SOURCE - Daniel Hamiche - Monde et Vie - 18 février 2011
Promulgué le 7 juillet 2007, le motu proprio de Benoît XVI, Summorum Pontificum, est un acte législatif de portée universelle : il s’applique à toutes les Églises particulières de rit romain. Le pape y explique que l’unique rit romain se compose de deux formes : la forme « ordinaire » et la forme « extraordinaire ». La forme « ordinaire » doit être célébrée selon l’édition typique de 2002, et la forme « extraordinaire » selon l’édition typique de 1962, publiée par le Bienheureux Jean XXIII. Voilà ce que l’Église autorise pour la célébration du rit romain.
On ne reviendra pas ici, sur les innombrables difficultés d’applications concrètes de Summorum Pontificum. Le Motu proprio faisant passer l’usage de la forme « extraordinaire » de la concession particulière (c’est le sens du motu proprio Ecclesia Dei Adflicta de 1988) au droit universel, il était inévitable que surgissent des problèmes d’interprétation tant de la part des épiscopats que des « demandeurs ». Les dossiers s’accumulant sur les bureaux de la Commission pontificale Ecclesia Dei, l’Autorité se devait d’y répondre. Quelques mois après l’entrée en vigueur de Summorum Pontificum (14 septembre 2007), la rumeur commença à circuler de la publication d’une instruction romaine sur son application, rumeur récurrente, mois après mois, se dégonflant après avoir enflé… Puisque le Souverain Pontife avait demandé à toutes les conférences épiscopales de lui faire parvenir un bilan de l’application au bout de trois ans (soit entre juillet et septembre 2010), l’instruction romaine pouvait difficilement être promulguée avant l’analyse et la synthèse des bilans des épiscopats - ce qui n’empêcha sans doute pas d’en commencer des brouillons de rédaction.
Retour à l’économie d’Ecclesia Dei Adflicta ?
En janvier de cette année, une nouvelle rumeur, plus crédible cette fois, laissait entendre que l’instruction était rédigée pour l’essentiel. La date du 22 février était même avancée pour sa publication. L’instruction ne sera pas publiée à cette date, mais très vraisemblablement en mars. Qu’après une si longue attente, un document normatif sorte enfin précisant bien des aspects controversés ou simplement incertains sur l’application de Summorum Pontificum voilà qui aurait dû provoquer dans nos rangs un vrai soulagement.
Le soulagement attendu pourrait cependant laisser place à la surprise (mauvaise), voire à la stupéfaction.
Il semblerait, en effet, selon plusieurs sources romaines, que l’instruction qu’on proposera au pape de signer comporte des changements de dernière minute qui amoindrissent l’esprit du texte et permettent d’interpréter Summorum Pontificum non plus comme une loi universelle rendant à l’Église tout entière la richesse liturgique de la forme « extraordinaire », mais comme un simple “privilège” destiné à satisfaire les traditionalistes – prêtres et laïcs –, et eux seuls. C’en serait donc fini des rares mais prometteuses initiatives d’application paisible de la forme « extraordinaire » dans le cadre des paroisses où jusque-là ne se célébrait que la forme « ordinaire ». En gros, ce serait une régression et un retour à l’économie d’Ecclesia Dei Adflicta (1988), et, on ose à peine le dire, un camouflet pour Benoît XVI. On murmure à Rome, que l’auteur de cette ultime, et semble-til réussie, manoeuvre – inspirée sans doute par de nombreuses exigences d’évêques – serait un des hommes-clef de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Monseigneur Charles J. Scicluna, Promoteur de la justice dans ce dicastère, et fort respecté dans la hiérarchie vaticane pour son attitude ferme dans le traitement des dossiers de clercs coupables d’abus sexuels.
Nous ne devrions pas tarder à savoir si cette énième rumeur est vraie – pour ma part, et sur la foi de mes informateurs, je la tiens pour probable sauf, évidemment, revirement du Souverain Pontife in extremis…
D’autres informations en provenance de Rome, comme cette cinglante attaque dans L’Osservatore Romano du 2 février contre la Commission Ecclesia Dei, et son appel à vérifier l’orthodoxie des prêtres « traditionalistes », donne du crédit à cette rumeur et à mon enthousiasme réservé…
Daniel Hamiche
Cet article était rédigé lorsque la nouvelle d’un démenti du vaticaniste Paolo Rodari se mit à courir la toile. Daniel Hamiche, consulté, maintient sa version des faits. Dont acte !