13 août 2013

[Paix Liturgique] La résistance silencieuse de l'Opus Sacerdotale à un moment où tout était encore possible...

SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°400 - 13 août 2013

Dans une lettre récente, nous faisions le portrait d'un « curé de campagne » modeste et remarquable, l'abbé Pierre Lourdelet, et nous annoncions un prochain volet sur l'Opus Sacerdotale qui, du Concile jusqu'à 1988, a joué un rôle essentiel pour la préservation du sacerdoce catholique. L'abbé Lourdelet nous a demandé de retirer notre lettre à son sujet et de garder le silence sur son témoignage. Nous avons enlevé de notre site la lettre le concernant. Qu'il nous pardonne néanmoins de parler – sans lui – de cette belle œuvre que fut – et qui reste – l'Opus Sacerdotale. Le poids du silence médiatique est devenu aujourd'hui insupportable dès lors qu'il « met sous le boisseau » les lampes dont nous avons tant besoin. Nous revenons cette semaine sur une époque clé de l'action de cette association qui, en dépit de la discrétion dont ses dirigeants ont toujours voulu l'entourer, appartient au patrimoine commun des Silencieux de l'Église.
I – DOCTRINA, FORTITUDO, PIETAS
En 1963, alors que l'inflexion prise par le concile Vatican II commence à troubler de plus en plus d'observateurs, un groupe de prêtres français se retrouve à Lourdes pour s'interroger sur l'avenir du sacerdoce. De cette rencontre naît peu après une "Association pour le soutien du sacerdoce catholique", présidée par le chanoine Étienne Catta, du diocèse de Nantes, oblat bénédictin de Fontgombault, ancien professeur à l'Université catholique d'Angers, spécialiste de la doctrine sociale et politique de l'Église. Bien vite, l'association, plus connue sous l'appellation d'Opus Sacerdotale, se structure et se développe.

Ceux qui ont approché l'Opus à l’origine savent que ses premiers adhérents ont été des curés de paroisses et que ce sont eux qui ont fait à la fois l'originalité et le succès de l'œuvre. Inquiets des innovations romaines, ces prêtres qui, bien souvent, se sentent isolés, cherchent autant à nourrir leur fidélité personnelle au dogme qu'à se fortifier mutuellement. Or c'est précisément un tel soutien, à la fois doctrinal, moral et spirituel, qu'entend leur offrir l'Opus Sacerdotale, comme l'illustre bien sa devise : "Doctrina, Fortitudo, Pietas".

En 1974, à la mort du chanoine Catta (enterré dans le cimetière de l'abbaye de Fontgombault), l'Opus Sacerdotale regroupe près d'un millier de prêtres. Pourtant, la ligne de l'organisation est de ne faire aucune publicité. La rigueur du chanoine Catta en matière de recrutement est bien connue : il voulait un contact personnel avec chaque prêtre avant de l'associer aux activités de l'Opus. De fait, l'histoire de l'Opus est peu, et souvent mal, connue. Or son influence et son activité sont importantes dans ces années qui marquent le plus fort de la crise du sacerdoce en Europe.

En septembre 1972, par exemple, une délégation d'une cinquantaine de prêtres de l'Opus participe au Congrès de la Hermandad sacerdotal à Saragosse. Soutenue par l'évêque de Cuenca, Mgr Guerra Campos, la Hermandad sacerdotal (la Fraternité sacerdotale), rassemble alors plus de 5000 ecclésiastiques espagnols autour de la défense de l'orthodoxie de la doctrine catholique.

Annoncé comme un événement important, le Congrès de Saragosse provoque une polémique dont internet garde trace : plusieurs cardinaux romains étaient prévus quand, au dernier moment, le cardinal Villot, alors Secrétaire d'État, leur a interdit de s'y rendre. De fait, le 14 septembre 1972, L'Osservatore Romano – instrument de la Secrétairerie d'État – et la Conférence épiscopale d'outre-Pyrénées (dirigée par le cardinal Vicente Enrique y Tarancón, qui considérait Mgr Guerra Campos, protecteur de la Hermandad, comme son "ennemi personnel") publient simultanément une note indiquant que le congrès de laHermandad sacerdotal est une initiative privée n'ayant ni le soutien de Rome ni celui de l'Église d'Espagne. L'archevêque de Saragosse émet lui aussi un communiqué emberlificoté expliquant que c'est "à l'insu de son plein gré", comme on ne disait pas encore à l'époque, que la basilique Notre-Dame du Pilar a été accordée aux congressistes. Seul Mgr Guerra Campos et Mgr Castan Lacoma, évêque de Sigüenza-Guadalajara, maintiendront leur soutien officiel à l'initiative ; le seul évêque finalement présent étant Mgr Ángel Rodríguez Gamoneda, vicaire apostolique émérite péruvien.

En dépit de ces manœuvres curiales et épiscopales, ce Congrès de Saragosse aura permis aux membres de l'Opus – dont la délégation était conduite par le Père Balastrier, religieux de Saint-Vincent de Paul, chapelain de Notre-Dame du Lys à Paris, rédacteur des statuts canoniques de l'œuvre – de rencontrer d'autres prêtres européens qui, comme eux, s'organisent pour défendre de leur mieux l'intégrité du dépôt de la foi. À partir de 1973, une rencontre annuelle de prêtres de l'Europe occidentale (Français, Allemands, Anglais, Belges, Hollandais) se tient à l'Abbaye de Vaals, aux Pays-Bas. L'un des participants à cette première édition racontait en 2005, dans la revue Item que dirige l'abbé Paul Aulagnier, qu'alors qu'il revêtait ses ornements sacerdotaux, le frère sacristain lui avait dit, le voyant croiser l'étole : "Monsieur le Curé, vous devez savoir qu'on ne croise plus l'étole parce que, depuis Vatican II, on s'est aperçu que la messe n'est pas un sacrifice." Raccourci théologique saisissant.

Tout comme son imposante mais impuissante homologue espagnole, l'Opus Sacerdotale fait passer en premier la question doctrinale. Toutefois, l'Opus accueille très volontiers tous les curés attachés à conserver la messe de leur ordination. De fait, la plupart des "prêtres rejetés" de l’époque, selon la formule de l’abbé Houghton, lui-même membre de l'Opus, y adhèrent.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Il importe du point de vue de la mémoire historique de se souvenir que la résistance à la nouvelle loi liturgique a pris, essentiellement en France, des proportions qui, sans être considérables, furent beaucoup plus importantes que ne l'avaient imaginé les autorités romaines et épiscopales.

Avant même le développement de la Fraternité Saint-Pie X et plus tard des autres fraternités traditionnelles, il n'est pas un diocèse de France où au moins quelques prêtres, parfois bien plus, n'aient continué à célébrer la messe tridentine pour leurs fidèles, ou bien une messe nouvelle tellement enrichie d'éléments traditionnels (offertoire, usage de la seule prière eucharistique 1) qu'elle était de fait une messe traditionnelle [1]. Le nombre de ces curés n'a jamais diminué durant trente ans (ce qui veut dire qu'il a notablement augmenté en valeur relative, compte tenu de la baisse du nombre de prêtres). Au fur et à mesure, les prêtres les plus âgés ont été relayés par les nouveaux ordonnés de la Fraternité de Mgr Lefebvre ou d'autres communautés traditionnelles (l'Opus Sacerdotale a d'ailleurs contribué à préparer la relève en mettant sur les rails, dans l'ancien carmel de Moissac, ce qui est devenu plus tard l'Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre).

L'œuvre très pacifique du chanoine Catta, qui déborde le milieu des prêtres strictement traditionnels du point de vue liturgique, est à replacer dans ce cadre. En 2007, le Motu Proprio qui donne aux curés de paroisse la possibilité de célébrer la messe traditionnelle publiquement pour des groupes de fidèles qui la désirent, est, entre autres choses, la consécration de quarante ans de résistance des curés de paroisse.

2) Quant on entend prêcher le pape François, on dit parfois : « On comprend tout ce qu'il dit : il prêche comme un curé de paroisse d'autrefois ». Son pontificat se résumerait à cela qu'il constituerait lui aussi, d'une tout autre manière que celui de Benoît XVI, une tentative de restauration.

Par ailleurs, au fil de ses nombreuses homélies depuis son élection, le pape François a appelé à plusieurs reprises les curés à "ouvrir" leurs églises, leurs cœurs et leur apostolat tout en leur donnant l'exemple de l'Adoration quotidienne du Saint-Sacrement et en les invitant à passer plus de temps au confessionnal. À l'évocation des prêtres de l'Opus Sacerdotale, on ne peut que se dire que ce modèle de prêtre voulu par l'actuel Souverain Pontife était encore naguère largement présent dans nos paroisses...

3) Enfin, on ne saurait non plus oublier que l'Opus Sacerdotale a matériellement, amicalement, spirituellement soutenu de nombreux confrères persécutés, ou tout simplement délaissés. Les laïcs n'imaginent pas dans quel isolement la crise de l'Église, ou tout simplement la sécularisation, ont réduit d'innombrables prêtres diocésains. On gémit aujourd'hui sur l'effondrement dramatique des vocations mais on ignore l'angoisse qui habite les séminaristes diocésains actuels à la pensée de ce que sera leur sacerdoce, a fortiori lorsqu'ils ont des idées traditionnelles, dans les provinces de France. Évoquer l'action de l'Opus Sacerdotale est aussi un moyen de donner des perspectives à ces futurs prêtres d'esprit Summorum Pontificum.

[1] À ce propos, voici ce que disait Mgr Lefebvre aux séminaristes d'Écône, le 23 décembre 1974 : "On dit messe du nouvel ordo mais vous en avez qui se rapprochent de très près de la messe de saint Pie V et puis vous en avez qui s'en éloignent considérablement. Je parlais il y a deux trois jours avec le P. Lourdelet, qui a pris la succession du chanoine Catta en France pour l'Opus Sacerdotale : parmi ces prêtres, ils sont environ, je crois, 600, il y en a certainement une centaine qui disent la messe encore de saint Pie V telle quelle, enfin telle que nous la disons nous-mêmes. Il y en a un certain nombre, le P. Lourdelet lui-même m'a dit qu'il encourageait et qu'il était disposé en tout cas à insister auprès de tous les prêtres membres de l'Opus pour qu'ils prennent au moins l'offertoire ancien et le canon ancien aussi ; et si il y a l'ensemble de ces prêtres déjà qui se décide à se maintenir à cette pratique qui serait demandée donc par l'abbé Lourdelet, il est certain que c'est tout de même déjà presque la messe de saint Pie V on peut dire, surtout si on garde l'offertoire ancien et le premier canon bien sûr, le canon ancien !" (rapporté in Nouvelles de Chrétienté N° 90, novembre-décembre 2004). En un mot, l'essentiel de ce que prônent les partisans de ce que l'on qualifie de « Réforme de la réforme».