Abbé François-Marie Chautard - Le Chardonnet – février 2006
Le 22 décembre dernier, le pape s'est adressé aux membres de la Curie en leur faisant un bilan de l'année écoulée. Il s'est exprimé tout particulièrement sur le Concile, sujet qu'il n'avait jamais abordé depuis son élection avec autant de précision; quand on sait l'importance que le Saint-Père accorde au Concile qu' il entend " appliquer avec force " (1) et les difficultés que ce Concile apporte dans nos " rapports " avec Rome, on pressent l'intérêt d'un tel texte. Pour le pape, la question est de savoir s'il faut interpréter le Concile comme s'inscrivant ou non dans la Tradition. Benoît XVI conçoit deux interprétations ou " deux herméneutiques contraires [qui] se sont trouvées confrontées et sont entrées en conflit ": " L'herméneutique de la discontinuité et de la rupture [...] entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire " et " l'herméneutique de la réforme, du renouveau dans la continuité"
DENONCIATION DES PROGRESSISTES EXTREMISTES
Commençant par la première interprétation, le souverain pontife la décrit comme ayant " engendré la confusion " et ayant" souvent pu compter sur la sympathie des mass média, et également d'une partie de la théologie moderne ". Cette conception attachée à avancer toujours davantage dans le progressisme " risque de finir par une rupture entre Eglise conciliaire et Eglise post-conciliaire ". Passant ensuite â la seconde interprétation du Concile, celle de la continuité dans la Tradition, il mentionne avec un optimisme très mesuré les fruits du Concile bien interprété: " la bonne semence (c'est une semence, non un arbre) même si elle se développe lentement (sic) croît malgré tout (sic). "
UNE ADAPTATION DE L'EGLISE AU MONDE MODERNE ET NON UN ABANDON DES PRINCIPES ?
Puis, il réaffirme qu'il faut voir le Concile à cette lumière, c'est-à-dire comme parfaitement conforme à la Tradition de l'Eglise, quoique les apparences puissent faire penser le contraire. L'ancien cardinal Ratzinger revient par là sur une idée qui lui est chère (2) depuis bien des années, à savoir que les textes des papes du XIXe siècle et du concile Vatican II sont différents, non pas parce que les principes ont changé, mais parce que les circonstances, elles, ont changé. Autrement dit, les papes de l'avant-Concile et le Concile ont des messages qui semblent différents, non pas parce qu'ils ont changé de doctrine, mais parce qu'ils s'adaptent à des époques différentes; c'est en un mot la continuité dans les principes mais la nouveauté dans l'application. Et là, Benoît XVI donne plusieurs exemples (" la relation entre foi et sciences modernes... rapport entre foi chrétienne et religions du monde ") mais ne développe véritablement que la question du " rapport entre Eglise et État moderne " et de la liberté religieuse. Pour lui, la liberté condamnée par les papes du XIXe siècle était la liberté vue comme " l'incapacité de l'homme à trouver la vérité " tandis que la liberté promue par Vatican II est une liberté de conviction, à savoir que les autres religions ne doivent pas être interdites et que la religion catholique ne doit pas être une religion d'État afin que l'homme puisse découvrir la vérité par pure conviction sans être influencé par quelque pression que ce soit. Il n'y a donc pas de contradiction entre l'avant-concile et le Concile.
L'EVOLUTION ET NON UNE SIMPLE ADAPTATION DE LA DOCTRINE
Là, évidemment, nous ne pouvons qu'être surpris en songeant que le pape veut nous persuader que ce que le pape Grégoire XVI a appelé un " délire " (la liberté religieuse dans " Mirari Vos "), est dans la droite ligne de la Tradition. Il est intéressant de constater, quoi qu'en dise le Saint-Père, cette évolution de principes, qui est rappelons-le, l'une des caractéristiques principales du progressisme et du modernisme. Ce ne sont pas de simples aspects accidentels qui ont changé avec le Concile, mais bien des vérités essentielles, intemporelles qui ont été abandonnées. Et la suite nous en donne une nouvelle preuve.
DES PAROLES INDIGNES D'UN PAPE
Pour prouver ses propos, le Saint-Père donne un exemple, celui des martyrs. Pour lui, les martyrs sont morts pour affirmer la liberté religieuse! : " l'Eglise antique... tandis qu'elle priait pour les empereurs, a en revanche toujours refusé de les adorer, et à travers cela a rejeté clairement la religion d'État. les martyrs de l'Eglise primitive sont morts... également pour leur liberté de conscience et pour leur liberté de professer leur foi, une profession qui ne peut être imposée par aucun État. "!!! comment ne pas être indignés devant de telles paroles sorties de la bouche du successeur de saint Pierre? comment ne pas penser aux paroles fortes de Mgr Lefebvre: " ils L'ont découronné, ils ne veulent plus de la royauté sociale du Christ. "? De plus, si on suit le raisonnement du pape, on voit mal l'Eglise primitive des martyrs, ayant subi des persécutions pendant trois siècles par refus d'une religion d'Etat, s'acclimater si facilement de l'édit de Milan (313) qui préparait l'union du trône et de l'autel, précisément la religion d'État! De même, si l'on suivait les paroles du Saint-Père, on ne comprendrait plus la canonisation de tant de saints rois ayant appliqué cette notion de religion d'État, les saints Louis, Edouard, Wenceslas, Canut, Henri, etc. " Appeler au secours de la liberté religieuse, c'est-à-dire au secours du refus de reconnaître la royauté sociale de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, les martyrs chrétiens qui sont morts précisément pour le " Seigneur Jésus ", c'est dénaturer toute l'histoire, toute la doctrine catholique et toute la réalité. On ne peut, sur un fondement aussi faux, construire une " herméneutique de la réforme " de quelque valeur que ce soit. (3) " Il est donc clair que malgré ses paroles et ses bonnes intentions louables, le souverain pontife non seulement ne nous convainc pas tant du Concile que du Magistère actuel dans la Tradition multiséculaire de l'Eglise, mais il nous persuade du contraire.
NOTES
1. Sermon programme du lendemain de son élection.
2. Le cardinal Ratzinger donnait déjà en 1986 les éléments de ce qu'il expose ici; il parlait alors " d'une véritable crise qui doit être soignée et guérie ", il dénonçait " un prétendu esprit du concile [progressiste) qui est un nanti-esprit" ", voyait dans le concile l'expression la plus pure de la Tradition : " défendre aujourd'hui la vraie Tradition de l'Eglise signifie défendre le concile" concile qui est, disait-il déjà à l'époque " une révision des rapports entre l'Eglise et le monde. Car il y a des valeurs qui, si même elles sont nées hors de l'Eglise, peuvent une fois examinées et amendées, trouver leur place dans sa vision. " cf. pour les références, l'article " Ratzinger converti? " de Fideliter no 51 de 1986, pp.34-46
3. Communiqué du District de France du 21/02/0S, (disponible sur laportelatine.com)
Le 22 décembre dernier, le pape s'est adressé aux membres de la Curie en leur faisant un bilan de l'année écoulée. Il s'est exprimé tout particulièrement sur le Concile, sujet qu'il n'avait jamais abordé depuis son élection avec autant de précision; quand on sait l'importance que le Saint-Père accorde au Concile qu' il entend " appliquer avec force " (1) et les difficultés que ce Concile apporte dans nos " rapports " avec Rome, on pressent l'intérêt d'un tel texte. Pour le pape, la question est de savoir s'il faut interpréter le Concile comme s'inscrivant ou non dans la Tradition. Benoît XVI conçoit deux interprétations ou " deux herméneutiques contraires [qui] se sont trouvées confrontées et sont entrées en conflit ": " L'herméneutique de la discontinuité et de la rupture [...] entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire " et " l'herméneutique de la réforme, du renouveau dans la continuité"
DENONCIATION DES PROGRESSISTES EXTREMISTES
Commençant par la première interprétation, le souverain pontife la décrit comme ayant " engendré la confusion " et ayant" souvent pu compter sur la sympathie des mass média, et également d'une partie de la théologie moderne ". Cette conception attachée à avancer toujours davantage dans le progressisme " risque de finir par une rupture entre Eglise conciliaire et Eglise post-conciliaire ". Passant ensuite â la seconde interprétation du Concile, celle de la continuité dans la Tradition, il mentionne avec un optimisme très mesuré les fruits du Concile bien interprété: " la bonne semence (c'est une semence, non un arbre) même si elle se développe lentement (sic) croît malgré tout (sic). "
UNE ADAPTATION DE L'EGLISE AU MONDE MODERNE ET NON UN ABANDON DES PRINCIPES ?
Puis, il réaffirme qu'il faut voir le Concile à cette lumière, c'est-à-dire comme parfaitement conforme à la Tradition de l'Eglise, quoique les apparences puissent faire penser le contraire. L'ancien cardinal Ratzinger revient par là sur une idée qui lui est chère (2) depuis bien des années, à savoir que les textes des papes du XIXe siècle et du concile Vatican II sont différents, non pas parce que les principes ont changé, mais parce que les circonstances, elles, ont changé. Autrement dit, les papes de l'avant-Concile et le Concile ont des messages qui semblent différents, non pas parce qu'ils ont changé de doctrine, mais parce qu'ils s'adaptent à des époques différentes; c'est en un mot la continuité dans les principes mais la nouveauté dans l'application. Et là, Benoît XVI donne plusieurs exemples (" la relation entre foi et sciences modernes... rapport entre foi chrétienne et religions du monde ") mais ne développe véritablement que la question du " rapport entre Eglise et État moderne " et de la liberté religieuse. Pour lui, la liberté condamnée par les papes du XIXe siècle était la liberté vue comme " l'incapacité de l'homme à trouver la vérité " tandis que la liberté promue par Vatican II est une liberté de conviction, à savoir que les autres religions ne doivent pas être interdites et que la religion catholique ne doit pas être une religion d'État afin que l'homme puisse découvrir la vérité par pure conviction sans être influencé par quelque pression que ce soit. Il n'y a donc pas de contradiction entre l'avant-concile et le Concile.
L'EVOLUTION ET NON UNE SIMPLE ADAPTATION DE LA DOCTRINE
Là, évidemment, nous ne pouvons qu'être surpris en songeant que le pape veut nous persuader que ce que le pape Grégoire XVI a appelé un " délire " (la liberté religieuse dans " Mirari Vos "), est dans la droite ligne de la Tradition. Il est intéressant de constater, quoi qu'en dise le Saint-Père, cette évolution de principes, qui est rappelons-le, l'une des caractéristiques principales du progressisme et du modernisme. Ce ne sont pas de simples aspects accidentels qui ont changé avec le Concile, mais bien des vérités essentielles, intemporelles qui ont été abandonnées. Et la suite nous en donne une nouvelle preuve.
DES PAROLES INDIGNES D'UN PAPE
Pour prouver ses propos, le Saint-Père donne un exemple, celui des martyrs. Pour lui, les martyrs sont morts pour affirmer la liberté religieuse! : " l'Eglise antique... tandis qu'elle priait pour les empereurs, a en revanche toujours refusé de les adorer, et à travers cela a rejeté clairement la religion d'État. les martyrs de l'Eglise primitive sont morts... également pour leur liberté de conscience et pour leur liberté de professer leur foi, une profession qui ne peut être imposée par aucun État. "!!! comment ne pas être indignés devant de telles paroles sorties de la bouche du successeur de saint Pierre? comment ne pas penser aux paroles fortes de Mgr Lefebvre: " ils L'ont découronné, ils ne veulent plus de la royauté sociale du Christ. "? De plus, si on suit le raisonnement du pape, on voit mal l'Eglise primitive des martyrs, ayant subi des persécutions pendant trois siècles par refus d'une religion d'Etat, s'acclimater si facilement de l'édit de Milan (313) qui préparait l'union du trône et de l'autel, précisément la religion d'État! De même, si l'on suivait les paroles du Saint-Père, on ne comprendrait plus la canonisation de tant de saints rois ayant appliqué cette notion de religion d'État, les saints Louis, Edouard, Wenceslas, Canut, Henri, etc. " Appeler au secours de la liberté religieuse, c'est-à-dire au secours du refus de reconnaître la royauté sociale de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, les martyrs chrétiens qui sont morts précisément pour le " Seigneur Jésus ", c'est dénaturer toute l'histoire, toute la doctrine catholique et toute la réalité. On ne peut, sur un fondement aussi faux, construire une " herméneutique de la réforme " de quelque valeur que ce soit. (3) " Il est donc clair que malgré ses paroles et ses bonnes intentions louables, le souverain pontife non seulement ne nous convainc pas tant du Concile que du Magistère actuel dans la Tradition multiséculaire de l'Eglise, mais il nous persuade du contraire.
NOTES
1. Sermon programme du lendemain de son élection.
2. Le cardinal Ratzinger donnait déjà en 1986 les éléments de ce qu'il expose ici; il parlait alors " d'une véritable crise qui doit être soignée et guérie ", il dénonçait " un prétendu esprit du concile [progressiste) qui est un nanti-esprit" ", voyait dans le concile l'expression la plus pure de la Tradition : " défendre aujourd'hui la vraie Tradition de l'Eglise signifie défendre le concile" concile qui est, disait-il déjà à l'époque " une révision des rapports entre l'Eglise et le monde. Car il y a des valeurs qui, si même elles sont nées hors de l'Eglise, peuvent une fois examinées et amendées, trouver leur place dans sa vision. " cf. pour les références, l'article " Ratzinger converti? " de Fideliter no 51 de 1986, pp.34-46
3. Communiqué du District de France du 21/02/0S, (disponible sur laportelatine.com)