15 mai 2013

[Abbé Ludovic Girod, fsspx - La Sainte Ampoule (bulletin)] La bonne humeur

SOURCE - Abbé Ludovic Girod, fsspx - La Sainte Ampoule (bulletin) - mai 2013

En ce mois de mai, nous honorons d’une manière toute particulière la Vierge Marie, par la récitation plus fervente du chapelet, des louanges spéciales, une plus grande attention à pratiquer ses vertus de pureté, d’humilité ou d’obéissance. Marie est vraiment la « cause de notre joie » : elle met au monde le Sauveur et l’accompagne dans sa mission de Rédemption. Elle veille sur nous du haut du ciel et nous tend les bras pour que nous la rejoignions auprès du Dieu unique en trois personnes.

Notre Dame nous communique cette joie qui est un des fruits du Saint-Esprit. Mais il faut reconnaître que cette joie cède bien souvent le pas à la morosité et à la mauvaise humeur. Les circonstances actuelles de crise dans l’Eglise et de décadence de nos sociétés nous préoccupent à juste titre. Réfléchissons donc à la place que doit tenir la joie dans notre vie, surtout dans l’oeuvre d’éducation. Saint Jean Bosco sera pour nous un guide sûr, lui qui voulait que la joie débordât partout dans ses maisons.

La philosophie nous apprend que la joie est cette complaisance du coeur dans un bien qu’il sent vraiment à soi. Quels sont ces biens stables dont nous pouvons nous réjouir ? Le premier et le plus important, que personne ne peut nous ravir en dehors de nous, est le trésor sans égal d’une conscience en paix avec Dieu, d’une âme en état de grâce, devenue la demeure des trois personnes de la Sainte Trinité. Au-delà de ce motif de joie, commun à tous les chrétiens qui vivent dans la fidélité à leur baptême, la jeunesse et l’enfance en ont des spécifiques. Citons notamment la sécurité affective, qui est le sentiment de paix et de confiance qu’éprouve l’enfant lorsqu’il sait qu’il est vraiment aimé par ses parents et ses proches, que les adultes qui l’entourent désirent son bien et ne ménagent pas leurs efforts pour le lui procurer. Cette sécurité affective n’existe hélas pas pour de nombreux enfants victimes des divorces et de la violence de nos sociétés. Ils deviennent inquiets, méfiants, dépressifs ou violents. Quelle différence avec des enfants élevés dans des familles unies, qui respirent la confiance et la joie de vivre. Un autre motif de joie est l’ardeur de la jeunesse, cet âge de la vie plein de promesses, de projets, de vitalité. Cette joie continuera si le coeur sait garder sa jeunesse malgré le poids des ans.

L’éducation chrétienne doit donc baigner dans une atmosphère de joie et de bonne humeur. Ne rendons pas la vie chrétienne pénible et hautaine, la vertu aride et épineuse. Le Père Auffray, dans son livre La pédagogie d’un saint (il s’agit de saint Jean Bosco et de la pédagogie salésienne), nous avertit : « Par ailleurs, dans un avenir très proche, ce bambin évaporé et distrait deviendra un adolescent grave et réfléchi. Eh bien, quand il ouvrira les yeux sur la vie et le monde, quel spectacle frappera immanquablement son esprit curieux ? Autour de lui, dans les sociétés qu’il coudoiera, le vice s’étalera triomphant, il sera tapageur, il éclatera de rire, il semblera tirer à lui tout plaisir, il laissera entendre que seul il monopolise le bonheur. Contre cette séduction et ce mensonge – qu’à cette heure son inexpérience serait incapable de démasquer – il faut que de bonne heure le jeune homme ait appris que la vertu est charmante, qu’elle recèle des joies profondes, que la religion n’est jamais amie de la tristesse, qu’elle bénit et encourage toue joie pure, que le vrai rire est chrétien, que la joie est un don de Dieu, la plus douce des créatures sorties de ses mains après l’amour ». Le monde se présente toujours sous les couleurs chatoyantes d’une

campagne électorale, mais bien vite le vice rend esclave et fait perdre toute vraie joie : « La condition servile, qui soumettait la créature humaine à son semblable, finissait du moins avec la vie ; mais l’assujettissement au péché forge des chaînes que la mort ne brise pas » (Cardinal Pie).

L’Abbé Bethléem, dans son Catéchisme de l’éducation, un peu vieillot mais rempli de bonnes choses, donne quelques conseils pour entretenir une atmosphère de joie dans la famille.

1) Les parents s’efforceront d’être gais, de manifester leur bonne humeur, au lieu de toujours rester guindés, corsetés et bâillonnés. Une réunion de famille n’est pas un prêche méthodiste ou une réunion de la ligue anti-alcoolique.

2) Ils observeront ce qui est de nature à faire naître le rire chez leurs enfants et s’en serviront avec intelligence et discrétion. Et l’Abbé Bethléem de citer une Mme de Genlis affirmant que « le rire vaut souvent mieux que les médicaments ».

3) Les parents accorderont à leurs enfants une détente raisonnable. Les enfants ont besoin d’espace, d’air, de mouvements, de cris. Mieux vaut une cour de récréation avec une partie de foot trépidante, que des petits groupes statiques aux conversations louches dans leur coin. On cite l’exemple du roi Saint Louis qui, alors que les religieux de son entourage voulaient aborder des sujets relevés après le dîner, disait : « Il n’est pas temps de raisonner, mais de se récréer par quelques joyeusetés et quolibets ; que chacun dise ce qu’il voudra honnêtement ».

4) Ils éviterons les saillies et les éclats qui terrorisent et referment les physionomies et les coeurs. Qui aime bien, châtie bien : les enfants méritent assez souvent d’être vertement repris ou punis. Mais que ces corrections ne brisent pas le lien de confiance, qu’elles soient dosées non à l’état d’énervement du père de famille qui vient de recevoir un avis de mutation, mais à la gravité réelle de la faute enfantine.

5) Ils rendront aussi courts que possible les moments de sévérité, et, une fois la correction achevée, ils n’en garderont aucun souvenir et n’en feront aucune mention. Dieu n’agit pas à la manière de la justice humaine, qui inscrit à vie les crimes et les délits sur notre casier judiciaire. Il pardonne de tout coeur et remet sa faute au pécheur, ce qui n’empêche pas le pécheur de garder le souvenir de sa chute pour implorer la grâce de la persévérance. Sachons tourner la page et ne pas revenir sur les fautes du passé.

La joie du foyer peut être comparée au soleil : on peut vivre sans qu’il brille, mais que l’existence devient pesante et languissante à la longue ! Mais s’il donne sa lumière et sa chaleur de manière habituelle, la vie devient bien plus facile, les talents de chacun se développent au grand jour et les fruits des bonnes oeuvres abondent véritablement. « La joie, écrit Mgr de Keppler (Vers la joie) est un important facteur de la vie, une besoin inné de l’homme, un trésor précieux, une force incontestable. A chaque homme elle est nécessaire, tout homme y a droit. Elle est aussi indispensable à la santé physique qu’à la santé morale, au travail intellectuel, qu’au labeur de l’ouvrier, et, sans elle, la vie chrétienne peut difficilement s’épanouir ».

Je laisserai le mot de la fin à un père et une mère de famille : « Se faire une âme d’enfant, toujours prête à s’émouvoir et à s’émerveiller de tout ce qui, dans la nature, n’a pas été adultéré par le péché. Retrouver à chaque réveil un regard neuf qui s’éprenne de la lumière comme au premier jour.

[…] Le foyer chrétien ne se nourrit pas seulement aux sources de la joie humaine et divine ; il devient lui-même créateur de joie, il la répand au dehors. Il transforme cette énergie à lui fournie par la vie, il la façonne en objets de beauté, au gré des besognes quotidiennes, le plus souvent sans lustre et parfois rebutantes, toujours poussé en avant par le moteur de l’unique amour. C’est alors que se constitue lentement, comme un travail de madrépore et de coraux, le nid familial où éclosent les enfants, où les amis viennent se réchauffer comme phalènes attirés par la flamme. Ce foyer, voilà le dernier rempart contre les entreprises du Prince de ce monde, avant que retentissent les trompettes de Josaphat. Ce n’est pas pour rien que le Christ a présidé le repas des Noces de Cana, y a changé l’eau en vin. Il est le ferment qui transforme la pâte. il fait surgir les vierges sages qui, lampes à la main, iront un jour s’asseoir au banquet des Noces célestes.

C’est là, au creuset du foyer, que se fondent les âmes héroïques, capables de se dévouer à autrui, d’aller, si c’est nécessaire, jusqu’au sacrifice de soi pour le bien commun » (Yves et Marie-Thérèse Sjöberg – Qu’est-ce donc que cette vie qui nous rend si heureux ?, Etudes carmélitaines, 1947)

Confions nos vies à Notre Dame, prenons-là chez nous, comme saint Jean revenant du Calvaire, afin qu’elle nous fasse grandir dans la joie, en attendant la félicité parfaite.

Abbé Ludovic Girod