SOURCE - Amélie Quentel - Libération - 3 aout 2016
Occupée depuis octobre par des catholiques intégristes qui s’opposent à sa destruction au profit de logements sociaux, l’église du XVe arrondissement parisien a été évacuée de façon musclée par la police mercredi matin, alors que les fidèles s’y étaient réunis à l’aube pour célébrer la messe.
Occupée depuis octobre par des catholiques intégristes qui s’opposent à sa destruction au profit de logements sociaux, l’église du XVe arrondissement parisien a été évacuée de façon musclée par la police mercredi matin, alors que les fidèles s’y étaient réunis à l’aube pour célébrer la messe.
Vêtu d’une longue toge noire, l’homme se veut très solennel. «Je me suis mis devant, les bras en croix, pour protéger l’autel.» Près de deux heures après l’évacuation de l’église Sainte-Rita par la préfecture, dans le XVe arrondissement de Paris, l’abbé Jean-François Billot ne regrette rien. Comme une trentaine d’autres personnes, il est venu, dans la nuit de mardi à mercredi, «protéger» ce lieu de culte, en organisant une messe à 6 heures.
Depuis octobre, cette paroisse est squattée par des groupuscules intégristes - majoritairement d’obédience d’extrême droite - qui refusent sa destruction, prévue depuis 2011 (lire ci-contre). Une occupation qui a trop duré, pour l’association des Chapelles catholiques et apostoliques, propriétaire de cet édifice situé rue François-Bonvin. D’où son recours à l’expulsion, afin de pouvoir commencer les travaux - des logements sociaux et un parking. Une procédure tout à fait légale : le tribunal de grande instance de Paris a donné, le 6 janvier, «l’autorisation judiciaire»de «procéder à l’expulsion». Et le Conseil d’Etat, lui, a enjoint, le 5 juillet, «le préfet de police de délivrer le concours de la force publique».
Incontournable Frigide Barjot
Informés de l’évacuation la veille, une dizaine d’élus du XVe, réfractaires au projet, se sont postés devant l’édifice en signe de protestation. Plusieurs paroissiens, «venus en toute indépendance», mais aussi des militants, notamment de l’Action française, se sont, eux, barricadés à l’intérieur, certains passant la nuit sur place. Ils ont été délogés par les CRS en pleine messe, vers 7 heures. Images chocs garanties sur les réseaux sociaux : l’abbé Jean-François Billot, refusant de sortir, se fait traîner au sol par un policier.
Sur place, aussi, l’incontournable Frigide Barjot. La figure de la Manif pour tous, qui se présente désormais sous son vrai nom - «Vous le connaissez ? Virginie Tellenne !» - a été prévenue via Facebook. «On s’est réunis pour la défendre symboliquement, en priant. Mais, en plus, faire ça le lendemain de l’enterrement du père Hamel, c’est très malvenu.» Et d’ajouter : «Regardez, il y a de l’espace à côté pour installer des logements», en montrant un petit terrain vague situé à côté de l’église, à présent barricadée. Postés devant, les CRS masquent en partie l’inscription écrite sur la palissade, en grosses lettres rouges : «En France, on tue les prêtres et on rase les églises.»
Dans la rue, une dame coiffée d’un voile bleu de religieuse s’indigne :«Comment est-il possible de faire ça ?» A côté d’elle, à même le sol, des fidèles déposent les objets présents dans l’église. L’un d’eux, venu la veille de Seine-Saint-Denis pour «protéger Sainte-Rita», assure que la police «a autorisé la récupération des ornements». Alors «tout ce qu’on peut récupérer, on le prend», affirme un femme déterminée. Encensoir, statue de sainte Rita, livres liturgiques, tableau à l’effigie de la Vierge… les fidèles vident le bâtiment. Mais aussi les sacs de couchage et les habits laissés jusqu’alors dans l’église. Car au-delà des occupants arrivés la veille, une dizaine de personnes résident dans la paroisse. Dont Pierre Zoubir. Le jeune homme, accompagné de sa femme enceinte, indique«habite[r] ici depuis début octobre, pour empêcher la destruction du bâtiment». C’est lui qui a ouvert la porte pour la messe mercredi. Visage caché sous ses longs cheveux, il assure «n’être affilié à aucun mouvement, juste à la parole de l’Eglise».
Des Jeunes hommes en treillis
Une appartenance exclusive à l’Eglise : c’est la réponse de la plupart des personnes interrogées, beaucoup refusant de donner leur prénom. Des jeunes hommes habillés en treillis militaire affirment tous, sur un ton goguenard, s’appeler «Marc Levy». Des passionnés de littérature ? Selon un homme présent devant l’édifice, ils auraient surtout «déclamé des paroles antisémites toute la nuit avant la messe». Et ne semblent pas disposés à répondre aux journalistes. A l’évocation de la présence de l’Action française dans l’église, la veille, ils se crispent : «Vous n’allez pas noter ça, tout de même ? C’est faux, personne n’y était en tant que membre revendiqué.» Le mouvement politique, via un communiqué sur Twitter, revendique pourtant sa présence sur les lieux. Affirmation confirmée par Nicolas Stoquer, président de l’association des Arches de Sainte-Rita et fondateur du mouvement souverainiste Rassemblement pour la France. Et d’évoquer également la présence de «groupuscules catholiques traditionnels, de type Civitas», qu’il considère comme des«marginaux».
Pour ce militant présent depuis le début de la mobilisation pour l’église, l’expulsion a été une surprise : «Après ce qui s’est passé près de Rouen, je ne m’y attendait pas», explique-t-il. Difficile à croire : l’homme est précisément venu la veille pour empêcher l’évacuation. Tout comme Guillaume de Tanoüarn. Ce religieux traditionnaliste, proche de l’Action française, est, depuis octobre, en charge de l’office à Sainte-Rita, malgré la fermeture de l’édifice. «On savait qu’ils allaient rentrer, on avait préparé des sacs de gravats pour leur compliquer la tâche.» Une action organisées avec les occupants réguliers de l’église, que ce grand homme dégarni et un peu bedonnant nomme, avec affection, «ses zadistes».«Des gens turbulents», préfère dire Olivier Rigaud, conseiller municipal à la mairie du XVe, venu lui aussi bloquer l’arrivée des CRS, suivant ainsi la ligne du maire, qui refuse la destruction du bâtiment. L’homme, qui se dit «choqué» par l’opération de police, annonce que la municipalité portera plainte. A ses côtés, Aymeric, un jeune homme de 19 ans qui porte un bracelet orange «Jesus, I trust in you» («Jésus, je te fais confiance») et revient des Journées mondiales de la jeunesse. Il est là pour «défendre notre culture et notre patrimoine». Plus loin, un homme, cigarette aux lèvres et statue dans les mains, remplit une voiture. Sainte-Rita, patronne des causes désespérées, s’engouffre dans une Renault grise.