SOURCE - Abbé Claude Barthe - L'Homme Nouveau - 13 novembre 2016
Evénement considérable : parmi les cardinaux qui ont fait part au Pape François de leur incompréhension d’Amoris lætitia, quatre ont aujourd’hui décidé de rendre publiques les questions qu’ils lui ont posées formellement et auxquelles il leur a fait savoir qu’il ne répondrait pas.
Evénement considérable : parmi les cardinaux qui ont fait part au Pape François de leur incompréhension d’Amoris lætitia, quatre ont aujourd’hui décidé de rendre publiques les questions qu’ils lui ont posées formellement et auxquelles il leur a fait savoir qu’il ne répondrait pas.
On sait que l’exhortation post-synodale sur la famille a causé la plus importante commotion ecclésiale ayant ébranlé l’Eglise depuis le dernier concile, son chapitre VIII, selon le sens apparent des mots, exposant que, dans certains cas de « remariages » après divorce, les actes qualifiés de fornication et l’adultère pouvaient n’être pas des péchés graves, ou même être considérés comme répondant à la volonté de Dieu.
Innombrables ont été les réactions dans le monde ecclésiastique (voir par exemple notre article : « Quelle est la critique exacte de 45 théologiens envers Amoris Laetitia ? ». Tous cependant gardaient les yeux fixés sur les cardinaux qui avaient clairement manifesté leur opposition préalable à cette mise en question de la doctrine du mariage – et par voie de conséquence de la pénitence et de l’eucharistie – à l’occasion des deux derniers synodes : Caffarra, Cordes, Eijk, Ruini, Sarah, Šev?uk, Urosa Savino, Cleemis, Duka, Meisner, Pell, Rouco Valera, Burke, Brandmüller, etc. Ces cardinaux qui signèrent Demeurer dans la vérité du Christ (Artège, 2014), ceux qui collaborèrent à Mariage et famille (Artège, 2015), les cardinaux et évêques d’Afrique co-auteurs de L’Afrique, nouvelle patrie du Christ (Ignatius Press, 2015), Onaiyekan, Ouedraogo, Souraphiel, Tumi, Sarr, Kleda, Kutwa, Arinze, mais aussi le cardinal Antonelli, ancien Président du Conseil pour la Famille, dans Crisi del matrimonio ed eucaristia, et d’autres encore dans des prises de position et interventions diverses.
Ce 14 novembre, quatre des cardinaux opposés à la remise en question de la morale, le cardinal Walter Brandmüller, ancien président du Comité pontifical des Sciences historiques, le cardinal Raymond L. Burke, patron de l’Ordre de Malte, le cardinal Carlo Caffarra, archevêque émérite de Bologne, et le cardinal Joachim Meisner, archevêque émérite de Cologne, rendent publiques sur le site de Sandro Magister, les questions sans réponse qu’ils ont posées au pape. On sait par ailleurs que le cardinal Müller, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, s’était personnellement chargé de les présenter au pape, que tous les signataires de ces questions n’ont pas jugé opportun de faire connaître publiquement leur nom, et qu’elles ont été soutenues par d’autres interventions orales ou écrites de cardinaux de Curie.
La forme du recours des cardinaux est celle des interrogations classiques que l’on adresse au Saint-Siège : ce sont des dubia (des doutes), formulés de telle sorte qu’ils demandent une réponse par « oui » ou « non », en référence à la parole évangélique : « Que votre oui soit oui ; que votre non soit non » (Mt 5, 37). Le schéma de chaque question est d’une simplicité qu’on peut justement dire évangélique : le magistère antérieur « fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église » est-il invalidé sur les points où Amoris lætitia semble en contradiction avec lui ? Il s’agit ici de questions de foi et de morale dans les matières les plus graves. Elles sont posées par des membres du Sacré Collège. Elles sont adressées au Successeur de Pierre.
Nous donnons ici les passages qui nous paraissent les plus significatifs, chacun pouvant se reporter à l’ensemble du texte :
PréalableNous avons constaté, chez beaucoup de fidèles, un grave désarroi et une grande confusion à propos de questions très importantes pour la vie de l’Église. Nous avons remarqué que même au sein du collège épiscopal sont données des interprétations contradictoires du chapitre VIII d’"Amoris lætitia". […]
Questions* Doute n. 1 :Il est demandé si, en conséquence de ce qui est affirmé dans "Amoris lætitia" aux nn. 300-305, il est désormais devenu possible d’absoudre dans le sacrement de Pénitence et donc d’admettre à la Sainte Eucharistie une personne qui, étant liée par un lien matrimonial valide, vit "more uxorio" avec une autre personne, sans que soient remplies les conditions prévues par "Familiaris consortio" au n. 84, réaffirmées par "Reconciliatio et pænitentia" au n. 34 et par "Sacramentum caritatis" au n. 29. L’expression "dans certains cas" de la note 351 (n. 305) de l’exhortation "Amoris lætitia" peut-elle être appliquée aux divorcés ayant contracté une nouvelle union, qui continuent à vivre "more uxorio" ?[…]
Pour l’Église, le sixième commandement, "tu ne commettras pas d’adultère", a toujours concerné tout exercice de la sexualité humaine qui n’est pas conjugal, c’est-à-dire toute acte sexuelle en dehors de celles que l’on a avec son époux légitime.[…]
* Doute n. 2 :Après l’exhortation post-synodale "Amoris lætitia" (cf. n. 304), l’enseignement de l’encyclique de Saint Jean-Paul II "Veritatis splendor" n. 79, fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église, à propos de l’existence de normes morales absolues, obligatoires sans exception, qui interdisent des actes intrinsèquement mauvais, continue-t-il à être valide ?[…]
D’après "Veritatis splendor", en cas d’actes intrinsèquement mauvais, aucun discernement des circonstances ou des intentions n’est nécessaire. Même si un agent secret pouvait obtenir de la femme d’un terroriste des informations précieuses en commettant un adultère avec elle, de manière à sauver sa patrie (ceci qui ressemble à un exemple tiré d’un film de James Bond avait déjà été envisagé par Saint Thomas d’Aquin dans le "De Malo", q. 15, a. 1). Jean-Paul II soutient que l’intention (ici "sauver la patrie") ne change pas la nature de l’acte ("commettre un adultère") et qu’il est suffisant de connaître la nature de l’acte ("adultère") pour savoir qu’il ne doit pas être accompli.
* Doute n. 3 :Après "Amoris lætitia" n. 301, est-il encore possible d’affirmer qu’une personne qui vit habituellement en contradiction avec un commandement de la loi de Dieu, comme par exemple celui qui interdit l’adultère (cf. Mt 19, 3-9), se trouve dans une situation objective de péché grave habituel (cf. Conseil pontifical pour les textes législatifs, Déclaration du 24 juin 2000) ?[…]
Le canon 915 du Code de Droit Canonique, qui affirme que tous ceux qui "persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste ne seront pas admis à la Sainte Communion". La Déclaration du Conseil pontifical affirme que ce canon est également applicable aux fidèles qui sont divorcés et remariés civilement. Elle précise que le "péché grave" doit être compris objectivement, étant donné que le ministre de l’Eucharistie n’a pas les moyens de juger l’imputabilité subjective de la personne. […]
* Doute n. 4 :Après les affirmations contenues dans "Amoris lætitia" n. 302 à propos des "circonstances qui atténuent la responsabilité morale", faut-il encore considérer comme valide l’enseignement de l’encyclique de Saint Jean-Paul II "Veritatis splendor" n. 81, fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église, selon lequel "les circonstances ou les intentions ne pourront jamais transformer un acte intrinsèquement malhonnête de par son objet en un acte subjectivement honnête ou défendable comme choix" ?[…]
Les "dubia" font référence à l’enseignement de Jean-Paul II tel qu’il est exprimé dans "Veritatis splendor", selon lequel les circonstances ou les bonnes intentions ne changent jamais un acte intrinsèquement mauvais en un acte excusable ou même bon. […]
* Doute n. 5 :Après "Amoris lætitia" n. 303, faut-il considérer comme encore valide l’enseignement de l’encyclique de Saint Jean-Paul II "Veritatis splendor" n. 56, fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église, qui exclut une interprétation créative du rôle de la conscience et affirme que la conscience n’est jamais autorisée à légitimer des exceptions aux normes morales absolues qui interdisent des actes intrinsèquement mauvais de par leur objet ?[…]
La conscience ne décide pas de ce qui est bien et de ce qui est mal. L’idée de "décision de conscience" est fallacieuse. L’acte propre à la conscience est de juger et non pas de décider. Elle dit "c’est bien", "c’est mal". Mais le fait que ce soit bien ou mal ne dépend pas d’elle. Elle accepte et reconnaît le bien ou le mal d’une action et pour faire cela, c’est-à-dire pour juger, elle a besoin de critères ; elle est entièrement dépendante de la vérité.