Le Seignadou - mars 2015
Nos sœurs et nos enfants ont encore les yeux pleins de lumière, le cœur plein de joie, l’âme toute pleine des grâces reçues à Rome, et l’esprit encore tout embaumé du « parfum de Rome ». Quel bonheur !
Nos sœurs et nos enfants ont encore les yeux pleins de lumière, le cœur plein de joie, l’âme toute pleine des grâces reçues à Rome, et l’esprit encore tout embaumé du « parfum de Rome ». Quel bonheur !
Nous avons tous suivi de prés ou de loin le si beau pèlerinage de nos
sœurs et de leurs élèves à Rome. Les plus heureux ont pu y participer, et ce
fut une magnifique démarche de foi, dans laquelle se conjuguaient la
reconnaissance pour ces quarante années de grâces et la fière et tranquille affirmation
publique de notre fidélité à la Rome éternelle, celle des papes mais surtout
celle des martyrs.
C’est la deuxième fois en quinze années que les « exclus »
se rassemblent en nombre auprès de la tombe de St Pierre, pour affirmer leur romanité
et leur fidélité à l’Eglise. En 2.000, ce fut la Fraternité St Pie X, et cette
année la Congrégation des Dominicaines du Saint Nom de Jésus, avec ses
religieuses, ses familles et amis, et surtout ses enfants, petites et grandes. Pour
toutes, cela demeurera un grand moment de ferveur théologale, et il faut
espérer que toutes en garderont une forte et durable empreinte.
Ce pèlerinage n’est pas passé inaperçu, et les hôtes du Vatican n’ont
pas manqué d’ouvrir tout grand les yeux devant cette cohorte de religieuses et
d’enfants, enthousiastes, ferventes et recueillies. Certes, mais je ne veux pas
m’attarder là-dessus, nous aurions aimé chanter la messe, au moins une fois,
dans une des basiliques romaines! Pour la joie de tous et toutes, et pour le
bien et l’édification des enfants, pour imprimer dans leur cœur par la messe un
amour vivant pour Rome et l’Eglise, c’eût été une grâce insigne.
Mais laissons cela, et demeurons dans l’action de grâces, cela est
plus édifiant, pour entretenir en nous l’amour de Rome. Quella roma, onde Cristo
è romano. Nous connaissons peut-être ce beau vers de Dante: « Cette Rome dont
le Christ est romain ». Sans qu’il en ait eu l’intention, le poète a dit là une
profonde vérité.
Le philosophe Etienne Gilson faisait de belles considérations sur la pensée
de Dante à ce sujet : « Nous sommes ici au cœur de la pensée
politique de Dante sous sa forme la plus universelle et la plus philosophique
[…] Dante s'employait à démontrer une vérité qu'il tenait avec raison pour
originale et neuve, qui l'est d'ailleurs encore aujourd'hui dans son essence,
sinon dans le détail de sa réalisation: un monde un, uni sous l'autorité d'un
Empereur libre, et une Église mondiale une, unie sous un Pape également unique
et libre, ce Pape et cet Empereur ne relevant l'un et l'autre que de Dieu.
L'empire donc, mais quel empire? Aux yeux de Dante, la question ne se posait
pas, car sa Monarchie en retrace l'histoire pour en établir les titres. Cet
empire existe déjà en germe, c'est celui de Rome. […] La vocation propre à Rome
entre les peuples n'est-elle pas justement l'Empire? D'autres auront l'art,
d'autres la science, d'autres encore l'éloquence, « mais toi, Romain, souviens
toi d'imposer aux peuples ton empire; ton art, à toi, sera de faire régner la
paix entre les nations, en épargnant les vaincus et abattant les superbes »
(Enéide VI, 851-853). Dans la perspective chrétienne élargie du poète, la
fonction providentielle de Rome dans l'unification politique du globe devient
celle qu'elle exerce du même coup dans le grand œuvre de la rédemption
universelle. Ce n'est pas sans raison que Jésus-Christ a voulu naître dans
l'Empire romain, au temps où la paix politique régnait entre les peuples.
L'Empire romain, Virgile et l'Enéide sont trois moments inséparables de la
genèse du Poème Sacré. » (Etienne Gilson. Dante et Béatrice)
Dom Guéranger a chanté avec
admiration la romanité de l’Eglise et Louis Veuillot, argumentant à partir de
la donation de Constantin, s’exclamait fièrement : « Rome est au Pape ».
Cela est vrai mais, ainsi que l’écrivait si sagement le P. Calmel : « L’Église
n’est pas le corps mystique du pape ; l’Église avec le pape est le corps
mystique du Christ », et l’Eglise ne lui a pas été donnée, mais confiée :
dans l’Eglise, le pape demeure toujours le serviteur, et non le maître. C’est Rome
qui prêche l’immuable vérité à laquelle le pape doit fidèlement prêter sa voix.
« Si le pape est le vicaire visible de Jésus qui est remonté dans les
cieux invisibles, il n’est pas plus que le vicaire : vices gerens, il
tient lieu mais il demeure autre. Ce n’est point du pape que dérive la grâce
qui fait vivre le corps mystique. »
Le Christ est devenu romain lorsque l’Eglise est devenue romaine,
lorsque Rome a été baptisée par le sang des martyrs, pour devenir chrétienne,
et la patrie de tous les chrétiens. Ce sont les martyrs qui ont pris possession
de Rome, pour la donner à Jésus-Christ, bien avant que
Constantin en fasse don au Pape. Oui, Rome est au pape, mais Rome est d’abord à
Jésus-Christ.
L’Eglise, qui est le Corps mystique du Christ est Romaine. Et St Pie X
avait sagement ajouté ces précisions aux quatre notes traditionnelles de
l’Eglise, en janvier 1907 : L'Église est appelée une, sainte, catholique,
apostolique, romaine et, j'ajouterai, persécutée. Jésus-Christ ne l'a-t-Il pas
dit ? La persécution est le pain quotidien de l'Église catholique. C'est un des
caractères de l'Église d'être toujours persécutée. La persécution est le signe
que nous sommes vraiment les enfants de l'Église de Jésus-Christ. »
Et Mgr Lefebvre voulait que se prêtres soient « romains ».
Dans les débuts de la Fraternité, il envoyait les jeunes prêtres passer six
mois à Rome pour « acquérir l’esprit et le sens de l’Eglise catholique et
Romaine, et approfondir le mystère de leur sainte Messe… Qu’ils quittent Rome
avec un attachement indéfectible à Pierre et à ses successeurs, dans la mesure
où ils sont vraiment ses successeurs et se comportent comme tels » (lettre
du 15 septembre 1977). Le dernier chapitre de son Itinéraire spirituel est
encore un hommage à la romanité de l’Eglise : « Dieu, qui conduit
toutes choses, a dans sa sagesse infinie préparé Rome à devenir le siège de
Pierre et le centre du rayonnement de l'Evangile. […] La "Romanité"
n'est pas un vain mot. […] Aimons scruter comme les voies de la Providence et
de la Sagesse divine passent par Rome et nous conclurons qu'on ne peut être
catholique sans être romain. […] Dieu a voulu que le Christianisme, coulé en
quelque sorte dans le moule romain, en reçoive une vigueur et une expansion
exceptionnelles. »
C’est parce qu’il était citoyen romain que St Paul, en ayant appelé à
César, est venu mourir à Rome, mais c’est Jésus-Christ lui-même qui a voulu que
St Pierre soit crucifié à Rome. Et le Christ est devenu romain lorsque Pierre
et Paul ont baptisé de leur sang la terre de Rome. C’est pourquoi nous aimons
Rome comme nous aimons l’Eglise et Jésus-Christ, et nous sommes romains de
toute notre âme parce que c’est là que St Pierre et St Paul ont planté les
racines de la Sainte Eglise, dont la
tête est Jésus-Christ, l’âme le Saint-Esprit, le cœur la Vierge Marie,
et nous tous les membres pécheurs.
C’est Rome qui conserve pour nous la foi et la vérité pour laquelle
sont morts les martyrs. C’est Rome qui chante la gloire de Jésus-Christ. Et
l’Eglise Romaine est belle et sainte, malgré les pécheurs que nous sommes,
parce qu’elle nous révèle encore aujourd’hui le doux visage de Jésus-Christ,
roi des âmes, des familles et des peuples.
« O Roma Felix…
Rome bienheureuse, qui as été consacrée
par le sang glorieux de ces deux princes !
empourprée de leur sang, à toi seule
tu surpasses toutes les autres beautés du monde. »
(Hymne des vêpres du 29 juin)