SOURCE - Jeannne Smits (blog) - 15 septembre 2017
La première journée des célébrations marquant le 10e anniversaire du Motu proprio Summorum Pontificum a été consacrée à un colloque de l'association italienne lancée à l’initiative du père dominicain Vincenzo Nuara, Giovani e Tradizione, sur le thème « Une jeunesse renouvelée pour toute l’Eglise».
La première journée des célébrations marquant le 10e anniversaire du Motu proprio Summorum Pontificum a été consacrée à un colloque de l'association italienne lancée à l’initiative du père dominicain Vincenzo Nuara, Giovani e Tradizione, sur le thème « Une jeunesse renouvelée pour toute l’Eglise».
Une première impression ? Dans le grand amphithéâtre de l’université dominicaine de l’Angelicum, le premier rang rappelé en quelque sorte visuellement le rôle joué par la France dans la lutte pour le maintien de l’usus antiquior, le rite traditionnel latin aujourd’hui appelée « forme extraordinaire ». Si trois cardinaux – et c’est important en soi – avaient les places d’honneur, de part et d’autre, entourant également Mgr Guido Pozzo, secrétaire de la commission pontificale Ecclesia Dei, la présence des responsables des différents instituts, communautés, sociétés sacerdotales faisaient preuve de l’identité française de la majorité d’entre eux.
Ce sont les « historiques » – pas la Fraternité Saint Pie X et ses nombreuses communautés amies, qu’il serait indécent de ne pas nommer, mais qui n’avaient pas de raison directe d’être présents : la Fraternité Saint-Pierre avec l’abbé Berg, l’Institut du Christ Roi avec Mgr Wach, l’abbaye du Barroux avec dom Louis-Marien son père Abbé (et Sainte Marie de la Garde), les dominicains de Chéméré – la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier est présente en force, autour de son supérieur le P. Dominique-Marie de Saint-Laumer –, dom Pateau pour l’abbaye de Fontgombault, la Fraternité Saint-Thomas-Becket, et j’en oublie. Egalement les Dominicaines du Saint-Esprit, institut qui, fidèle aux orientations de son fondateur le P. Berto, a toujours conservé la messe traditionnelle.
Le cardinal Burke a suivi l’ensemble des travaux : il prendra la parole plus tard au cours de ces journées. Le cardinal Müller, récemment et soudainement renvoyé de la Congrégation pour la Doctrine de la foi dont il était le préfet, était là le matin, prenant la parole pour une intervention remarquée. Le cardinal Sarah, présent lui aussi pendant l’ensemble des conférences, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements – à ce titre, sa participation était hautement significative – s’est exprimé pour sa part sur le silence dans la liturgie.
Du cardinal Gerhard Müller, on retiendra qu’il a d’emblée évoquer les « bénéfices apportés à l’Eglise » grâce au Motu proprio : « Pour cela nous sommes infiniment reconnaissants à Benoît XVI », a-t-il déclaré. Le thème central de son intervention : montrer que la liturgie est source de doctrine – Lex orandi, lex credendi. Ce caractère normatif implique évidemment la nécessité d’une rectitude doctrinale de l’ensemble des célébrations liturgiques dans le monde – implique ou exige…
Contrairement à la Gnose qui prétend transmettre la connaissance à une élite, l’Eglise expose sa foi dans sa liturgie publique et sa liturgie développe la compréhension de la foi, a en substance expliqué le cardinal Müller, donnant l’exemple de la formule du baptême qui explicite le dogme de la Trinité. Il s’agit de découvrir ce qui est vrai : « La théologie n’est pas une construction théorique de la réalité », a insisté le cardinal en ajoutant que ni le sola fide, ni le sola Scriptura ne peuvent satisfaire le catholique, ni la conception luthérienne de la messe qui « élimine idée du sacrifice ». Pas plus qu’on ne peut donner une priorité à la « praxis » : le rôle de la théologie pratique est de « mettre en avant et de décrire les éléments constitutifs de la vie et de la foi de l’Eglise », y compris dans la liturgie, « source et sommet de la vie de l’Eglise».
A ce titre, a insisté le cardinal, « la loi de la prière doit stabiliser la foi » dans l’ensemble du monde. Récusant tout paléochristianisme « cher aux théologiens libéraux du XIXe siècle », le cardinal a longuement insisté sur la nécessité de la rectitude doctrinale de la liturgie qui s’appuie sur l'ensemble de la tradition: « La Parole et l’Esprit de la révélation est toujours contenu dans la liturgie qui exprime de manière objective, telle qu’exprimée par le magistère de l’Eglise de manière définitive. » A ce titre, devait-il rappeler, l’exactitude des traductions est très importante.
« L’écroulement de la liturgie » évoquée par Benoît XVI a entraîné l’écroulement de la foi, a conclu le cardinal, disant son espérance que « la liturgie grégorienne continue de la jeunesse à l’Eglise.»
Ces propos faisaient écho à ceux de Mgr Guido Pozzo qui a ouvert ses propos en rappelant que Summorum pontificum n’avait pas été une simple « concession aux traditionalistes » : se serait « réducteur et insuffisant de s’arrêter à ce type d’affirmation ». Comme les autres ecclésiastiques qui ont prient la parole jeudi, il a insisté sur le rôle de « réconciliation au sein de l’Eglise » qu'a voulu opérer le pape Benoît XVI.
Pour lui le bilan est « en grande partie positif : la méfiance réciproque s’est progressivement réduite, surtout en France et aux Etats-Unis ». Il a également salué « l’enthousiasme apostolique des Instituts » attachés aux rites traditionnels en donnant des exemples de développement du nombre de messes de formes extraordinaires dans des pays comme la France, l’Allemagne, les Etats-Unis, l’Italie.
« Mais cela ne signifie pas que tous les problèmes sont résolus », a-t-il reconnu. En certains lieux c’est le manque de prêtres qu'il explique, mais il n’a pas nié l’existence de « préjugé de caractère idéologique ou pastoral de la part des évêques » qui parfois reculent devant des groupes qu’ils jugent comme isolés par rapport à la vie pastorale locale. « Mais cet isolement n’est pas nécessairement lié à l’ancien rite mais à des raisons que chaque diocèse devrait examiner », a noté Mgr Pozzo.
Celui-ci a encore souligné la sacralité du rite traditionnel qui attire tant de jeunes, et sur sa capacité à servir d’« antidote contre l’arbitraire créativité et les éléments qui conduisent à oublier la nature sacrificielle de la messe au nom de l’accessibilité du sacrement».
Pour lui, donc, la messe traditionnelle n’est pas un « perturbateur ou une menace pour l’unité de l’Eglise mais un don » – voire une sorte de garantie.
Idée que l’on a entendue de la part de plusieurs orateurs ecclésiastiques lors du colloque – en cela ils n’étaient pas rejoints par les orateurs laïques – : « On ne peut exclure une convergence vers une forme unique du rite romain » au moyen d’une « croissance » dans l’Eglise tout entière « et non d’une imposition bureaucratique ». Il appelle en quelque sorte de ses vœux une « fécondation des deux formes » du rite latin « sur le socle de la tradition de l’Eglise».
C’est le refus d’une « opposition irréductible entre le monde pré-conciliaire et le monde post-conciliaire » mais aussi d’une liturgie dont la « communauté » deviendrait le « véritable sujet».
Renvoyant au catéchisme de l’Eglise catholique en son numéro 1069, Mgr Pozzo a tenu à rappeler que « la liturgie n’est pas faite pour le plaisir des prêtres… toute œuvre liturgique est Opera Christi ». Il s’agit de lutter contre l’autoréférentialité des chrétiens – un clin d’œil au vocabulaire du pape François pour rappeler que ce qui compte, ce sont les « catégories christologique du peuple, corps du Christ».
Ainsi, selon Mgr Pozzo, dans la liturgie, le « silence, les génuflexions, la référence, l’infinie distance qui sépare la Terre du ciel » sont essentielles. Il a même suggéré que cette manière de célébrer – que l'on retrouve évidemment de manière privilégiée – dans la forme extraordinaire « oppose une nouvelle barrière à la sécularisation » du monde et à « l’humanisme antichrétien de notre siècle. « Célébrer dans le rite antique, c’est garder l’espérance dans l’Eglise.»
Il a a conclu en insistant sur le fait que ce n’est pas la « nostalgie du passé » qui mobilise les fidèles attachés à la forme extraordinaire mais « l’orientation des âmes vers ce qui est pérenne et toujours actuel » : ainsi « les jeunes prêtres sont intéressés » par la célébration du rite traditionnel.
« Les difficultés ne doivent pas surprendre », a ajouté Mgr Pozzo qui voit leur source dans une certaine manière de comprendre Vatican II selon la « Vulgate » d’une discontinuité avec la tradition. Il estime que l’usus antiquior est « un trésor à garder et à transmettre sans référence idéologique d’où que ce soit».