fonctionne en fait suivant le principe de « juridiction suppléée ». Selon ce principe, ainsi que vous le savez, les laïcs peuvent s’adresser à tout prêtre catholique pour recevoir les sacrements lorsque cela se justifie. Dans ces conditions, pourquoi avez-vous dit que les prêtres indépendants devaient être incardinés, alors même qu’étant donné la crise actuelle au sein de l’Église, ils doivent aussi s’appuyer sur les principes d’ « état d’urgence » et de « juridiction suppléée » ? À quoi rime une telle incohérence, qui ne fait qu’ajouter à la confusion générale dans laquelle nous vivons ?
Si l’on suit votre raisonnement, un laïc est parfaitement fondé à s’adresser à un prêtre de la FSSPX, qui fait partie de ce qu’on ne peut même pas nommer canoniquement un ordre religieux, mais il ne doit pas s’adresser à un prêtre tel que moi, ou à l’un des autres prêtres indépendants qui se retrouvent frappés d’une injuste suspension alors qu’ils s’efforcent de maintenir leur tête et celle des fidèles hors de l’eau pendant cette crise universelle de l’Église. Est-ce bien ce que vous voulez nous dire ? Peut-être pas, mais cela y ressemble beaucoup.
Vous avez peut-être autre chose à faire, je l’admets volontiers, que de vous pencher sur des situations comme celle qui est la mienne à Garden Grove (Californie). Mais comme dans beaucoup d’autres cas que je pourrais citer, j’estime que notre situation répond au critère de « juridiction suppléée ».
Si l’on suit votre raisonnement, un laïc est parfaitement fondé à s’adresser à un prêtre de la FSSPX, qui fait partie de ce qu’on ne peut même pas nommer canoniquement un ordre religieux, mais il ne doit pas s’adresser à un prêtre tel que moi, ou à l’un des autres prêtres indépendants qui se retrouvent frappés d’une injuste suspension alors qu’ils s’efforcent de maintenir leur tête et celle des fidèles hors de l’eau pendant cette crise universelle de l’Église. Est-ce bien ce que vous voulez nous dire ? Peut-être pas, mais cela y ressemble beaucoup.
Vous avez peut-être autre chose à faire, je l’admets volontiers, que de vous pencher sur des situations comme celle qui est la mienne à Garden Grove (Californie). Mais comme dans beaucoup d’autres cas que je pourrais citer, j’estime que notre situation répond au critère de « juridiction suppléée ».
Présentation simpliste des relations entre Mgr Lefebvre et les prêtres indépendantsEn réalité, l’abbé Frederick Schell est le prêtre qui, À LA DEMANDE de certains laïcs de Californie du Sud, a créé dans les années soixante-dix les centres de messes qui allaient devenir Our Lady Help of Christians (Notre-Dame Secours des Chrétiens). C’est lui aussi qui fit office de sous-diacre à la première messe [de la FSSPX] célébrée en l’église Saint-Joseph, à Colton (Californie), au début des années quatre-vingts, ainsi que vous vous en souvenez peut-être, et si je ne m’abuse, elle fut chantée par Monseigneur Lefebvre en personne.
À propos de Monseigneur Lefebvre, vous avez fait allusion à lui dans votre sermon aussitôt après votre remarque sur les prêtres indépendants, en soutenant longuement qu’il ne voulait pas ordonner de prêtres qui officieraient à titre indépendant. C’est peut-être vrai, mais je ne pense pas qu’une telle déclaration soit tout à fait pertinente. Elle aurait plutôt tendance à confirmer mon interprétation de vos propos, car si l’archevêque était opposé à l’ordination d’un tel homme, c’était sûrement en vertu de la nécessité que celui-ci soit incardiné, n’est-ce pas ? C’est de cette nécessité que vous avez parlé dans votre sermon.
Il existe évidemment une différence entre le fait de dire que l’archevêque était contre l’ordination d’hommes appelés à officier de manière indépendante et celui de dire qu’il était opposé à tous les prêtres indépendants au seul motif de leur indépendance. Des sources « bien informées » m’ont d’ailleurs informé, il y a quelque temps, que l’archevêque ne jugeait pas nécessaire que ces prêtres entrent dans la Fraternité ou nouent tous autres liens tangibles avec l’Église au-delà de ce qui a été indûment supprimé. Et même s’il le jugeait nécessaire, cela ne prouverait rien, si ce n’est que telle était son opinion.
Dans ces conditions, si vous tenez à critiquer le statut de prêtre indépendant à seule fin d’enseigner vos séminaristes ou d’avertir les fidèles, même de manière indirecte, ne vaudrait-il pas mieux vous attaquer aux véritables problèmes ? Au cas où je me serais montré trop présomptueux, vous voudrez bien m’en excuser, et il vous sera loisible de me corriger, mais la manière dont vous avez traité la question des prêtres vagus laisse peu de place à une interprétation plus bienveillante de vos propos. Il n’est pas grave que nous soyons en désaccord, même sur bien des choses, mais les temps sont assez durs pour que l’on évite de susciter des différends supplémentaires entre amis. Toutes autres considérations mises à part et, là encore, en vertu du principe de « juridiction suppléée », j’ai exactement le même droit que vous d’exercer un ministère sacramentel.
En fait, techniquement parlant, étant donné que je suis toujours un prêtre de l’archevêché de Newak (New Jersey), et abstraction faite de toute sanction injuste dont je puis être l’objet, j’ai parfaitement le droit d’administrer les Sacrements, car un diocèse occupe un rang canonique plus élevé qu’une association comme la Fraternité Saint-Pie X.
La FSSPX se sert des prêtres indépendants, mais les critique dans leur dosSi je vous ai bien lu, et si les prêtres indépendants n’ont pas le droit d’exercer de ministère sacramentel, comment pouvez-vous collaborer avec eux ? Car il est de notoriété publique que plusieurs prêtres n’ayant par ailleurs aucun statut canonique officiel au sein de l’Église célèbrent la messe dans vos chapelles. Serait-ce qu’ils ont acquis ce droit du seul fait de dire la messe et d’entendre les confessions à l’intérieur de vos locaux ?
Même si ce que vous avez dit dans votre sermon était vrai, il n’en resterait pas moins que ces prêtres ne sont en rien différents de moi-même ou des autres prêtres indépendants, et que vous collaborez donc avec des vagabonds. Est-ce là ce que vous voudriez nous faire croire ?
Dans l’affirmative, ce serait particulièrement décevant, car vous seriez bien en peine de trouver – parmi les clercs indépendants – des prêtres qui ont soutenu la FSSPX autant que nous l’avons fait à Our Lady Help of Christians. Vous vous souvenez peut-être d’avoir rencontré l’abbé Patrick Perez – aujourd’hui évêque – à la conférence historique organisée pour le quarantième anniversaire de la création de la Fraternité Saint-Pie X. Il n’était pas question, alors, de présenter l’abbé Perez comme représentant un danger, voire un scandale pour lui-même ou les âmes des fidèles. Nous envoyons nos gens aux retraites que la FSSPX organise à Los Gatos et Phoenix sous la direction de deux des meilleurs prêtres qu’il m’ait été donné de rencontrer, l’abbé Jacques Emily et l’abbé Trevor Burfitt. Nous nous sommes également efforcés d’envoyer à Winona ceux de nos hommes qui se sentaient une vocation au sacerdoce, pour apprendre ensuite à leur retour que là-bas, les séminaristes, y compris les diacres, disaient du mal de nous. Je me garderais bien de voir là une offense personnelle, mais c’est tout de même décourageant. Naturellement, quand on a entendu votre sermon, on ne s’étonne plus de ces médisances !
J’espère que tout cela n’est qu’un malentendu. Sinon, nous autres, qui sommes extérieurs à la FSSPX, devrons nous demander s’il ne faut pas voir là les préparatifs d’un ralliement que l’on continue à nous annoncer, bien que les négociations avec Rome ne semblent jamais devoir finir.
Voici un autre exemple. Je me souviens très bien qu’en 2003, comme je résidais encore dans le New Jersey, j’ai reçu par la poste un ouvrage publié par la FSSPX et intitulé Priest, Where is Thy Mass ? Mass, Where is Thy Priest ? (Prêtre, où est ta messe ? Messe, où est ton prêtre ?). Il racontait l’histoire des seize premiers prêtres (auxquels un dix-septième devait venir s’ajouter ensuite) qui ne sont pas membres de la Fraternité et qui ne célébraient que la messe en latin. Or, la plupart, sinon tous, étaient dans la catégorie des « indépendants », et certains disaient la messe dans les chapelles de la Fraternité.
Si j’ai bien compris votre sermon, Votre Excellence, chacun de ces prêtres était ou est un vagus n’ayant aucun droit d’exercer un ministère sacramentel. Cela signifierait qu’ils étaient assez bons en 2003 pour être des témoins devant le monde, ce qui suppose de prendre parti pour la Tradition et contre les compromis avec le progressisme, mais qu’en 2012, ils ne sont plus habilités à administrer les sacrements aux personnes qui les demandent, sauf si celles-ci se trouvent en danger de mort.
Est-là ce que vous nous dites, Monseigneur ? Je ne puis l’imaginer, et pourtant, ce que vous avez déclaré et la manière dont vous l’avez déclaré peut avoir donné à beaucoup de gens l’impression que c’est très exactement ce que vous nous dites. Pour ma part, j’ai éprouvé cette impression.
Je prie pour que ce message retienne votre attention et vous aide soit à adopter en public une autre position sur le cas des prêtres indépendants, soit du moins à vous montrer plus clair lorsque vous traitez d’une question aussi délicate, notamment aux États-Unis, où le statut de prêtre indépendant est très répandu et où il existait, du reste, avant la fondation de la Fraternité Saint-Pie X.
En Marie Immaculée
Abbé Paul Sretenovic
Our Lady Help of Christians
Garden Grove (Californie)