4 février 2019

[Jade Serrano - StreetPress] Le professeur reconnaît avoir touché les zizis «comme le ferait un parent avec son enfant»

SOURCE - Jade Serrano - StreetPress - 4 février 2019

Monsieur B. enseigne les mathématiques à l’école La Péraudière. Plusieurs anciens élèves accusent l’homme d’attouchements sexuels. Malgré les nombreux témoignages, il a bénéficié d’un non-lieu. Trois nouvelles plaintes ont été déposées.

Madame D. a 50 ans. Ce samedi de mai 2017, alors que le déjeuner familial touche à sa fin, elle jette les restes de côtes de porc à son chien: 
« Je donne l’os et lui dis “Punaise t’es dégoûtant”, comme il bavait partout. Je m’essuie la main sur mon tablier. Et là, Raphaël me dit : “C’est pas pire que les bisous baveux de monsieur B. dans mon cou, tu sais maman”.»
Monsieur B. est l’ancien professeur de mathématiques de ses fils (contacté par StreetPress, l’enseignant n’a pas donné suite à nos demandes). L’aîné, Raphaël (1), a 16 ans. Son cadet, Maxime (1), a lui 14 ans ce jour-là. À l’époque, les deux enfants sont scolarisés en pensionnat non mixte, à l’école La Péraudière un établissement privé situé en Rhône-Alpes. Madame D. est foudroyée par ce témoignage. Elle interroge alors son autre garçon : 
« Je voulais savoir s’il l’avait embrassé aussi. Et c’est là qu’il m’a dit “Ben oui maman, il m’a embrassé. Mais qu’une fois, dans le cou”. C’était inimaginable pour mon mari et moi. On avait confiance, on pensait que l’école véhiculait certaines valeurs religieuses. »
UNE ÉCOLE HORS CONTRAT

Situé à dix kilomètres du petit village de Montrottier (69), l’établissement confessionnel hors contrat est proche des catholiques traditionalistes. Il dispense une éducation à la dure. Au programme: offices religieux, lever des drapeaux, uniforme, fessées et repas au « pain sec » en guise de punition. En 2014, lorsqu’ils y inscrivent leurs enfants, le couple B. n’y trouve rien à redire. « Quand nous avons inscrit nos enfants dans cette école avec mon mari, nous avions pris l’habitude de suivre la messe en latin le dimanche. Ma famille était habituée à cette mentalité », ajoute madame.

À Montrottier, personne ne souhaite s’étendre sur le cas La Péraudière. Une seule voix s’est fait entendre. Celle d’un médecin libéral de la région dont nous tairons l’identité, secret médical oblige : 
« Quand je compare leur attitude à celle d’autres adolescents que je soigne, je me rends bien compte qu’ils sont totalement sous emprise. D’ailleurs, jamais je n’ai pu rester en tête-à-tête avec eux. Il y a toujours un accompagnant [de l’école] à leurs côtés. »
QUINZE ENFANTS TÉMOIGNENT

Quand ses fils lui confient les comportements inappropriés de monsieur B., leur mère ignore que ce dernier a déjà été mis en cause pour des attouchements sur mineurs au sein de cette même école. Streetpress s’est procuré un arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Lyon, datant de 2016. Le document détaille une procédure intentée contre monsieur B. pour « agressions sexuelles sur mineur de 15 ans par une personne abusant de l’autorité de sa fonction ». Extrait :
« Lorsqu’il [l’une des victimes] prenait sa douche, B. vérifiait qu’il s’était correctement savonné en le touchant avec ses mains, notamment au niveau du sexe. Il précisait que cela durait une vingtaine de secondes et qu’il insistait un peu, caressait. »
Au fil des pages, pas moins de 15 jeunes passés par La Péraudière témoignent de faits similaires. La plupart racontent que tout se passe au moment de la douche hebdomadaire. L’un d’eux évoque cependant une autre scène : 
« Peu après son arrivée, il lui avait demandé s’il savait comment aller aux toilettes, l’y avait suivi, lui avait enlevé le pantalon et touché les parties génitales. Une autre fois suite à une séance de sport, B. lui avait reproché de se gratter, l’avait conduit dans la salle des douches, lui avait baissé son pantalon, pris le sexe, sorti le gland, avait regardé sans rien dire puis était parti. »
Interrogé dans le cadre de cette enquête, Monsieur B. reconnaît qu’il « aidait les plus petits à se laver et qu’il y avait forcément un contact, “comme le ferait un parent avec son enfant”, mais sans intention malsaine dans les gestes ». Au terme de la procédure, il est établi que B. « passait la main sur différentes parties de leurs corps, et notamment les fesses et les parties sexuelles », mais « il n’est nullement établi que B. ait eu conscience de commettre un acte objectivement immoral ou obscène ». Il bénéficie donc d’un non-lieu définitif.

DE RETOUR À L’ÉCOLE

À l’époque, Madame D. n’a donc pas connaissance de cette affaire. Le lundi suivant les confessions de ses fils, la mère prend sa voiture, la boule au ventre. Avec son mari, ils ont malgré tout décidé de ramener leurs garçons à La Péraudière : 
«J’avais l’impression de les emmener à l’arène. Mais je n’arrivais pas à faire demi-tour.»
De retour à son domicile, elle décide de décrocher son téléphone et de prévenir l’une de ses amies. Son fils a lui aussi été scolarisé à La Péraudière jusqu’en 2016. Date à laquelle cette autre mère décide de le retirer de l’établissement : 
« Son fils, Antoine (1), lui a expliqué que monsieur B., quand il était en voiture avec lui, s’était arrêté sur le bord de la route et l’avait embrassé partout sur le visage.»
Dans la foulée, Madame D. appelle hors d’elle le directeur de l’école, Monsieur H. « Je beuglais “Mais c’est quoi ce pervers” ! »

« LUI, IL LE SAVAIT »

Le vendredi suivant, Madame D. va chercher ses enfants. Une rencontre avec le directeur est également prévue. Une heure et demi de voiture sépare la mère de famille de l’école. Madame D. a connu quatre cancers dans sa vie et la route la fatigue énormément. Elle évoque cette journée, la voix chevrotante : 
«Dans la voiture, j’étais totalement épuisée. Mais je tenais bon pour mes garçons. Quand je suis arrivée à La Péraudière, j’avais décidé de garder mon calme pour le rendez-vous.»
Le directeur l’attend dans une salle à l’extérieur de l’école. Elle l’interpelle pour comprendre pourquoi, malgré les nombreuses alertes, il avait laissé monsieur B. seul avec des enfants. Face à la mère des deux adolescents, le directeur de l’école se montre très compréhensif : 
« Il était d’accord avec moi sur le fait que Monsieur B. ne devait plus rester seul avec les enfants. Qu’il ferait dorénavant des binômes.»
Cette promesse, l’ancien directeur de l’école va la lui confirmer par écrit quelques semaines plus tard. Le 12 juin 2017, il lui envoie une lettre. StreetPress l’a récupérée. Nous en publions un extrait : 
« Madame, Monsieur, à la suite de nos conversations qui ont été assez difficiles, je tiens à vous informer que j’ai retiré à mon collaborateur ses fonctions d’enseignement et de surveillance au contact avec les enfants.»
DÉPART EN CATIMINI

Le lundi suivant, rebelote. Les enfants retournent à La Péraudière. Mais la mère est trop bouleversée. Avec son mari, ils décident finalement de retirer leurs fils de l’établissement : 
« Nous avons appelé le directeur. Comme il n’était pas là, nous sommes tombés sur une autre professeure. Un peu paniquée par la nouvelle, elle nous dit de venir le plus vite possible. Et qu’il ne faut pas que les autres enfants voient les nôtres partir.»
Les élèves sont invités à quitter leurs cours et toute la famille part en catimini. Il faut à tout prix éviter d’ébruiter l’affaire.


Deux semaines s’écoulent entre les récits de Raphaël et Maxime à leurs parents, et leur départ de La Péraudière. Des journées particulièrement difficiles à vivre pour le premier de la fratrie. L’aîné se souvient de son dernier échange avec le professeur. Une quinzaine de jours avant son départ, il retrouve monsieur B. à la ferme. Le professeur en est en charge tous les dimanches matins. « Il demandait toujours à un 6e ou à un 5e de l’accompagner. Et c’est justement en partant, juste avant d’aller à la messe, ben… qu’il nous faisait un bisou », confie Raphaël. Cette semaine-là, il est désigné. Mais à quelques jours de son départ, rien ne se déroule comme d’habitude : 
« Quand je suis arrivé, il m’a engueulé. Il m’a demandé “Pourquoi t’as dit à ta maman que je t’avais fait des bisous dans le cou ?”. M’a dit que ça allait faire des histoires.»
Avant de quitter l’école, Raphaël tient tout de même à prévenir ses meilleurs amis. Deux garçons de son âge, 16 ans : 
« Ils ont été choqués par la nouvelle. L’un des deux m’a dit avoir reçu aussi plusieurs bisous de Monsieur B. Ça faisait sept ans qu’il était dans cette école.»
CULTE DU SECRET

Deux ans après les faits, Raphaël, l’aîné, l’admet : s’il n’a rien dit à ses parents, c’est parce que le culte du secret demeure dans l’établissement. Il raconte : 
« Le directeur de l’école Monsieur H. nous disait souvent que “tout ce qui se passe à La Péraudière reste à La Péraudière”. Il ne fallait pas répéter aux parents ce qu’on vivait à l’école.»
Dans le cadre de la précédente procédure, un autre élève raconte avoir tenté de joindre l’accueil téléphonique de « l’Enfance en danger », pour dénoncer les attouchements et violences dont il aurait été victime. L’affaire s’ébruite. En guise de réponse, la direction décide d’exclure l’enfant de l’établissement « car il avait fait courir le bruit qu’il avait téléphoné au 119 depuis l’école et que B. commettait des agressions sexuelles sur les enfants », précise l’ancien directeur.

Même après avoir quitté l’école, Raphaël ne décolère pas : 
« C’est vrai que j’aurai dû tout dire : les bisous de monsieur B., les comportements violents. Mais j’étais jeune, j’étais con. Ce qui m’a saoulé, c’est de ne pas avoir réussi à protéger mon petit frère. Maxime a subi des choses que j’aurais sûrement pu éviter. Parce que ça n’aurait pas dû lui arriver...»
LA PLAINTE

Quand Maxime et Raphaël poussent la porte de la gendarmerie, le 17 juin 2017, ils ont en tête le non-lieu dont a bénéficié Monsieur B. dont ils viennent de prendre connaissance. « Je n’ai pas hésité à déposer plainte », affirme Raphaël (2) : 
« Il n’avait pas été condamné avant. Je me suis dit que c’était des erreurs qui n’auraient pas dû être faites. Disons que s’il a été repris, c’est qu’il a continué. Pour moi, il ne fallait même pas réfléchir, fallait agir.»
Depuis cette plainte, il attend beaucoup de la justice : « J’espère qu’elle fera la part des choses. Que ceux qui méritent d’être punis le seront ». Un troisième ancien élève a également déposé plainte pour des faits similaires.

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a également été destinataire de plusieurs témoignages sur l’école hors contrat La Péraudière. Elle a également eu connaissance des nouvelles plaintes pour agressions sexuelles sur des garçons mineurs. Elle assure à Streetpress que « le sujet la préoccupe particulièrement » et « reste à l’écoute des signalements qui pourraient être portés à sa connaissance ».

Dix-huit mois se sont écoulés depuis le dépôt de ces nouvelles plaintes. Contacté par StreetPress, l’ancien directeur de l’établissement assure que Monsieur B. « n’exerce plus d’activités auprès des élèves depuis bientôt 2 ans », que « les mesures nécessaires sont prises vis-à-vis de tout personnel pénétrant dans l’établissement » et que les nouvelles plaintes ont été classées sans suite. Sauf que ni le parquet, ni les plaignants, contactés par StreetPress, ne le confirment.
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(1) Nous avons, à leur demande, changé les prénoms.
(2) StreetPress a pu consulter le compte-rendu des auditions de Maxime et Raphaël face aux gendarmes. Ils y décrivent les même faits que lors de notre entretien.