27 novembre 2016

[La Simandre] Un pasteur pour les Chaldéens traditionalistes du Val d'Oise (95) - L'histoire de l'Eglise chaldéenne


SOURCE - La Simandre - novembre 2016

Le 2 juillet dernier, une cérémonie d’ordination se déroulait à Saint-Nicolas du Chardonnet, celle de monsieur l’Abbé Daniel Sabur, par les soins de Mgr de Galarreta. Petite particularité : d’origine chaldéenne, le nouvel ordonné peut célébrer aussi bien dans le rite latin que chaldéen. Et le 14 juillet, il nous fit l’honneur de venir chanter une première messe au Bois (en rite latin). L’après-midi, il nous parla de sa communauté, de son rite et du ministère qu’il allait remplir. Puisqu’il nous l’a permis, nous allons donc relater en quelques lignes l’histoire de cette communauté chaldéenne installée en France, avant de présenter un peu ce rite si ancien dont les fidèles commencent aussi, malheureusement, à être touchés par les déviances modernistes.

Il existe donc en région parisienne un groupe de chrétiens venus du sud de la Turquie, dans les années 1970-1980, avec leurs prêtres, pour fuir les persécutions. Les Chaldéens sont aujourd’hui 15 000 en France, dont 5 000 plus ou moins pratiquants, répartis à Paris, Lyon, Marseille et Pau. Certains sont « pratiquants », mais non « croyants » ; il s’agit alors d’une simple nécessité sociale, ou d’une tradition familiale, culturelle. Comme chez beaucoup de catholiques latins, on remarque une dichotomie entre la pratique religieuse et la vie vraiment chrétienne au quotidien. Les familles comptent en moyenne six enfants, pour l’instant, grâce à l’influence de la génération précédente. Mais le libéralisme et le matérialisme commencent à les gagner, elles aussi. Les anciens songeaient à retourner dans leur pays dès que possible, mais la nouvelle génération en montre moins de désir, à la perspective des privations qui s’ensuivraient.

Une centaine de ces Chaldéens, situés dans le Val d’Oise, s’accrochent à la Tradition et ont demandé à monsieur l’Abbé Bouchacourt la liturgie traditionnelle dans leur rite. L’Abbé Sabur, né en France d’une famille de onze enfants et ayant fait son séminaire à Ecône, a donc été désigné pour la célébrer tous les dimanches dans la chapelle de la Fraternité St-Pie X à Pontoise.

Etant enfant, il servait la messe chaldéenne, et sa bonne mémoire lui permit de retenir les gestes du prêtre. Cependant, il s’appuie principalement sur les commentaires et écrits qui ont été faits sur la liturgie traditionnelle chaldéenne, mais aussi sur les vidéos qui montrent de façon précise les gestes du prêtre. Par ailleurs, il a pu se procurer un rituel pour les sacrements. Pour l’instant, il prêche en chaldéen courant(ou soureth). Sa difficulté reste le chant, car il n’y a pas de livres pour cela, tout se transmettait par oral. Heureusement, il y a quelques années, un fidèle avait eu la bonne idée de faire des enregistrements.

Le clergé chaldéen, quant à lui, est très moderniste, à l’exemple du patriarche de Bagdad, avec une mentalité assez fonctionnaire, tenant à sa place et rebutant même d’éventuelles vocations. A Paris, ils sont cinq prêtres, dont deux d’environ 60-70 ans, et un ordonné en 2015. Ils n’ont pas hésité à mener une campagne contre l’Abbé Sabur, le traitant de schismatique, et faisant pression sur les fidèles pour qu’ils n’assistent pas à son ordination et ne le suivent pas. 2 000 Chaldéens, au moins, étaient attendus à Saint-Nicolas le 2 juillet dernier ; finalement « seule » la nef fut remplie. La télévision assyrienne (les « nestoriens », qui se sont donné la dénomination d’ « Église assyrienne » depuis la 1ère guerre mondiale) aurait voulu être présente, mais le nouveau prêtre a refusé afin d’éviter toute confusion ; en effet, lui comme eux s’opposent à la Rome actuelle, mais pas pour les mêmes raisons, et il s’agit de ne pas faire de rapprochement entre ces deux groupes qui divergent totalement dans le fond : l’un se trouve dans la seule véritable Eglise, l’autre en est séparé par le schisme et l’hérésie, comme expliqué ci-dessous.

Voyons donc brièvement l’histoire de cette chrétienté si vénérable par son antiquité et le développement brillant qu’elle a connu.

Dès son origine, et probablement avec saint Thomas et son disciple Addaï, le christianisme pénétra en Chaldée par la Mésopotamie, mais ne s’adressa guère, au début, qu’aux nombreuses colonies juives établies dans la région. L’évangélisation complète de la Chaldée ne commença vraiment qu’au IIIe siècle, peut-être avec les saints Aggaï et Mari. Les liens avec Antioche et l’Église universelle furent rompus en 424 et l’Eglise chaldéenne de Perse devint indépendante au point de vue administration ecclésiastique. La civilisation chrétienne y était d’ailleurs riche ; les Pères apostoliques, les Pères grecs, les philosophes comme Aristote et Platon furent traduits en langue syriaque. Un séminaire-université fut fondé à Nisibe, ville dont Saint Ephrem, la « cithare du Saint-Esprit », fut la gloire.

Malheureusement, beaucoup de jeunes chrétiens fréquentaient l’école de théologie d’Edesse où les erreurs de Nestorius étaient publiquement enseignées. C’est ainsi que le « nestorianisme » comme on l’appela, pénétra en Perse et y devint la doctrine officielle. Vers 498, la rupture fut complète avec l’Eglise catholique. Malgré les persécutions qu’elle eut à subir des Perses, l’Eglise chaldéenne séparée de Rome se développa vigoureusement, et au XIIIe siècle elle avait près de 50 millions de fidèles répartis en 230 diocèses, s’étendant jusqu’en Mongolie, en Chine et au sud de l’Inde. Mais, au siècle suivant, l’invasion de Tamerlan, musulman zélé et grand persécuteur, la ruina presque totalement.

Au XIIIe siècle déjà, plusieurs patriarches de Bagdad avaient rallié l’Eglise catholique, grâce aux missions des Dominicains. En 1553, devant les dérives d’un patriarche, un groupe de nestoriens fit appel à Rome et une Eglise chaldéenne catholique fut constituée, avec son propre patriarche portant le titre de « patriarche de Babylone » et résidant à Bagdad, puis à Mossoul. Actuellement, il se trouve de nouveau à Bagdad. Les deux derniers siècles ont vu de nombreux retours à Rome, mais le Concile Vatican II a stoppé ce mouvement, et, par ailleurs, beaucoup de Chaldéens, catholiques ou non, ont péri dans les persécutions turques de 1914-1918.

Aujourd’hui, pour résumer la situation, il existe deux Eglises assyriennes (ou « nestoriennes ») : l’une (« Église apostolique assyrienne de l’Orient ») dont le patriarche, exilé aux Etats-Unis depuis 1933, vient avec courage d’opérer son retour en Irak, et l’autre demeuré en Irak (« Ancienne Église de l’Orient ») ; et il y a l’ «Église catholique chaldéenne » dont les fidèles sont fixés surtout en Irak, près de Mossoul. Tous ces chrétiens forment l’ensemble des Assyro-Chaldéens et ont pour langue liturgique l’araméen-syriaque, langue la plus proche de l’araméen parlé par Notre-Seigneur. On trouve également en Inde des chrétiens de rite chaldéen, appelés Malabares, les uns catholiques, les autres monophysites et rattachés à Antioche. Ce rite y parvint vraisemblablement à la faveur de l’émigration des chrétiens fuyant les persécutions des Perses, au IVe siècle.

Trois liturgies sont utilisées dans le rite chaldéen, celle des apôtres, la plus grande partie de l’année, celle de Théodore et celle dite de Nestorius. Le prêtre chante tout, même les paroles de la consécration. Si celles-ci ne sont pas écrites dans le missel, c’est à cause de la loi de l’arcane (= fait de garder plus ou moins secrets certains éléments de la foi ou du culte, en temps de persécution), qui a pu se conserver. Mais les Assyriens, eux, utilisent l’anaphore d’Addaï et Mari sans les paroles de la consécration, ce qui la rend invalide. On remarque une attitude propre à cette liturgie : à l’anaphore, notamment, le prêtre s’incline profondément en étendant les mains, suppliant et humble. Par ailleurs, les icônes ne sont pas nécessaires à la liturgie, contrairement à d’autres rites d’Orient, et servent plutôt à orner le sanctuaire.

Si la liturgie chaldéenne, dans son ensemble, n’a pas subi de bouleversements après le dernier concile, on note cependant quelques changements qui ne vont guère dans le bon sens. Ainsi, en 1971, on a raccourci des prières de la messe pour supprimer des temps de silence et, surtout, on a supprimé toutes les génuflexions, ne laissant que celles autour de la Consécration. Depuis 2015, les prêtres célèbrent face au peuple et la liturgie nouvelle laisse le prêtre nommer à son gré Marie, Mère de Dieu ou Mère du Christ afin de se rapprocher des Assyriens (Nestorius niait l’unicité de personne en Notre-Seigneur, et donc la maternité divine de Notre-Dame). Et le patriarche annonce de nouveaux changements pour 2020… Ce digne prélat a d’ailleurs des propos étonnants : selon lui, la transsubstantiation a lieu non au moment des paroles de la consécration, mais quand le prêtre récite l’épiclèse (invocation au Saint-Esprit), erreur dénoncée par les papes Pie VII et saint Pie X, et qui est justement commune à tous les Orientaux dissidents ! Il déclare aussi que le rôle de l’Eglise est de former des imams… et, lors d’une conférence en France, il a réclamé de l’argent, qui sert aussi bien aux catholiques qu’aux musulmans.

Bref, la situation de cette Eglise chaldéenne n’est pas plus brillante que celle de l’Eglise romaine. Et nous ne pouvons que nous réjouir et rendre grâce à Dieu que quelques-uns de ses membres aient gardé toute la Tradition, tant liturgique que doctrinale, et qu’ils aient désormais un pasteur.

Avec les communautés de Lettonie et d’Ukraine, qui emploient toutes deux la liturgie byzantine, ce sont les seuls catholiques orientaux qui conservent la pureté de la foi. Prions donc pour leur persévérance et leur développement, en n’oubliant pas ce que disait Léon XIII, à la suite de bien des papes : « Il importe de conserver des rites orientaux, dont la glorieuse antiquité, qui les rend si respectables, jette sur l’Eglise entière un lustre remarquable et atteste la divine unité de la foi catholique. »