SOURCE - DICI - 24 novembre 2016
Le 14 novembre 2016, quatre cardinaux qui avait adressé une
lettre au pape François, le 19 septembre précédent, ont décidé de rendre public
cet appel à « faire la clarté » sur l’exhortation post-synodale Amoris
lætitia, – appel resté sans réponse de la part du souverain pontife, depuis
deux mois. Ces quatre prélats sont les cardinaux Walter Brandmüller,
président émérite du Comité pontifical des sciences historiques, Raymond
L. Burke, patronus de l’Ordre de Malte, Carlo Caffarra,
archevêque émérite de Bologne (Italie), et Joachim Meisner, archevêque
émérite de Cologne (Allemagne). Les trois premiers étaient coauteurs de
l’ouvrage Demeurer dans la vérité du Christ (2014, Artège), – voir DICI n°301 du 26/09/14. Et le cardinal Caffarra était
signataire de la lettre des treize cardinaux présentant au Saint-Père, le 5
octobre 2015, les sérieuses « préoccupations » que leur inspiraient
les procédures du synode sur la famille « conçues pour faciliter
l’obtention de résultats prédéterminés à propos de questions importantes et
controversées », – voir DICI n°323 du 23/10/15.
Les cinq dubia
Les quatre prélats présentent au pape François cinq dubia ou
doutes formulés comme ceux qui sont adressés à la Congrégation pour la doctrine
de la foi, de manière à ce qu’il soit possible d’y répondre par oui ou par non.
Ils sont accompagnés d’une lettre de présentation au pape et d’une note
explicative. Voici les cinq dubia, avec un extrait de la note explicative
indiquant quel est « l’enjeu concret ». Le texte intégral du document adressé au pape est disponible sur le sitede DICI.
Il est demandé si, en conséquence de ce qui est affirmé dans
“Amoris lætitia” aux nn. 300-305, il est maintenant devenu possible d’absoudre
dans le sacrement de Pénitence et donc d’admettre à la Sainte Eucharistie une
personne qui, étant liée par un lien matrimonial valide, vit more uxorio (maritalement.
NDLR) avec une autre personne, sans que soient remplies les conditions prévues
par Familiaris consortio au n. 84 et réaffirmées ensuite par Reconciliatio
et pænitentia au n. 34 et par Sacramentum caritatis au n. 29.
L’expression « dans certains cas » de la note 351 (n. 305) de
l’exhortation Amoris lætitia peut-elle être appliquée aux divorcés
remariés qui continuent à vivre more uxorio ?
Après l’exhortation post-synodale Amoris lætitia (cf.
n. 304), l’enseignement de l’encyclique Veritatis splendor n. 79,
fondé sur la Sainte Ecriture et sur la Tradition de l’Eglise, à propos de
l’existence de normes morales absolues, obligatoires sans exception, qui
interdisent des actes intrinsèquement mauvais, continue-t-il à être valide ?
Après Amoris lætitia n. 301, est-il encore
possible d’affirmer qu’une personne qui vit habituellement en contradiction
avec un commandement de la loi de Dieu, comme par exemple celui qui interdit
l’adultère (cf. Mt 19, 3-9), se trouve dans une situation objective de péché grave
habituel (cf. Conseil pontifical pour les textes législatifs, Déclaration du 24
juin 2000) ?
Après les affirmations contenues dans Amoris lætitia n.
302 à propos des « circonstances qui atténuent la responsabilité
morale », faut-il encore considérer comme valide l’enseignement de
l’encyclique Veritatis splendor n. 81, fondé sur la Sainte Ecriture
et sur la Tradition de l’Eglise, selon lequel « les circonstances ou les
intentions ne pourront jamais transformer un acte intrinsèquement malhonnête de
par son objet en un acte subjectivement honnête ou défendable comme
choix » ?
Après Amoris lætitia n. 303, faut-il considérer
comme encore valide l’enseignement de l’encyclique Veritatis splendor n.
56, fondé sur la Sainte Ecriture et sur la Tradition de l’Eglise, qui exclut
une interprétation créatrice du rôle de la conscience et affirme que la
conscience n’est jamais autorisée à légitimer des exceptions aux normes morales
absolues qui interdisent des actes intrinsèquement mauvais de par leur objet ?
Et les auteurs des dubia définissent
« l’enjeu concret » de leur appel au pape en ces termes :
« La publication de l’exhortation apostolique
post-synodale Amoris lætitia, consacrée à l’amour dans la famille, a fait
naître un vaste débat, notamment à propos de son chapitre VIII. Les paragraphes
300-305, en particulier, ont fait l’objet d’interprétations divergentes.
« Pour beaucoup de personnes – des évêques, des prêtres
de paroisse, des fidèles – ces paragraphes font allusion ou même enseignent de
manière explicite un changement dans la discipline de l’Eglise en ce qui
concerne les divorcés qui vivent une nouvelle union, tandis que d’autres
personnes, qui admettent le manque de clarté ou même l’ambigüité des passages
en question, expliquent néanmoins que ces mêmes pages peuvent être lues en
continuité avec le magistère précédent et qu’elles ne contiennent pas de
modification dans la pratique et dans l’enseignement de l’Eglise.
« Animés par une préoccupation pastorale à l’égard des
fidèles, quatre cardinaux ont adressé au Saint-Père une lettre sous forme de dubia,
dans l’espoir de recevoir des éclaircissements, étant donné que le doute et
l’incertitude sont toujours hautement dommageables à la pastorale. (…) Ce
qui est en jeu dans Amoris lætitia, ce n’est pas seulement la question de
savoir si les divorcés qui ont contracté une nouvelle union – dans certaines
circonstances – peuvent ou non avoir de nouveau accès aux sacrements. On
constate (…) que les interprétations du document reposent aussi sur des
approches différentes, contradictoires, du mode de vie chrétien. »
Réactions et commentaires
Contrairement à ce qu’affirme La Croix du 15
novembre, le Vatican n’a pas répondu aux dubia des quatre cardinaux.
Mgr Kevin Farrell, préfet du nouveau dicastère pour les laïcs, la famille
et la vie, a réagi, ce même jour, en donnant son opinion personnelle, mais pas
une réponse argumentée. « Je pense que le document Amoris lætitia est
fidèle à la doctrine et à l’enseignement de l’Eglise », a-t-il déclaré.
« Il s’appuie sur la doctrine de Familiaris consortio de
Jean-Paul II. Je le crois passionnément. ». « C’est le Saint-Esprit
qui nous parle », a-t-il ajouté. « Pensons-nous que le Saint-Esprit
n’était pas là au premier synode ? Pensons-nous qu’il n’était pas là au second
synode ? Croyons-nous qu’il n’a pas inspiré notre Saint-Père François en
écrivant ce document ? »
Le 16 novembre, le cardinal Burke répondait au journaliste
du National Catholic Register, Edward Pentin, expliquant la nécessité
de cet appel au pape par l’extrême confusion où se trouve actuellement
l’Eglise : « Partout où je vais, je l’entends. Les prêtres sont
divisés entre eux, les prêtres d’avec les évêques, les évêques entre eux. Il y
a une énorme division qui s’est installée dans l’Eglise, et cela n’est pas le
chemin de l’Eglise ».
Question : En quoi le chapitre 8 d’Amoris lætitia suscite-t-il
cette inquiétude particulière ?
Réponse : Parce qu’il a été la source de toutes ces
discussions confuses. Même les directives diocésaines sont confuses et
erronées. Nous avons un ensemble de directives dans un diocèse, par exemple,
disant que les prêtres sont libres au confessionnal, s’ils le jugent
nécessaire, de permettre à une personne qui vit dans une union adultère et
continue de le faire, d’avoir accès aux sacrements ; alors que, dans un
autre diocèse, en accord avec ce que la pratique de l’Eglise a toujours été, un
prêtre est en mesure d’accorder une telle autorisation uniquement à ceux qui
ont la ferme intention de vivre chastement, à savoir comme frère et sœur, et de
recevoir uniquement les sacrements dans un endroit où il n’y aurait pas de
scandale.
– Sans la clarification que vous cherchez, vous dites donc
que cela et d’autres enseignements d’Amoris lætitia vont à l’encontre du
principe de non-contradiction (qui indique que quelque chose ne peut pas être à
la fois vrai et faux en même temps, s’il s’agit du même contexte) ?
– Bien sûr, parce que, par exemple, si vous prenez la
question du mariage, l’Eglise enseigne que le mariage est indissoluble, en
accord avec la parole du Christ : « Celui qui répudie sa femme et en
épouse une autre, commet un adultère ». Par conséquent, si vous êtes
divorcé, vous ne pouvez pas entrer dans une relation conjugale avec une autre
personne à moins que le lien indissoluble auquel vous êtes lié soit déclaré
nul, inexistant. Mais si nous disons que, dans certains cas, une personne
vivant dans une union matrimoniale irrégulière peut recevoir la sainte
communion, alors l’une de ces deux choses doit être vraie : ou bien le
mariage, en réalité, n’est pas indissoluble – comme, par exemple, dans le genre
de “théorie éclairée” (“enlightenment theory”) du cardinal Walter Kasper,
qui soutient que le mariage est un idéal auquel, en tout réalisme, nous ne
pouvons pas obliger les gens – dans un tel cas, nous avons perdu le sens de la
grâce du sacrement, qui permet aux mariés de vivre la vérité de leur engagement
de mariage ; ou bien la communion n’est pas la communion au Corps et au
Sang du Christ. Bien sûr, aucune de ces deux alternatives n’est possible. Elles
contredisent les enseignements constants de l’Eglise depuis le début et, par
conséquent, elles ne peuvent pas être vraies. (…)
– Certains diront que vous êtes seulement quatre cardinaux,
parmi lesquels vous êtes le seul qui ne soit pas à la retraite, ce qui n’est
pas très représentatif de toute l’Eglise. Dans ce cas, ils pourraient
demander : Pourquoi le pape devrait-il vous écouter et vous répondre ?
– Eh bien, ce n’est pas une question de chiffres !
C’est une question de vérité. Dans le procès de saint Thomas More,
quelqu’un lui a dit que la plupart des évêques anglais avaient accepté l’ordre
du roi, et il a dit que c’était peut-être vrai, mais que les saints du ciel ne
l’avaient pas accepté. Voilà l’important ici. Je pense que même si d’autres
cardinaux n’ont pas signé cela, ils partagent la même préoccupation. Mais cela
ne me dérange pas. Même si nous étions un, deux ou trois, s’il est question
d’une chose qui est vraie et qui est essentielle pour le salut des âmes, alors
elle doit être dite.
– Que se passe-t-il si le Saint-Père ne répond pas à votre
acte de justice et de charité et ne donne pas la clarification de
l’enseignement de l’Eglise que vous espérez ?
– Alors il faudra faire face à cette situation. Il y a, dans
la tradition de l’Eglise, la pratique de la correction du Pontife romain. C’est
quelque chose qui est évidemment assez rare. Mais s’il n’y a pas de réponse à
ces questions, alors je dirais que ce serait une circonstance pour poser un
acte formel de correction d’une erreur grave.
– Dans un conflit entre l’autorité ecclésiale et la
Tradition sacrée de l’Eglise, qui lie le croyant, et qui a l’autorité de
déterminer cela ?
– Ce qui est contraignant (ce qui lie) c’est la Tradition. L’autorité
ecclésiale n’est qu’au service de la Tradition. Je pense à ce passage de saint
Paul dans l’épître aux Galates (1, 8) : « Pourtant, si nous-mêmes ou
si un ange du ciel vous annonçait un Evangile différent de celui que nous vous
avons annoncé, qu’il soit anathème ! »
– Si le pape devait enseigner une erreur grave ou une
hérésie, quelle autorité légale pourrait le déclarer et quelles seraient les
conséquences ?
– En pareil cas, et historiquement c’est arrivé, il est du
devoir des cardinaux et des évêques de préciser que le pape enseigne l’erreur
et de lui demander de la corriger.
Y a-t-il des normes morales absolues ?
Ce que le cardinal Burke déclare dans cet entretien, le
journaliste italien Riccardo Cascioli l’affirme également le même
jour (16 novembre) dans La Nuova Bussola, écrivant qu’au-delà de
l’admission des divorcés « remariés » à la communion se pose une
question « beaucoup plus vaste qui touche les fondements de l’Eglise
(…) » : « Dit très simplement : existe-t-il des normes
absolues, autrement dit une distinction claire entre le bien et le mal ? Le cas
des divorcés remariés est un exemple : si le mariage est valide, il reste
indissoluble même si des circonstances particulières impliquent une séparation
ou un divorce civil ; de sorte que le conjoint qui se marie à nouveau est
objectivement dans une situation d’adultère, et cela – pour l’Eglise – ne peut
jamais être un bien, quelles que soient les circonstances. Il peut y avoir des
conditions atténuantes ou aggravantes, mais le mal reste le mal, c’est une
norme objective absolue.
« Si au contraire on accepte une certaine
interprétation d’Amoris lætitia, il existerait des conditions telles que
l’adultère ne soit pas un péché. Mais si cela était vrai, alors le critère
devrait être applicable à tous les autres commandements ; tout devient
relatif, rien n’est plus absolu. Une conséquence évidente est que tout est
relégué dans la conscience personnelle, et au reste, comment un prêtre
pourrait-il faire pour lire dans la conscience des gens ? On parle beaucoup
d’accompagnement, mais la vérité est que, dans cette situation, chaque personne
reste seule à décider d’elle-même, parce que tout devient possible. (…)
« En outre, il se produirait – comme cela a déjà
commencé à se produire – que ce qui est vrai en Europe ne peut pas valoir pour
l’Afrique, que ce qui est possible en Allemagne ne l’est pas en France, que deux
diocèses voisins suivent des lignes opposées. Un véritable fédéralisme
doctrinal…, rien de plus éloigné de ce que le catholicisme a représenté durant
deux mille ans. (…)
Et Riccardo Cascioli de rappeler qu’ultimement tout repose
sur la foi en la Présence réelle dans l’Eucharistie :
« Qu’est-ce que l’Eucharistie et quelles sont les conditions pour y
accéder ? Est-ce la Cène (le repas) à laquelle tous sont invités et dont
personne ne peut être exclu, ou est-ce le sacrifice du Corps et du Sang de
Jésus, le sacrifice de la Croix perpétué à travers les siècles et qui requiert
d’être en état de grâce pour l’approcher ?
« Si l’Eucharistie est vraiment la source et le sommet
de la vie chrétienne, comme l’enseigne le Catéchisme, on comprend que c’est là
un point décisif pour l’Eglise. La décision d’admettre ou non à la communion
les divorcés remariés, dépend plus de la conception que nous avons du sacrement
de l’Eucharistie que du sacrement du mariage.
« Et certaines phrases prononcées récemment par le pape
François lors de plusieurs rencontres avec les luthériens – qui ont
semblé vouloir ouvrir la porte à l’intercommunion – ont fait naître une série
d’interrogations précisément sur sa conception de l’Eucharistie. Des
interrogations qui sont sans réponse pour le moment, tout comme les dubia avancés
par les quatre cardinaux. » – Ici le journaliste italien fait référence,
entre autres, à la réponse très équivoque que le pape a donnée, le 15 novembre
2015, à une luthérienne mariée à un catholique sur la possibilité pour elle de
recevoir la communion – Voir DICI n°325 du 20/11/15.
A Rome, les observateurs ont noté que le pape François avait
annulé le pré-consistoire qui devait normalement précéder le consistoire du 19
novembre, où 17 cardinaux ont été créés. Pour certains vaticanistes, comme Marco
Tosatti de La Stampa, ce serait à cause de ces dubia sur Amoris
lætitia qui auraient pu provoquer un débat que le pape a préféré éviter.
Le Saint-Siège n’a donné aucune explication à cette annulation.
(Sources : Chiesa/Croix/NCR/InfoCatho/NBQ – traduction
benoitetmoi – DICI n°345 du 25/11/16)