1 février 2019

[Le Parisien] A Riaumont, la communauté religieuse accusée de maltraitance

SOURCE - Le Parisien - 1er février 2019

Quatre religieux ont été mis en examen en janvier pour des violences sur des scouts scolarisés à Riaumont (Pas-de-Calais), une communauté catholique traditionaliste par laquelle ont transité des dizaines d’élèves depuis des décennies.

Une croix scoute de couleur rouge trône au-dessus du portail aux grilles cadenassées. Depuis le 15 janvier dernier, les enfants scolarisés au sein de la communauté religieuse de Riaumont, à Liévin (Pas-de-Calais), ont été priés de rentrer chez eux. Quatre des membres de cette communauté, dont deux prêtres, ont été mis en examen pour « violences légères » par personne ayant autorité. Un cinquième religieux, placé en garde à vue et relâché, était déjà poursuivi en 2017 pour détention d’images pédopornographiques.

Selon une source proche de l’enquête, les encadrants, âgés de 37 à 55 ans, sont soupçonnés de « coups de pied, coups de poing, gifles et coups de ceinture » à l’égard d’une dizaine d’écoliers, sur une période entre 2007 et 2014.

Ces mises en examen sont l’aboutissement d’un travail titanesque d’auditions : depuis 2013, la police judiciaire de Lille (Nord) et la section mineurs de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) ont interrogé plus de 200 élèves et anciens de Riaumont. L’enquête comporte quatre volets déclenchés à l’origine par une plainte pour un viol commis par un encadrant. S’y sont ajoutées des violences commises par des responsables ainsi que des violences sexuelles entre élèves et de la pédopornographie. Les quatre religieux suspectés des violences ont été placés sous contrôle judiciaire et ne peuvent exercer d’activité en lien avec des mineurs. « Aucun fait de nature sexuelle ne leur est reproché », tient à rappeler leur avocat, Me Eric Morain, qui indique avoir fait appel du contrôle judiciaire.

Un vendredi de fin janvier, une fine pluie s’abat sur le grand domaine de Riaumont. Ses tourelles en pierre enneigées et ses constructions en chantier paraissent figées. En l’absence des 19 internes, souvent des élèves en difficulté scolaire placés par leur famille, et de la plupart des religieux, le silence règne. Juste le bruit de quelques poules, canards et autres paons. Décorées avec faste, les maisons des prêtres semblent en pain d’épice, entourées de crèches illuminées. Un village médiéval miniature a été recréé, sur lequel flotte un drapeau noir et blanc à croix rouge, symbole du scoutisme. Non loin, deux griffons d’or veillent à l’entrée d’un mémorial.
«On les voyait marcher comme des chats errants»
Au milieu de ce cadre sinistre, une poignée de bénévoles démontent des décors. François, ancien scout aujourd’hui trentenaire, juge cette affaire « purement mensongère ». Il rappelle fièrement que « des ingénieurs sont sortis » de Riaumont. « La communauté a changé ma vie. Alors j’essaie de rendre ce que j’ai reçu ». Un bénévole finit par nous informer qu’aucun père « ne souhaite » nous recevoir.

A Liévin, en ville, chacun a sa petite idée sur le quotidien des enfants, rarement aperçus hors les murs. « Dans les années 70, on les voyait déjà marcher comme des chats errants, les jambes pelées par le froid », se souvient Françoise, professeure de collège dans la région. A l’époque, les scouts en internat à Riaumont fréquentaient le collège public. Elle se souvient d’enfants « brisés » et « morts de chagrin ». Elle avait écrit une lettre au parquet de Béthune.

Depuis les années 80, les jeunes scouts suivaient les cours au sein même de la communauté, à l’école hors contrat Jean-Bosco. « Riaumont ? Je ne peux pas en parler, on ne les voit jamais », lance la tenancière de la Cravache d’or, le bar-PMU de Liévin. Les voisins du domaine ne seront guère plus diserts. Un silence à l’image du « couvercle » posé sur Riaumont, selon Charline Delporte, présidente du Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire (CAFFES).
«Obligé de courir torse nu par moins dix degrés»
En 2001, R., 14 ans, est retrouvé pendu sur le terrain de sport du domaine. Quelques semaines plus tôt, selon Charline Delporte, sa grand-mère s’inquiétait de « maltraitances » subies par son petit-fils à l’internat. Charline Delporte l’avait incitée à porter plainte : « L’enfant avait raconté à sa grand-mère qu’il était obligé de courir torse nu par moins dix degrés ou qu’il devait manger avec les porcs. » L’enquête a abouti à un non-lieu. Les parents de R. ont toujours défendu la communauté, attribuant le malaise de leur fils à leur séparation.

Face aux accusations actuelles, les familles des scouts de Riaumont font bloc. Une mère témoigne anonymement. « Il y a violence et violence, nuance-t-elle. Peut-être qu’il s’agissait de légères corrections ». Pour preuve selon cette mère, son fils inscrit depuis quatre ans dans l’établissement n’a rien signalé aux enquêteurs qui lui avaient remis un questionnaire. « S’il s’était senti mal, insiste la maman, il serait rentré à la maison ».

Ce soutien inconditionnel irrite Françoise, l’ancienne professeure. Elle se satisfait néanmoins des mises en examen. « On a trop fermé les yeux, alors je n’y croyais plus. »