SOURCE - Abbaye du Barroux - Placidus - Les Amis du Monastère (bulletin) - juin 2015
La dernière lettre de Placidus à son cousin
La dernière lettre de Placidus à son cousin
Quand tu recevras cette lettre, mon cousin, je ne serai plus de ce monde. L’homme est une herbe et tout son éclat est comme la fleur des champs ; l’herbe sèche, la fleur se flétrit. Mais la parole de notre Dieu se réalise à jamais (Is. 40, 6-8).
« Ne pleure pas si tu m’aimes » : sitôt purifié de mes péchés par le feu du purgatoire, je verrai l’essence divine face à face sans la médiation d’aucune créature. « Ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment » (I Cor. 2, 9). Impossible de te rien dire qui puisse seulement te donner une idée d’un tel bonheur, participation à la joie même de Dieu : « Bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton maître ! »
« La vie monastique, aimait à répéter Dom Gérard, est une vie éternelle commencée. » Et le Père Adalbert de Vogüé, pour attiser en lui la flamme de l’attente, passait chaque dimanche une heure à se répéter : « Vie éternelle, Vie éternelle... » Le monastère ouvre sur le ciel : tu passes cette porte et deux grands bras paternels t’attendent. « Je ne meurs pas, j’entre dans la Vie », disait simplement la petite Thérèse. Comme elle avait raison !
Il y a, bien sûr, le redoutable jugement de Dieu. Il y a le purgatoire : heureuse souffrance où nous expérimentons la domination de l’amour de Dieu sur le mal demeuré en nous au moment de la mort. Justice et miséricorde s’embrassent en cette bienheureuse expiation. Notre juge est un Dieu mort sur la croix pour nous sauver. Il y est donc tout ensemble juge et avocat.
À l’heure où tu lis ces lignes, mon cousin, j’ai franchi la porte mystérieuse... du purgatoire s’il me faut encore expier mes fautes, ou... du ciel, si Dieu m’a fait miséricorde. Je demeure tout proche de toi, vivant comme toi de la vie du Dieu Trinité.
Une même charité nous unit par-delà le voile : la terre, le purgatoire et le ciel communiquent...
Je t’attends... Accepte dès maintenant toutes les angoisses et les souffrances dont la mort pourra s’envelopper pour toi. Elles préparent ton âme à la rencontre ineffable. Mais, pour l’amour de Dieu, regarde au-delà : vision lointaine, vision lointaine, comme dans la conduite automobile ! Quand nous levons les yeux vers le ciel, tout ce qui nous en sépare est remis à sa juste place.
Laisse sourdre en toi « l’eau vive » dont parlait si bellement saint Ignace d’Antioche, celle qui murmure au-dedans : « Viens vers le Père ! » Il ajoutait : « C’est le Christ que je cherche, qui est mort pour nous ; lui que je veux, qui est ressuscité pour nous. » Songe combien il fera bon habiter avec notre Père du ciel, avec Jésus et la Vierge Marie, saint Joseph et tous les saints.
Nous ne retrouverons notre corps, il est vrai, qu’au dernier jour : un corps ressuscité ! Mais dès l’entrée au ciel, notre joie est déjà parfaite. Rejoins-moi, ami très cher...
Et pour t’y préparer, redis, chaque jour, ta confiance à l’Esprit Saint :
« Guidez-moi, douce lumière, dans les ténèbres qui m’enveloppent. Guidez-moi en avant ! Obscure est la nuit et je suis loin de la maison : guidez-moi...
Par landes et par marécages, par torrents et ruisseaux, jusqu’à ce que la nuit s’achève, et qu’à l’aube me sourient ces visages d’anges, que j’ai longtemps aimés. » (Bx John-Henry Newman)
Sans attendre ce jour béni, je t’embrasse.
Ton cousin Placidus.
Avec ce numéro s’achève la fiction littéraire des lettres à Placidus. Vous avez été nombreux à nous faire part de votre enthousiasme à propos de cette rubrique. Vous découvrirez dans notre prochaine lettre une histoire du monachisme, qui s’étalera sur plusieurs numéros.