SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°495 - 10 juin 2015
À New York, plus de 350 laïcs et ecclésiastiques nord-américains se sont interrogés sur la « réforme de la réforme » et ont réaffirmé le rôle essentiel de la forme extraordinaire du rite romain pour le renouveau liturgique des paroisses.
À New York, plus de 350 laïcs et ecclésiastiques nord-américains se sont interrogés sur la « réforme de la réforme » et ont réaffirmé le rôle essentiel de la forme extraordinaire du rite romain pour le renouveau liturgique des paroisses.
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Comme annoncé dans notre lettre 493, grâce à la générosité de nos bienfaiteurs, un rédacteur de Paix liturgique a pu assister à la conférence Sacra Liturgia 2015, organisée à New-York du 1er au 4 juin. Voulue par Mgr Rey, supervisée par Dom Alcuin Reid, du diocèse de Fréjus-Toulon, et co-organisée par l’abbé Richard Cipolla, curé d’une paroisse du Connecticut, et Jennifer Donelson, professeur de musique sacrée au séminaire de New York, Brooklyn et Rockville Centre (Long Island), celle-ci a rassemblé durant 4 jours plus de 350 participants, dont de nombreux jeunes – laïcs (femmes et hommes), séminaristes ou prêtres. Chaque soir, à l’issue des exposés, souvent pointus mais toujours très clairs, une célébration suivant l’une ou l’autre forme du rite romain ponctuait la journée.
Il importe de signaler, car une œuvre qui s’installe acquiert tout son poids, que c’était le troisième colloque de ce type, le premier s’étant déroulé du 20 au 24 juin 2011 (colloque Adoratio) à Rome, à l’Université Salésienne, le deuxième, du 25 au 28 juin 2013, à Rome, à l’Université Pontificale de la Sainte-Croix, événements ayant regroupé un nombre sensiblement identique de participants et reposant toujours sur la même organisation liturgique bi-formaliste. Le prochain est annoncé pour juillet 2016, à Londres.
Nous aurons très certainement l’occasion de revenir, au fil des semaines, sur le détail des conférences les plus marquantes, comme celle de l’abbé Thomas Kocik sur l’actualité de la réforme de la réforme, celle de l’abbé Christopher Smith sur le rôle de la formation liturgique dans l’identité catholique ou celle de l’abbé Cipolla – curé marié et père de famille (car ancien pasteur anglican converti au catholicisme ) – sur la liturgie comme source de l’identité sacerdotale. Lorsque sortiront les actes de la conférence, les plus férus de liturgie pourront en outre lire avec intérêt la série de commentaires fouillés portant sur les réformes de la Semaine Sainte, du lectionnaire, du calendrier liturgique et des collectes.
I – TROIS TEMPS FORTS SYMBOLIQUES
À chaud, nous pouvons dire que nous avons été marqué tout particulièrement par :
- le témoignage percutant du fondateur de Juventutem Boston, Matthew Menendez, responsable de l’implantation réussie de la messe traditionnelle sur le campus de Harvard ;
- la messe solennelle selon le missel de 1962, célébrée par l’abbé Sean Connolly, tout juste ordonné prêtre pour l’archidiocèse de New York par le cardinal Dolan ;
- et le message adressé par le cardinal Sarah, Préfet du Culte divin, aux participants.
a) Le message du cardinal Sarah
La veille de l’annonce de sa nomination au Culte divin, le cardinal Sarah avait assisté à la présentation, à Rome, des Actes du colloque Sacra Liturgia de 2013 (voir notre lettre 467). C’est donc tout d’abord un salut amical qu’il a adressé aux participants de Sacra Liturgia 2015, à son initiateur, Mgr Rey (retenu en France), et au cardinal Burke qui prononçait la conférence inaugurale des travaux. Mais la longueur de sa lettre – 3 pages – indique que, plus qu’un salut, c’est un message que le cardinal Sarah a souhaité communiquer aux prêtres et laïcs rassemblés à New York :
> en soulignant, tout d’abord, l’importance que revêt de nos jours « l’apostolat au service de la promotion de la sainte liturgie » et en invitant chacun « à tout faire pour remettre la sainte liturgie au cœur de la relation entre Dieu et l’homme » ;
> en demandant aux participants de le seconder dans la poursuite du renouveau liturgique permis par Benoît XVI afin de pouvoir, comme le père de famille de l’évangile selon saint Matthieu, tirer du trésor de la tradition liturgique de l’Église aussi bien des choses nouvelles que des choses anciennes, nova et vetera ;
> enfin, en leur suggérant deux pistes de travail : premièrement, de garder très précisément à l’esprit que la sainte liturgie – à la fois culte de Dieu Tout-Puissant qui nous est donné par la tradition et lieu de la rencontre entre l’humanité et Dieu vivant et à l’œuvre dans Son Église – doit être célébrée avec fidélité, révérence et crainte de Dieu ; ensuite, de se consacrer attentivement à la promotion d’une saine formation à la liturgie, renouvelant l’appel lancé par le pape François, le 18 février 2014, « en vue d’une initiation et d’une formation liturgique solides et structurées, tant des fidèles laïcs que du clergé et des personnes consacrées » car « il reste encore beaucoup à faire, pour une assimilation correcte et complète de la constitution sur la Liturgie de la part des baptisés et des communautés ecclésiales ».
Un passage de la lettre du cardinal Sarah a déjà fait le tour du monde, Internet aidant, qui n’est au reste que la confirmation, officielle, de ce que nous écrivions le 3 décembre 2014, à savoir que le choix du cardinal Sarah par le pape François était celui « de la paix, de la continuité et de la compétence ». En effet, le jour où le pape François a demandé au cardinal Sarah de devenir Préfet du Culte divin et de la Discipline des sacrements, celui-ci lui a demandé de lui préciser ce qu’il attendait de lui, et le pape a répondu : « Je veux que vous continuiez à mettre en œuvre la réforme liturgique du concile Vatican II et que vous poursuiviez le bon travail liturgique commencé sous Benoît XVI ».
b) La messe de l’abbé Connolly
L’abbé Sean Connolly, jeune prêtre du diocèse de New York, d’origine irlandaise comme l’indique son patronyme, a été ordonné le 23 mai 2015 en compagnie de neuf autres séminaristes diocésains et de deux Franciscains du Renouveau (les Franciscains du Bronx) par le cardinal-archevêque de New York, en la cathédrale Saint-Patrick. Nous avons fait sa connaissance lors de la pause-café du 2 juin et appris qu’il allait célébrer le même soir la première messe de la conférence, une messe solennelle selon la forme extraordinaire du rite romain. Cette confiance donnée à un prêtre tout récemment ordonné dans une telle conférence reflète l’état d’esprit qui prévalait lors de ces journées de Sacra Liturgia à New York : place aux jeunes et aux sans-grades, pourvu qu’ils manifestent authentiquement et pleinement leur amour de la sainte liturgie !
Et l’abbé Connolly qui, en dix jours, avait déjà à plusieurs reprises tenu à célébrer la messe traditionnelle, a célébré avec une grande solennité et un profond recueillement. À New York, dans un diocèse dont le titulaire – le cardinal Dolan – n’a pas de penchant particulier pour la forme extraordinaire (il était même question jusqu’à peu de fermer la seule paroisse Summorum Pontificum de Manhattan), un jeune prêtre désireux de vivre sa vie sacerdotale in utroque usu (selon l’une comme l’autre forme du rite romain) peut donc le manifester sans risquer de se retrouver rejeté du séminaire comme cela arrive dans certains archidiocèses des capitales européennes...
Cette absence de préjugés idéologiques d’un autre temps était d’ailleurs confirmée par le nombre significatif de séminaristes diocésains ayant participé aux travaux de Sacra Liturgia 2015 : près d’une soixantaine !
c) Le témoignage du fondateur de Juventutem à Harvard
Matthew Menendez, fondateur de Juventutem Boston intervenait immédiatement après l’archevêque de San Francisco, Mgr Salvatore Cordileone, très attendu et très applaudi car il est aujourd’hui le symbole de la résistance du catholicisme américain face à la sécularisation et à l’offensive LGBT. Et Mgr Cordileone de conclure que, plus que de mots, « c’est de témoins que nous avons besoin ».
Du coup, Matthew Menendez s’est révélé un témoin convaincu et convaincant. Parlant sur « Les jeunes et la liturgie », Matthew Menendez, 24 ans, a pour ainsi dire tout emporté sur son passage. À travers le récit, plein d’humour, de sa lutte pour obtenir la célébration de la forme extraordinaire du rite romain à Harvard, il a posé la question des raisons pour lesquelles tant d’Américains abandonnent la pratique dominicale quand ce n’est pas carrément la foi catholique au sortir de l’adolescence (1). Selon lui, l’explication tient essentiellement au fait que le rapport des jeunes américains avec la foi se réduit à la messe : « Les jeunes américains sont comme les évêques allemands : leur seule heure de catholicisme, c’est la messe dominicale ! » a-t-il osé, déclenchant l’hilarité de la salle.
De ce fait, la qualité des célébrations du dimanche revêt une importance fondamentale pour le maintien et la fortification dans la foi des jeunes. Or, selon Matthew Menendez, la réforme liturgique a eu trois effets particulièrement néfastes pour l’appréciation et la compréhension de la messe par les jeunes, en particulier les jeunes garçons : le sentimentalisme l’infantilisation et la féminisation. Et, faute de vraie compréhension de l’eucharistie, les jeunes ne voient plus dans la messe qu’un spectacle qui, l’âge adulte approchant, finit par ne plus rivaliser avec ceux que le monde profane leur offre.
La solution existe toutefois car « un prêtre peut faire toute la différence ! » Pour Matthew Menendez, ce prêtre a été celui qui l’a formé à comprendre et aimer la liturgie : « L’histoire de ma foi, a-t-il superbement résumé, c’est celle de la croissance de ma compréhension de l’eucharistie grâce au fait d’avoir été enfant de chœur. » Puis, celle de la découverte de la messe traditionnelle. Témoignage d’un parcours qui rejoint celui de nombreux jeunes dans le monde, lesquels ont été, on peut dire sauvés par la messe traditionnelle.
Tous les propos de ce jeune homme aux idées claires mériteraient d’être rapportés, notamment ceux concernant ses contacts houleux avec les autorités diocésaines – « si la forme extraordinaire fait désormais partie du paysage de Harvard c’est parce que nous avons dû tout organiser sans, voire contre, la hiérarchie ecclésiastique », – ou encore la narration de sa bataille victorieuse contre un projet de messe satanique sur le campus de l’université. Mais, au-delà du récit de ce petit miracle qu’est l’installation de la liturgie traditionnelle au cœur de la fabrique des élites, souvent libérales (au sens américain : entendez « gauchistes »), des États-Unis, Matthew Menendez a surtout voulu faire passer un message aux générations qui ont précédé la sienne et notamment à celles qui, depuis les années 60, ont façonné et imposé une culture « jeunes » privée de toute transcendance et tendant donc à inhiber le sens et le goût du sacré chez les jeunes alors que leur désir de transcendance ne demande en fait qu’à être réveillé et satisfait.
Il n’a pas caché non plus le fossé qui sépare les nouvelles générations Summorum Pontificum des « vieilles » générations traditionalistes. Là où les plus anciens lui semblent souvent marqués, à juste titre souligne-t-il, par le traumatisme des années pendant lesquelles la messe traditionnelle était tout juste concédée si ce n’est interdite et peuvent être tentés de la garder pour eux – y compris inconsciemment en n’acceptant pas, par exemple, qu’elle puisse être célébrée sur un autel ou avec des ornements modernes ou par un prêtre la découvrant tout juste et ne maîtrisant pas encore parfaitement toutes les rubriques –, il observe que sa génération, qui a grandi avec le motu proprio de Benoît XVI, voit la forme extraordinaire non seulement comme un état de fait et une incroyable possibilité qui lui est offerte de vivre pleinement et plus parfaitement sa foi catholique mais aussi comme un trésor qu’elle a le devoir de partager. Il reste que, comme les anciens, il doit sérieusement batailler. Résumé en une formule choc que l’auditorium entier a applaudi à tout rompre – les cheveux gris comme les cheveux blonds aurait dit Michel Sardou –, cela donne : « vous avez eu le traumatisme, nous avons Internet ! »
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Mariage homo, théorie du genre, offensive du gouvernement Obama contre l’éducation catholique, concurrence religieuse, etc. : face aux menaces et aux défis auxquels est confrontée l’Église catholique aux États-Unis, les participants à Sacra Liturgia 2015 partagent la conviction que le noyau de toute reconquête catholique est spirituel et liturgique : indispensable est donc la redécouverte de l’esprit de la liturgie. En glosant sur le titre du cardinal Daniélou, L'Oraison, problème politique, on pourrait dire : la liturgie, au cœur du politique.
2) Redécouvrir l’esprit de la liturgie, cela signifie, selon les laïcs et le clergé présents à New York, s’appuyer sur le roc de la forme extraordinaire du rite romain pour, littéralement, réorienter la forme ordinaire (la tourner vers l’Orient d’où doit surgir le Seigneur dont nous attendons et préparons le retour). Si la devise de Sacra Liturgia est culmen et fons vitæ et missionis Ecclesiæ [la liturgie sommet et source de la vie et de la mission de l’Église], on pourrait ajouter pour Sacra Liturgia USA : in utroque usu, dans l’une comme l’autre forme du rite romain, surtout si celles-ci coexistent au sein des mêmes communautés, des mêmes paroisses, des mêmes lieux de culte. Guère d’esprit de chapelle, et encore moins de ghetto donc, chez ces catholiques américains désireux de poursuivre l’expansion de la forme traditionnelle et la réforme de la réforme qui l’accompagne et la soutient, tout cela dans la suite de l’élan qu’avait ou qu'aurait voulu donner Benoît XVI à une renaissance liturgique.
3) Enfin, comment ne pas souligner la part prépondérante de la jeunesse et du clergé diocésain dans le succès de cette conférence ? Loin de n’être qu’une mode passagère, l’attrait des jeunes pour une liturgie plus digne et solennelle ne se dément pas, comme Benoît XVI l’avait parfaitement constaté dans sa lettre aux évêques accompagnant Summorum Pontificum : « On pouvait supposer que la demande de l’usage du Missel de 1962 aurait été limitée à la génération plus âgée, celle qui avait grandi avec lui, mais entre-temps il est apparu clairement que des personnes jeunes découvraient également cette forme liturgique, se sentaient attirées par elle et y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère de la Très Sainte Eucharistie qui leur convenait particulièrement ».
4) En France, chez certains fidèles mais aussi chez de jeunes ecclésiastiques on entend dire que « la messe n’est plus la question », que la priorité est ailleurs : pour certains c’est la pastorale, pour d’autres la vie religieuse, pour d’autres encore l’engagement des chrétiens en politique, etc. La réponse qui vient de New York, mais aussi de Singapour, du Gabon ou du Chili (2), c’est que la messe est toujours au cœur de LA question, et donc de LA réponse. Sans faire de surnaturalisme, car la foi et les sacrements sans les œuvres sont stériles, la messe demeure en effet LA RÉPONSE LA PLUS EFFICACE ET LA PLUS UNIVERSELLE que les catholiques peuvent apporter à la crise du monde moderne, dans la mesure où elle résume parfaitement l’idéal de chrétienté que l'Église poursuit.
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(1) L’institut Pew Research s’est penché en 2008 sur les ex-catholiques américains, concluant qu’un Nord-Américain sur 10 est un ancien catholique, ce qu'Emmanuel Todd appellerait un « catholique zombie ».
(2) Pour la première fois, un colloque Summorum Pontificum se tiendra au Chili le mois prochain, du 21 au 23 juillet. Le cardinal Medina Estévez, ancien Préfet du Culte divin, en prononcera l’allocution inaugurale.