La première épître de saint Paul aux Corinthiens fait penser à l’attitude de Mgr Marcel Lefebvre : « La charité ne fait rien de messéant, elle ne cherche pas son intérêt, elle ne s’emporte pas, elle ne tient pas compte du mal. Elle ne prend pas plaisir à l’injustice, mais elle trouve sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle endure tout. » Ces quelques mots résument l’attitude d’un prélat avenant qui a fondé sa consolation sur la foi, n’a pas lorgné sur les défauts de ses confrères, n’a jamais nourri aucune rancune ni aigreur et ne s’est pas attaché à indisposer maladroitement. Fort de ses cinquante ans d’activité missionnaire, le fondateur de la Fraternité Saint-Pie X invitait ses séminaristes à faire preuve de mansuétude et de patience envers les nouvelles recrues, malgré leurs défauts, malgré leur mauvaise formation éventuelle. Le tentateur invite-t-il à s’impatienter et à s’exaspérer sur les défauts de ceux qui n’épousent pas les canons de nos préjugés ? Nous pousse-t-il à forcer le trait sur notre voisin de banc ou sur notre prochain ? Mgr Lefebvre répond de manière simple, vivant pleinement sa devise : « Et nous, nous avons cru en la charité » :
« Si j’ai demandé à ceux qui viennent d’arriver aujourd’hui de ne pas être présents à cette conférence, c’est parce que je voulais précisément vous donner quelques conseils à leur propos. Quelles doivent être les relations que vous devez avoir avec ceux qui arrivent ? Eh bien, je pense que vous devez d’abord les accueillir le plus charitablement possible, le plus aimablement possible, vous faire leurs guides car ils sont un peu perdus dans la maison. Et, dans le règlement, il y a bien des détails qu’ils ne connaissent pas. Par conséquent, vous devez les aider, ils doivent trouver chez vous une assistance compréhensive et surtout – chose plus importante encore – avec le temps, vous les connaîtrez davantage, vous constaterez chez eux certainement ce qui s’est trouvé chez vous aussi.
« Il y a parmi les quarante qui sont là toute une gamme d’opinions, de manières de voir les choses ; il y en a qui n’ont aucune difficulté à s’assimiler à la maison parce qu’ils se sont trouvés dans un milieu dans lequel ils étaient déjà comme s’ils étaient au séminaire, du moins avec les mêmes pensées, les mêmes idées ; leurs parents pensaient comme eux, comme nous : il n’y a pas de difficultés, donc ils se trouvent ici dans leur milieu, sans aucun hiatus, sans aucune difficulté. Mais il faut comprendre aussi et il faut être très charitable et très compréhensif pour ceux qui n’ont pas eu ce bonheur, qui n’ont pas eu cette grâce de se trouver dans un milieu qui d’emblée s’est opposé aux réformes et qui a voulu maintenir la tradition de l’Église. Alors il y en a certainement qui auront un peu de peine à se faire au milieu, soit à cause du latin soit à cause de l’ambiance qu’ils peuvent trouver ici. Alors, aidez-les et ne les rebutez pas ! Ne soyez pas durs avec eux ou ne leur faites pas de reproches, ne les considérez pas comme des gens qui ne sont pas à leur place ici comme si vous aviez, vous, à les juger.
Conférence aux séminaristes d’Écône, 5 octobre 1974
« Il faut donc au contraire savoir les comprendre qu’il y en a qui peuvent avoir un peu de difficultés à assimiler les idées et la manière de penser, de voir les choses comme on les voit ici. Mais vous pouvez faire beaucoup dans un sens ou dans l’autre : vous pouvez aider ceux-là à mieux assimiler les principes qui vous sont donnés ici, et vous pouvez au contraire les éloigner et peut-être un jour, je dirais, les contraindre à partir et, peut-être, par conséquent, avoir brisé une vocation soit par manque de compréhension, par manque de charité, par rudesse, par un peu d’orgueil. Alors, il faut les comprendre ! Et s’il y en a qui vous disent des choses qui vous paraissent maintenant inadmissibles et qui sont à juste titre inadmissibles, laissez-les parler ! Et, tout doucement, faites leur voir les difficultés, les objections de ce qu’ils disent et, tout doucement, les amener, leur donner, leur faire venir la lumière que vous avez et dont vous profitez ici et non pas tout de suite prendre une position ego contra : « Mais comment ? C’est inadmissible ! Mais comment pensez-vous des choses comme ça ? Mais votre place n’est pas ici ! »
« Évidemment, Qu’est-ce que vous voulez qui arrive dans la situation actuelle ? Il faut bien se dire que ce sera de plus en plus comme ça et ceux qui sortent des écoles catholiques ne savent plus rien, non seulement ne savent plus rien mais ont une foi déformée ! Alors c’est déjà une grâce pour eux de venir ici, d’être attirés et d’avoir la grâce et le courage de venir à Écône. Ils ont peut-être été très réprimandés par leur entourage, réprimandés par des prêtres : « Mais comment ? Aller à Écône ? Enfin ! On n’a pas idée de ça ! Il ne faut pas y aller ! Ce sont des gens qui sont hors de l’Église ! Vous allez chez des schismatiques, chez des hérétiques ! »
« Alors eux ont eu le courage de briser ces obstacles et de venir quand même à Écône et, quelquefois, malgré leurs parents. Alors si maintenant ils arrivent ici et qu’ils sentent un manque d’affection, un manque de compréhension, une dureté de la part du milieu dans lequel ils se trouvent, ça les rejette dans leur milieu. Au lieu de les attirer, ça les rejette et ils pourraient peut-être dire à juste titre : « Ah voilà ! C’est ça, c’est ce qu’on m’avait dit du milieu intégriste. Ce sont des gens durs, austères, qui n’ont pas de compréhension, pas de charité, ils ne font de quartiers pour rien, il est absolument impossible de parler avec eux, impossible d’avoir une conversation aimable… » Alors il ne faut pas que ce soit comme cela. Ce sont là des manières de faire qui font preuve d’un manque d’humilité et d’un manque de charité.
« Nous ne devons jamais nous enorgueillir des dons et des grâces que le bon Dieu nous a faits car ils ne viennent pas de nous, c’est le bon Dieu qui nous les a données et nous devons précisément essayer de les communiquer aux autres, essayer de faire que les autres puissent avoir les grâces et les dons que le bon Dieu nous donne ! Alors je tenais à vous dire cela parce que, depuis hier déjà, j’ai déjà pu parler avec certains de ces jeunes et je me suis très bien rendu compte que pour certains d’entre eux, déjà, les simples cérémonies auxquelles ils ont assisté les déroutent complètement. Il y en a qui n’ont jamais assisté à une cérémonie en latin, ils ne savent pas ce que c’est ! Alors évidemment vous, vous trouvez cela tout à fait normal mais certains d’entre eux n’ont jamais assisté à une cérémonie en latin, c’est un monde nouveau dans lequel ils entrent. Alors aidez-les à entrer dans ce monde nouveau, dans ce monde qu’est l’Église ! Aidez-les à entrer et n’agissez pas de telle manière qu’ils se croient obligés de partir. »