SOURCE - Peregrinus - 28 janvier 2018
Parmi les promoteurs les plus actifs de la traduction de la liturgie en français après la Terreur, on trouve Jean-Charles-Augustin Clément, peut-être l’une des figures les plus marquantes de la seconde Eglise constitutionnelle. Né en 1717, Clément est avant tout un vétéran des luttes jansénistes non seulement françaises, mais aussi européennes. Devenu chanoine et trésorier de la cathédrale d’Auxerre grâce à la protection de Mgr de Caylus, qui fait de son chapitre un repaire de jansénistes, il mène en 1757 la lutte des chanoines contre le nouvel évêque Mgr de Condorcet et les prédicateurs jésuites invités par celui-ci, assiste au concile de l’Eglise d’Utrecht et voyage dans l’Europe entière pour défendre les intérêts du parti janséniste. En 1790, l’abbé Clément adhère avec quelques autres chanoines auxerrois aux réformes de la Constituante, dans lesquelles il voit l’occasion d’un premier pas vers le retour aux usages de l’Eglise primitive. Après la Terreur, alors que le chanoine Moreau, dont il est initialement très proche, rétracte son serment et demande sa réconciliation au clergé fidèle, Clément, quant à lui, joue un rôle essentiel auprès des « évêques réunis » qui organisent à Paris la reprise du culte.
Parmi les promoteurs les plus actifs de la traduction de la liturgie en français après la Terreur, on trouve Jean-Charles-Augustin Clément, peut-être l’une des figures les plus marquantes de la seconde Eglise constitutionnelle. Né en 1717, Clément est avant tout un vétéran des luttes jansénistes non seulement françaises, mais aussi européennes. Devenu chanoine et trésorier de la cathédrale d’Auxerre grâce à la protection de Mgr de Caylus, qui fait de son chapitre un repaire de jansénistes, il mène en 1757 la lutte des chanoines contre le nouvel évêque Mgr de Condorcet et les prédicateurs jésuites invités par celui-ci, assiste au concile de l’Eglise d’Utrecht et voyage dans l’Europe entière pour défendre les intérêts du parti janséniste. En 1790, l’abbé Clément adhère avec quelques autres chanoines auxerrois aux réformes de la Constituante, dans lesquelles il voit l’occasion d’un premier pas vers le retour aux usages de l’Eglise primitive. Après la Terreur, alors que le chanoine Moreau, dont il est initialement très proche, rétracte son serment et demande sa réconciliation au clergé fidèle, Clément, quant à lui, joue un rôle essentiel auprès des « évêques réunis » qui organisent à Paris la reprise du culte.
Elu en 1796 à la tête du diocèse de Versailles, Clément devient alors le plus notable défenseur, au sein de l’épiscopat constitutionnel, d’une ligne résolument janséniste, collégialiste, rigoriste, intransigeante à l’égard des réfractaires comme à l’égard des « traditeurs ».
On reviendra ultérieurement sur la manière dont le débat sur la liturgie en langue vulgaire s’est déroulé dans l’Eglise constitutionnelle de 1795 à 1801. En effet, il convient tout d’abord de donner un aperçu des conceptions liturgiques de Clément.
L’intérêt de l’évêque intrus pour la liturgie n’est pas nouveau. Chanoine d’Auxerre, l’abbé Clément, nourri du traité de l’abbé Duguet sur la prière publique, a défendu contre les curés du diocèse la dignité de l’office célébré par le chapitre de la cathédrale. Ainsi évoque-t-il en 1780 la « majesté des Offices, qui à la paix de l’Eglise pénétroit encore de respect & de saisissement les Empereurs convertis & toute leur Cour (1) ». A la fin de l’Ancien Régime, il dénonce également l’ultramontanisme qu’il découvre dans le Rituel de Paris (2). Il est très probable qu’il partage alors, comme le chanoine Moreau, son confrère dans le chapitre d’Auxerre, l’opinion assez répandue dans les milieux jansénistes sur la liturgie en langue vulgaire : celle-ci est associée aux idylliques « beaux jours de l’Eglise » où le peuple entier s’associait pleinement à la prière du clergé ; sa disparition est regrettable, mais son retour ne paraît guère envisageable à court ou même à moyen terme.
Comme on l’a vu, tout change avec la Révolution, l’expérience de la rupture avec Rome, puis celle de la persécution terroriste, perçues comme l’occasion providentielle d’un retour aux premiers temps du christianisme. Pour Clément, depuis que le latin a cessé d’être une langue vulgaire, les fidèles « ont porté le fléau d’une Langue étrangère, par une sévère permission de Dieu sur eux (3) ». Le prélat constitutionnel applique ainsi à la liturgie le thème, classique dans les milieux jansénistes, de l’obscurcissement de la vérité dans l’Eglise. Louis-François Ponsignon, vicaire épiscopal de Clément et l’un des plus ardents défenseurs de la liturgie en français, ne s’exprime pas autrement :
L’usage de la langue vulgaire n’a commencé à être inoui que dans des siècles de ténèbres et de barbarie. […] Il eût été inoui, au contraire, dans les beaux siècles de la religion, qu’on administrât les choses saintes aux Fidèles dans une langue inintelligible pour eux (4).
En effet, la promotion par Clément de la liturgie en langue vulgaire porte le sceau de son primitivisme rigoriste. C’est au nom d’une « exacte théologie » que l’évêque intrus se prononce en faveur des cérémonies en français. Le principe de cette théologie des sacrements est clairement formulé : « Les Sacremens n’opèrent pas sur un homme qui n’y prend point de part. » Certes, Clément ne nie pas que les sacrements agissent ex opere operato, mais, dit-il encore, « l’intelligence et l’adhésion de celui qui les reçoit, tiennent à cet effet même du Sacrement (5) ». Pour le prélat, il manque quelque chose au sacrement lui-même lorsqu’il est administré à un fidèle qui n’en comprend pas les cérémonies. Seul vit vraiment de la grâce des sacrements le petit nombre de chrétiens capables d’en saisir pleinement les formules. La réforme liturgique voulue par Clément s’inscrit dans une vision de l’Eglise selon laquelle la majorité des chrétiens, même fidèles, ne le sont que de nom.
De cette « exacte théologie », adossée en réalité à des conceptions rigoristes, découle une pastorale des sacrements qui prend également prétexte de la déchristianisation révolutionnaire pour imposer le passage au français : la liturgie en français est vantée au nom de son efficacité apostolique. Cet aspect apparaît surtout chez l’abbé Ponsignon. Il ne sert à rien, estime le collaborateur de l’évêque intrus, de multiplier les instructions sur les sacrements pour pallier l’ignorance du peuple chrétien ; en effet, écrit-il, les « fidèles les plus assidus et les plus avides d’instruction sont ceux à qui elles sont le moins nécessaires ».
Que diront-ils [les prêtres] à ce grand nombre de chrétiens qui par le malheur des tems sont devenus comme étrangers à la religion, et que des circonstances cependant amènent encore quelquefois dans nos temples ou auprès de malades qui les intéressent, pour y être témoins de l’administration des Sacremens ? Voilà ceux qu’il importe d’éclairer, de toucher, de frapper par des objets présens et sensibles.
Ponsignon donne donc aux prêtres le conseil suivant :
Rendez-vous donc intelligible ; que vos cérémonies s’expliquent d’elles-mêmes ; que vos prières soient touchantes (6).
La pastorale liturgique proposée par Ponsignon est en effet, en même temps qu’une pastorale que l’on pourrait qualifier de rationaliste, fondée sur la compréhension littérale de tous les textes prononcés, une pastorale du sentiment, où semble percer parfois le goût des larmes du XVIIIe siècle finissant. Pour Ponsignon, instruction et sentiment sont indissociables :
Si vous récitez du latin devant eux [les fidèles peu instruits], vous ne leur procurez aucune instruction ; vous n’excitez en eux aucun sentiment ; ils ne savent ni ce que vous dites ni ce que vous faites (7).
Au « défenseur du Latin », pour qui « ce ne sont pas les paroles qui en imposent à la multitude ; mais la majesté de nos cérémonies, la gravité du ministre, son attention scrupuleuse à observer tous les points marqués dans le Rituel », Ponsignon répond qu’il ne voit pas là « de quoi répandre l’instruction et exciter la piété : quand on n’a que de pareils moyens à proposer, ne feroit-on pas mieux de garder le silence (8) ? » La compréhension littérale des textes, seule susceptible de provoquer l’adhésion sentimentale du fidèle, est la seule solution aux difficultés pastorales où se débat l’Eglise de France. Ainsi Ponsignon n’hésite-t-il pas à appuyer son opinion par des considérations arithmétiques. Si l’on confère huit cents baptêmes dans le cours d’une année, ces célébrations entraînent logiquement la présence de deux mille quatre cents témoins, sans compter les assistants, soit peut-être deux mille chrétiens peu instruits, voire très détachés, que certainement la célébration des sacrements en français édifiera.
Telles sont donc les principales raisons qu’invoquent les prêtres de la seconde Eglise constitutionnelle en faveur de la liturgie en français : dans un contexte de séparation de l’Eglise et de l’Etat, où la reprise du culte demeure extrêmement précaire, il ne s’agit plus de seconder les efforts des autorités civiles pour diffuser l’esprit républicain, mais de revenir aux usages supposés des « beaux siècles de la religion ». Primitivisme, rigorisme, rationalisme et sentimentalisme concourent ainsi à présenter le passage au français comme une nécessité tant doctrinale que pastorale.
(A suivre)
Peregrinus
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(1) Augustin Clément, Mémoire sur le rang que tiennent les chapitres de cathédrale dans l’ordre hiérarchique, contre les principes de trois Lettres publiées à Auxerre en 1779, s. n., Auxerre, 1780, p. 9.
(2) Augustin Clément, Lettre à l’auteur des observations sur le rituel de Paris, s. n., 1787, p. 1-2.
(3) Mémoires du révérend évêque de Versailles au clergé de France, Imprimerie de Jacob, Versailles, 1800, p. 15.
(4) Louis-François Ponsignon, Apologie de l’usage de la langue française dans l’administration des sacremens, Imprimerie-Librairie Chrétienne, Paris, 1800, p. 27.
(5) Mémoires du révérend évêque de Versailles, op. cit., p. 18-19.
(6) Louis-François Ponsignon, op. cit., p. 51.
(7) Ibid., p. 52.
(8) Ibid., p. 53.