15 septembre 2017

[FSSPX Actualités] Amoris lætitia : le débat est loin d’être clos

Mgr Victor Manuel Fernández
SOURCE - FSSPX Actualités - 15 septembre 2017

Dans son numéro de mai-août 2017, la revue de théologie Medellín, publiée sous l’autorité du Conseil épiscopal latino-américain (CELAM), fait paraître un ensemble d’études sur la question du magistère du pape François. On peut y lire une analyse de l’Exhortation apostolique Amoris lætitia par Mgr Victor Manuel Fernández, recteur de l’Université catholique de Buenos Aires, ami très proche du pape argentin.

Intitulé ‘Le chapitre 8 d’Amoris lætitia, le calme après la tempête’, cet article explique que l’intention du pape était de faire évoluer l’Eglise sur la question des divorcés-remariés de « façon discrète ». De fait, reconnaît l’auteur, cette intention a été manquée, notamment en raison de la publication des dubia par les quatre cardinaux, Brandmüller, Burke, Caffarra, et Meisner. Mais ceux qui critiquent l’exhortation sont dans un « piège mortel », affirme Mgr Fernández, et « trahissent le cœur de l’Evangile ». Le prélat argentin les accuse ainsi de « pélagianisme intellectuel ».

Cette revue a été recensée – sinon encensée – le 22 août 2017 par le quotidien officiel du Vatican, L’Osservatore Romano, après les interventions dans la presse de plusieurs théologiens légitimement critiques à l’égard d’Amoris lætitia.
Nouvelles interventions critiques à propos d’Amoris lætitia
Dans le quotidien en ligne américain The Wanderer du 14 août, le cardinal Raymond Burke, ancien préfet du Tribunal suprême de la signature apostolique au Vatican, explique ce qu’il entend par « correction formelle » à apporter à Amoris lætitia. Il s’agit d’une affirmation de l’enseignement « clair » de l’Eglise sur les points controversés du document, en ce qui concerne le mariage, la famille, et les actes « intrinsèquement mauvais ».

Le 18 août, le Père Aidan Nichols o.p., qui a enseigné à Oxford, à Cambridge et à Rome, a publié sur le site britannique Catholic Herald une conférence prononcée à la Communauté Saint-Alban-et-Saint-Serge, une association à but œcuménique, devant un auditoire non-catholique pour la plupart. Il y expose la nécessité d’une réforme canonique, pour permettre une telle « correction formelle » du souverain pontife. « Tenant compte des limites énoncées de l’infaillibilité papale, le droit canon devrait prévoir une procédure formelle pour examiner si le pape a enseigné des erreurs », considère-t-il. - Voir notre article : « Amoris lætitia : un débat qui s’amplifie » 

Dans la revue allemande Die Neue Ordnung d’août 2017, un autre signataire des dubia, le cardinal Walter Brandmüller, estime souhaitable que les successeurs de Pierre publient une profession de foi catholique. Ce fut le cas dernièrement de Paul VI en 1968, avec le Credo du peuple de Dieu, comme déjà pour d’autres papes à partir du 5e siècle. Et le prélat allemand de s’interroger sur la conclusion qui peut en être tirée « pour l’Eglise de notre époque ».
Un universitaire autrichien interdit d’enseignement
Le 8 mai 2017, le Professeur Josef Seifert, fondateur et directeur de l’Académie internationale de philosophie du Liechtenstein, publiait dans la revue scientifique AEMAET, une étude qui lui a valu d’être suspendu d’enseignement auprès des séminaristes par Mgr Javier Fernández Martínez, archevêque de Grenade, au motif que l’universitaire d’origine autrichienne introduit la confusion chez les fidèles. En même temps, le prélat espagnol annonçait publiquement qu’il avait adopté pour son diocèse les directives pastorales très libérales des évêques de la région de Buenos Aires (Argentine) sur la communion des divorcés « remariés », directives que François a chaleureusement approuvées.

Quelle est la faute du Pr Seifert ? Il a tiré les conséquences logiques d’un passage d’Amoris lætitia. L’article 303 où il est question des couples « dits irréguliers » (en clair : divorcés « remariés », homosexuels), affirme que la « conscience peut reconnaître non seulement qu’une situation ne répond pas objectivement aux exigences générales de l’Evangile ; de même, elle peut reconnaître sincèrement et honnêtement que c’est, pour le moment, la réponse généreuse qu’on peut donner à Dieu, et découvrir avec une certaine assurance morale que cette réponse est le don de soi que Dieu lui-même demande au milieu de la complexité concrète des limitations, même si elle n’atteint pas encore pleinement l’idéal objectif ».

Cette formulation est doublement problématique, souligne le philosophe catholique : « Outre qu’elle qualifie par euphémisme un état objectif de péché grave comme ne constituant “pas encore pleinement l’idéal objectif”, Amoris lætitia affirme qu’on peut savoir “avec une certaine assurance morale” que Dieu lui-même nous demande de continuer de commettre des actes intrinsèquement mauvais, tels l’adultère ou l’homosexualité active ».

Quelle est la conséquence logique d’une telle affirmation ? S’il est vrai que Dieu peut vouloir qu’un couple vive dans l’adultère en contradiction avec le sixième commandement, alors rien n’empêche que ce principe soit appliqué à « tous les actes considérés comme “intrinsèquement mauvais” ». Pourquoi ne pas justifier dans certains cas le meurtre, l’avortement, l’euthanasie, le suicide, le mensonge, le vol, le parjure et la trahison, au motif que Dieu lui-même les demande « parmi la complexité concrète des limites de la personne, quoique ne constituant pas l’idéal objectif » ?

« La logique pure n’exige-t-elle pas que nous tirions cette conséquence de la proposition du pape François ? », demande le Pr Seifert, montrant qu’une réponse positive à cette question entraîne ceci : « la conséquence purement logique de cette seule assertion d’Amoris lætitia semble détruire l’ensemble de l’enseignement moral de l’Eglise. » – Voilà pourquoi le philosophe a été prié de cesser tout enseignement à l’Académie internationale de philosophie à Grenade. Cardinal Carlo Caffarra.

Décès d’un des auteurs des dubia 
Après le cardinal Joachim Meisner décédé le 5 juillet dernier, un autre signataire des dubia, le cardinal Carlo Caffarra, s’est éteint le 6 septembre, à l’âge de 79 ans. Archevêque émérite de Bologne, il avait accordé un entretien au quotidien italien Il Foglio, en janvier, où il affirmait son « respect » pour le pape, mais aussi sa préoccupation de « la division entre pasteurs », causée par les dubia. Il soulignait en outre le risque « d’arbitraire » d’une « pastorale qui n’est pas fondée et enracinée sur la doctrine ». 
Camillo Langone rend hommage à ce prélat dans les colonnes d’Il Foglio le jour de sa mort : « Les cardinaux meurent, les doutes vivent. Ou plutôt, chaque fois que meurt un cardinal qui a exprimé des doutes au sujet d’Amoris lætitia sans obtenir de réponse, le silence du pape se fait plus assourdissant. Et les doutes, au contraire de ceux qui les ont formulés, augmentent. Que dit exactement cette exhortation apostolique ambiguë ? Les paroles de Jésus sur le mariage sont-elles encore valides ? » 
Le 7 septembre, sur son blogue, le vaticaniste Antonio Socci rapporte ce témoignage : « Un prêtre me confie qu’il y a quelques jours, il est allé lui (cardinal Caffarra) dire sa douleur pour le désastre quotidien que l’on vit dans l’Eglise, lui rapportant plusieurs faits. Le cardinal a fondu en larmes et lui a dit : “Le Seigneur n’abandonnera pas son Eglise. Les apôtres étaient douze et le Seigneur recommencera avec quelques-uns. Imaginez la souffrance de saint Athanase, qui a été laissé seul pour défendre la vérité par amour du Christ, de l’Eglise et des hommes. Nous devons avoir la foi, l’espoir et le courage”. Ce prêtre me confie : “le cardinal était très peiné, mais il m’a transmis beaucoup de courage et beaucoup d’amour pour l’Eglise”. (...) Il était sûr que dans le monde et dans l’Eglise, à la fin, le Seigneur allait vaincre. Ainsi, au cours de ces dernières années, il s’est retrouvé le protagoniste d’une défense puissante de la foi catholique et des sacrements face à Amoris lætitia. Ce qui le réconfortait, dans ce témoignage de foi, c’étaient les paroles prophétiques qu’il avait reçues des années plus tôt de sœur Lucie de Fatima, dans une lettre où elle lui avait écrit que “la bataille finale entre Dieu et Satan sera sur la famille et le mariage” ».