SOURCE - Guillaume Bernard - Aleteia - 13 novembre 2016
Certains, dans l’Église catholique, ne semblent pas avoir saisi la véritable nature du phénomène traditionaliste.
L’incompréhension des prélats de l’Église face au phénomène traditionaliste conduit à des conflits où s’entremêlent enjeux de pouvoir, incompréhensions doctrinales et faux-semblants pastoraux. Cette division entre catholiques est d’autant plus troublante qu’elle vient, non de la base, mais de la tête supposée assurer la concorde. Elle rejoint une situation généralisée dans la société de distorsion entre le peuple et les élites dirigeantes.
De récentes affaires, toujours en cours, montrent qu’il existe en France des prélats pour essayer de tourmenter les catholiques attachés à la célébration traditionnelle des sacrements et, en premier lieu, de la messe. Les textes pontificaux de 1988 et de 2007 ne laissent pourtant aucun doute sur l’obligation (et non la simple possibilité) des institutions catholiques d’accéder à la demande des fidèles réclamant la forme dite « extraordinaire » du rite romain, la messe « tridentine » n’ayant jamais été abrogée. Et pourtant, il semble que – par des moyens directs (intention, envisagée au moins un temps, de vendre un lieu de culte appartenant au diocèse) ou détournés (acceptation de la fermeture par la mairie propriétaire pour y réaliser des travaux) –, certains hauts dignitaires de l’Église soient prêts à semer la division et à prendre l’initiative d’ouvrir les hostilités.
Les traditionalistes, de plus en plus attractifs ?
Est-ce parce qu’ils n’entendent pas soutenir la comparaison, quant à l’attraction et la formation des fidèles, entre l’église conciliaire et les organisations traditionnelles (Fraternité sacerdotale saint Pierre, Institut du Christ-Roi souverain prêtre, Fraternité saint Vincent-Ferrier, Institut du Bon pasteur,…) pleinement reconnues par Rome ? Peut-être. Mais il y a plus sûrement dans cette attitude la préoccupation de préserver l’intégrité de leur pouvoir : ils semblent considérer une « communauté » voire une « paroisse » traditionnelle comme un corps étranger dans leur diocèse pour ne pas dire un État dans l’État. Ils tentent donc, le plus souvent de manière pacifique, de freiner l’expansion des traditionnalistes en les ghettoïsant dans des créneaux horaires restreints, en leur imposant une instabilité récurrente des prêtres (qui plus est assez souvent bi-ritualistes) et en leur refusant un catéchisme et une préparation aux sacrements spécifiques. Enfin, cette conduite s’appuie sur la conviction de l’inéluctable ralliement des traditionnalistes à la messe moderne une fois celle-ci débarrassée des dérives qu’elle a pu connaître. Cela justifie à leurs yeux d’agir par anticipation et d’empêcher ou de briser le développement de « paroisses » traditionnelles diocésaines. Il est aisé d’imaginer leur angoisse de voir la Fraternité sacerdotale saint Pie X, le mouvement fondé par Mgr Marcel Lefebvre, être pleinement réintégrée dans l’organisation ecclésiastique romaine comme cela semble se dessiner.
La progression des prêtres traditionalistes
En tout cas, leur « politique » manifeste une interprétation erronée du phénomène traditionnaliste. À la différence des décennies 70 et 80, les « tradis » d’aujourd’hui ne sont pas psychologiquement sur la défensive. Ils ne battent plus en retraite face à un modernisme flamboyant et triomphant. Un arbre étant jugé à ses fruits, ils pensent la capacité de ce dernier à accélérer la désertification des églises et des séminaires pleinement avérée. Ils ne sont donc pas mus par l’animosité. Le trésor de la tradition ayant été préservé, ils sont devenus comme indifférents au modernisme tant ils considèrent son échec patent. Ils l’appréhendent comme nécessairement éphémère et le regardent comme un passé récent qui, certes, dure encore en raison de la force d’inertie des institutions, mais qui s’émoussera. Il est vrai que le nombre et la proportion de prêtres traditionnels ne cesse de progresser au sein de l’Église. « Le clergé passe, mais la tradition ne passera pas » : telle pourrait être, en substance, leur analyse de la situation.
Le Seigneur au centre des célébrations
Le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, ne vient-il pas, le 6 juillet dernier, à Londres, de recommander à tous les prêtres de célébrer la messe, y compris dans sa forme moderne, ad orientem (vers l’orient) : « Il est de première importance de retourner aussi vite que possible à une orientation commune des prêtres et des fidèles, tournés ensemble dans la même direction – vers l’est ou du moins vers l’abside – vers le Seigneur qui vient, dans toutes les parties du rite où l’on s’adresse au Seigneur. Cette pratique est permise par les règles liturgiques actuelles. Cela est parfaitement légitime dans le nouveau rite. En effet, je pense qu’une étape cruciale est de faire en sorte que le Seigneur soit au centre des célébrations. » Dans ces conditions, les catholiques attachés à la messe traditionnelle, qui a toujours été célébrée « dos au peuple » (ou « face à Dieu »), pourront-ils encore longtemps être considérés comme des retardataires ? Le traditionnalisme est aujourd’hui numériquement minoritaire ; mais c’est au sein du catholicisme occidental le mouvement qui, sociologiquement et doctrinalement, a le vent en poupe.
Un retour à la foi par le rite trident
L’imprécision de la perception des traditionnalistes par l’élite dirigeante de l’Église vient aussi de la méconnaissance de sa démographie. Dans leur écrasante majorité, les « tradis » ne sont pas des nostalgiques de l’avant-concile, pour la bonne raison qu’ils ne l’ont pas connu. L’attachement de ces fidèles à la tradition sacramentelle et magistérielle vient de ce qu’ils ne sont restés ou ne sont devenus catholiques que grâce à elle. Si elle n’avait pas été maintenue par des prêtres – souvent contre vents et marées, parfois en subissant la persécution – ils ne seraient tout simplement plus catholiques ou n’auraient pas grandi dans cette religion. Pour ces croyants, la tradition n’est pas une option parmi d’autres ; elle est l’incarnation vivante du catholicisme. Eminemment actuelle, elle n’est donc pas pensée comme un passéisme. À l’inverse, ce serait la tentative de contraindre ces catholiques à une modernité, même édulcorée, qui constituerait une véritable régression.
Enfin, les traditionnalistes ont enduré des vexations (ils ont été dénoncés comme des « intégristes ») et ont appris à endurer la marginalisation sociale. Les institutions officielles les ont notamment contraint à des peines physiques et des sacrifices financiers pour assurer au mieux, selon leurs critères, l’instruction religieuse et académique de leurs enfants dans des écoles « hors contrat ». Dès lors, comment imaginer qu’ils ne participeraient du courant traditionnel que par dandysme ? Ils vivent la tradition comme l’ontologie du catholicisme. Il est par conséquent peu vraisemblable qu’ils l’abandonnent à l’instar d’une mode passagère. Sereins, les traditionnalistes n’iront pas à la messe moderne parce qu’ils n’en ont pas besoin pour être catholiques. Ils ne cesseront pas de réclamer d’être considérés et traités pour ce qu’ils sont : des catholiques autant que les autres.
Puisque l’unité n’est pas l’uniformité, c’est ce que les jeunes générations de fidèles et de prêtres, aux sensibilités liturgiques et sacramentelles diverses, ont parfaitement compris et pleinement accepté. Elles ont, côte-à-côte, constitué l’essentiel des rangs de « La manif pour tous » et font, ensemble, le pèlerinage de Chartres. L’unité et la fraternité catholiques sont assurées par la base de l’Église. Il est étrange que la division puisse venir de la tête censée assurer la concorde.