SOURCE - Abbé Nicolas Pinaud - La Porte Latine - décembre 2010
Quelques semaines avant Noël, le Père Louis-Marie Buchet me fait part d’un projet de voyage qu’il est en train de mettre sur pied pour la fin de l’année à l’occasion de la visite de son frère aîné.
Long voyage de découverte de l’intérieur du Gabon, mais également voyage missionnaire, il envisage de s’arrêter dans les villages traversés et surtout à Ndambi, terme du périple. Même si le voyage du Cameroun n’a pas été de tout repos, l’aventure me tente et je m’invite. Il me semble important de connaître au plus vite la géographie du pays.
Le Père Louis-Marie résout toutes les difficultés et contretemps de l’organisation d’un tel voyage et le départ est fixé au 26 décembre à 2 H 00 du matin. Je ne dis rien, mais après la nuit de Noël déjà assez raccourcie, je trouve le départ un peu matinal. Mais qu’a-t-on sans effort ?
Messe célébrée, le 26 à 1 H 45, nous sommes prêts, la voiture arrive… un mauvais pressentiment me saisit, pas un pneu ne se ressemble, le chauffeur prévu déclare forfait et j’apprends que le véhicule n’est pas assuré ! L’expédition m’apparaît immédiatement déraisonnable, le Père Louis-Marie n’est pas difficile à convaincre malgré son désir bien compréhensible de partir. La Providence lui avait ménagé quelques heures plus tôt une autre possibilité de voiture avec chauffeur. Mais à 2 H 00 du matin, ce n’est pas vraiment l’heure de contacter quiconque ! Il faudra attendre impatiemment la lumière du petit matin… Je retourne me coucher !
A 5 H 00 du matin, les téléphones portables entrent en action… une action efficace, très efficace !
- Rendez-vous pris sur le champ pour 6h00 au PK 8 ;
- 6 H 30 rencontre avec le responsable de la voiture ;
- contrat établi en 10 mn, payé cash sur le champ, pour un départ à 13 H 00 au plus tôt ;
- retour à la Mission ;
- 9 H 00 appel du responsable : possibilité de départ immédiat vers 10 H 30 avec voiture en parfait état, chauffeur expérimenté et sympathique ;
- chargement, mais une malheureuse attente de deux heures pour le remplacement d’une ampoule de phare repousse d’autant le départ. C’est l’Afrique, dirait Jean Michonnet !
Ceux qui étaient informés de notre départ nocturne, sont évidemment surpris de nous voir encore là en début de matinée. C’est un recul pour mieux sauter ! Mais à 12 H 00, je suis toujours à la Mission, croisant quelques sourires de confrères amusés qui me disent sans me parler : « Le nouveau supérieur de la Mission va peut-être enfin comprendre ce qu’est le Gabon !... » Un peu ébranlé, il est vrai, je me rends à l’office de communauté avec grande ferveur… Seigneur ne faites pas que l’aventure s’arrête-là !
Ô miracle, la fin de l’office coïncide avec l’arrivée du véhicule, chargé, prêt à partir, ils sont tous là, ils viennent me chercher ; l’embarquement est immédiat et j’apprends que le voyage a fait l’objet d’un ordre de mission signé par un Ministre.
L’heure tardive laisse prévoir une arrivée à Ndambi vers 3 H 00 du matin. Est-ce bien raisonnable ? ce serait la troisième nuit quasiment blanche pour le Père Louis-Marie qui me paraît coriace, mais tout le monde a ses limites… je lui suggère de s’arrêter à la Lopé pour la nuit.
Aussitôt proposé aussitôt accepté, le Père sort son portable, un quart plus tard il me dit que tout est arrangé, le Directeur du parc national nous ouvre sa maison de passage et nous organise un safari pour le lendemain matin. Ça ne saurait se refuser !
Première étape sans surprise sinon la rencontre de Monsieur et Madame Eléphant en balade vespérale sur le bord de la piste quelque kilomètres avant la Lopé.
Le 27 matin, réveil tranquille après une nuit tout de même agitée ; il est difficile de se remettre aussi rapidement de tant d’émotions.
- 7 H 30, un guide nous rejoint et nous accompagne pendant 2 H 30 dans la magnifique savane de la Réserve de Lopé-Okanda, 4 700 Km2. Malheureusement les animaux ne sont pas au rendez-vous à part une famille d’éléphants, un troupeau de buffles et une antilope égarée !
- 11h30 arrêt technique au garage de la Lopé où un jeune garçon de 13 ans nous répare la roue de secours… la compétence n’attend pas toujours le nombre des années ! Pendant ce temps distribution et imposition de Médailles miraculeuses aux habitants du village qui se sont rassemblés curieux de voir des Pères en blanc. Je m’accorde avec un père de famille pour célébrer la Messe là, à notre retour.
Après une heure de piste, nous nous arrêtons dans un village de Pygmées. Nous saluons le Chef (NDLR : voir la photo en tête d'article). Il nous dit que ses ancêtres étaient catholiques, que les plus vieux le sont encore – en allant vers sa demeure, nous avions en effet rencontré une vieille maman avec un chapelet autour du cou – mais il nous avoue qu’il a réappris les pratiques païennes des pygmées parce qu’il y a plus de trente ans qu’un prêtre catholique les a visités pour la dernière fois. Maintenant ils adorent l’esprit de la forêt. Ils connaissent encore le signe de la croix mais ils ont oublié le Pater et l’Ave.
Après explication, nous lui proposons de lui imposer la Médaille miraculeuse. Le chef discute avec ses fils puis nous répond affirmativement mais à une condition : il accepte volontiers la Médaille mais seulement si cette médaille est catholique ! Pas de soucis chef !
Tout le monde reçoit la Médaille miraculeuse avec joie ; le Chef exige cependant une imposition personnelle avant les membres de sa famille !
Le voyage se poursuit sans incident, nous nous arrêtons sur le bord de la piste à proximité d’un petit groupe de maisons. Quelques minutes plus tard, un homme vient nous saluer avec sa femme et ses enfants. C’est un ancien séminariste qui malheureusement vient d’adhérer à l’Alliance Chrétienne : « Nous ne voyons plus les prêtres », me dit-il gêné, en guise d’excuse.
17 H 30 arrivée triomphale à Ndambi. Tout le village nous attendait, inquiet, depuis 24 h 00 car il n’y pas de réseau là-bas.
Tout le monde sort des maisons et se rassemble chez le chef que nous saluons. Nous sommes conduits au Corps de garde qui a été rallongé de plusieurs mètres pour l’occasion et transformé en chapelle décorée avec la végétation locale…
Le Père Louis-Marie célèbre la Messe pendant laquelle je confesse avec interprète, car les plus anciens parlent Kota bien que d’origine Saké. La Foi simple et innocente permet à la fille d’être l’interprète de sa mère et de ses tantes !
Cette année, le prêtre ne les a visités qu’une seule fois, début août. Un prêtre de 36 ans responsable de 33 villages que nous avons voulu visiter à Lastourville sur notre retour.
Pendant la Messe, je reconnais l’air de tous nos chants traditionnels de Noël qu’ils chantent en langue avec beaucoup d’enthousiasme.
Ma Messe célébrée immédiatement après celle du Père Louis-Marie, sert d’action de grâce à toute l’assistance qui reste sur place et chante sans discontinuer, rendant ma concentration très difficile !
21 H 00, repas avec les chefs et organisation de la matinée de chasse du lendemain.
28 décembre, levé à 4 H 30. Après un bon morceau de manioc, départ avec Gustave qui nous initie à la chasse en brousse. Malheureusement, les animaux ne manifestent leur présence que par leurs traces (éléphants, gorilles, sangliers, antilopes).
Nous sommes certainement passés à côtés de nombreux de serpents très venimeux… mais sans les voir !
Tout de même, sur le retour, un singe à l’honneur du premier coup de feu du Père Louis-Marie, beaucoup d’émotion pour le tireur, un peu d’affolement pour le singe, mais rien de grave pour l’un et l’autre… chacun rentre chez soi ! Le suivant n’aura pas autant de chance comme en témoigne la photo !
Au retour, le chef affecte un horaire pour la toilette des Pères à la rivière avec interdiction au village de s’y rendre. C’est également dans cette rivière que les villageois puise l’eau à boire, une eau qui n’est que très relativement potable me confie l’infirmier qui constate, impuissant, quelques cas d’amibiase. Dieu nous protège !
Un forage a été réalisé dans le village, mais après plusieurs années, la pompe n’a toujours pas été installée. C’est l’Afrique !
A 16 H 30, le Père Louis-Marie part à Baposso, un village voisin, qui a demandé notre visite. Il y célèbre la Messe dans la modeste chapelle comble, une chapelle qui nécessiterait rénovation.
A notre départ, le chef nous remettra solennellement une lettre de demande d’aide pour refaire la chapelle. Il souhaiterait que nous lui fournissions 30 tôles (30 tôles = 225 €) ; pour le reste, le village s’en charge.
A 17 H 30, je me prépare à célébrer la Messe à Ndambi, mais auparavant, le Chef Jules me demande l’autorisation de guider la prière du soir. C’est ainsi que j’apprends que chaque matin et chaque soir, le Chef réunit le village pour réciter la prière à laquelle le soir, est ajouté le chapelet. Soudain, pour moi tout s’éclaire, je comprends comment se sont entretenues la Foi et la piété que nous constatons ici sensiblement sur les visages.
De plus chaque dimanche, le village se réunit sous l’autorité du chef pour lire la Messe et prier. Le chef m’avoue être un peu perdu avec le nouveau missel découpé en année A, B, C. « Dans ma jeunesse c’était plus simple lorsque je servais la Messe aux missionnaires blancs ! ». Nous y reviendrons, Chef !
Le soir au repas échange assez long avec les chefs pour mieux comprendre ce qui leur a permis de conserver la Foi. Ecoutez-les :
« Nous avons été visités pendant des années par le Père Souda, un missionnaire blanc mort tragiquement (Le chef n’exclut pas que le Père Souda ait été tué.) en 1981. Il ne nous laissait jamais plus de trois mois sans visite. Il restait plusieurs jours parmi nous au village.
Les dernières années, il nous répétait souvent : ‘le temps va venir où il y aura beaucoup de dieux. Il faudra les refuser et conserver la Foi de vos ancêtres, celle que je vous ai apprise. Ne changez rien’.
C’est ce que nous avons fait et nous ne voulons pas changer. Nous avons refusé les Eglises Eveillées, les Eglises protestantes. Aidez-nous maintenant à garder la Foi de nos anciens. Nous n’en voulons pas d’autres. Passez régulièrement comme les missionnaires d’autrefois. Ne nous abandonnez pas ».
Nous vous demandons de passer régulièrement pour baptiser nos enfants, pour célébrer la Messe, nous donner la communion, nous marier, faire le catéchisme à nos enfants. Nous avons des difficultés avec les adolescents qui vont à l’école à la ville ; quand ils reviennent au village, ils ne veulent plus réciter le chapelet.
Aidez-nous à reconstruire notre chapelle. Nous sommes prêts à donner tout le bois nécessaire mais nous n’avons pas les moyens d’acheter les tôles (80 tôles = 600 €) ».
Quel est le prêtre, digne de son sacerdoce, qui pourrait rester insensible à ces paroles ?
La discussion s’est prolongée tard dans la nuit éclairée par les lampes tempêtes car évidemment, il n’y a pas d’électricité au village et le petit groupe électrogène est en panne depuis plusieurs mois.
Le dernier jour, la Messe est programmée à 9 H 00, elle est suivie par l’imposition des Médailles miraculeuses. Je les encourage à persévérer fidèlement dans la prière quotidienne sous la conduite du chef et je leur promets de passer de temps en temps surtout pendant les périodes de vacances scolaires pour pouvoir rencontrer le maximum d’enfants.
Le Père Louis-Marie donne 80 chapelets au Chef qui fait la distribution dans la chapelle sans oublier les absents. Il en donne 4 à l’infirmier du village pour qu’il les place à la tête de chacun des quatre lits du dispensaire !
Mais une question se pose tout de même et je la leur pose. « Comment le prêtre qui vous visite si peu souvent va-t-il réagir lorsqu’il va apprendre notre passage ? ». La question semble surprendre leur foi simple. « Comment un prêtre pourrait-il être fâché de savoir que d’autres prêtres viennent nous encourager à garder la Foi ? » C’est vrai… ça paraîtrait si normal… et pourtant ! « En tout cas, continue le chef, s’il le prenait mal, je serais obligé de lui dire de ne plus revenir ! »
Dernier repas. La tristesse est sensible. Les Pères vont partir. Quand reviendront-ils ?
Je vois alors s’entasser bâtons de manioc, bananes, ananas. Le chef me dit, en me donnant un coq qu’il a été cueillir dans son poulailler : « nous sommes pauvres, mais chacun veut donner quelque chose pour les Pères » !
Un fait qui nous a bien marqué, c’est l’honnêteté peu ordinaire de ces villageois. Nous avons laissé deux nuits consécutives toutes nos affaires liturgiques dans le corps de garde sans aucune protection. Pas une médaille, pas un chapelet n’a disparu. Avant de partir en Brousse, l’un de nous avait ouvert un paquet de gâteaux qu’il avait laissé ouvert sur un banc au milieu du village, pas un gâteau n’a été subtilisé par l’un des nombreux enfants qui étaient là. Le chef nous avait prévenus à notre arrivée : « Ici on ne vole pas ».
Au moment de partir, apprenant que la route était ouverte, j’envisage de rentrer par Koulamoutou Mimongo Mouila, Fougamou, Lambaréné. Bonne occasion pour moi de compléter ma découverte intérieure du pays. Notre chauffeur n’est pas un aventurier – de plus il doit conduire Monsieur le Ministre le lendemain matin… il refuse. Ce n’est que partie remise et quand l’occasion s’en présentera, il faudra pousser jusqu’à Ndendé, Tchibanga et Mayumba !
Le retour c’est fait sans escale : 400 Km de piste plus 350 km de route anciennement goudronnée ! Arrivés sales comme des poux, nous sommes moulus et heureux.
Sans escale, pas tout à fait ! Quelques minutes d’arrêt tout de même pour saluer nos Pygmées qui nous montrent fièrement leur médaille.
Bonne Mère du Ciel, protégez vos enfants !
Abbé Nicolas Pinaud, supérieur de la mission de la FSSPX au Gabon
Quelques semaines avant Noël, le Père Louis-Marie Buchet me fait part d’un projet de voyage qu’il est en train de mettre sur pied pour la fin de l’année à l’occasion de la visite de son frère aîné.
Long voyage de découverte de l’intérieur du Gabon, mais également voyage missionnaire, il envisage de s’arrêter dans les villages traversés et surtout à Ndambi, terme du périple. Même si le voyage du Cameroun n’a pas été de tout repos, l’aventure me tente et je m’invite. Il me semble important de connaître au plus vite la géographie du pays.
Le Père Louis-Marie résout toutes les difficultés et contretemps de l’organisation d’un tel voyage et le départ est fixé au 26 décembre à 2 H 00 du matin. Je ne dis rien, mais après la nuit de Noël déjà assez raccourcie, je trouve le départ un peu matinal. Mais qu’a-t-on sans effort ?
Messe célébrée, le 26 à 1 H 45, nous sommes prêts, la voiture arrive… un mauvais pressentiment me saisit, pas un pneu ne se ressemble, le chauffeur prévu déclare forfait et j’apprends que le véhicule n’est pas assuré ! L’expédition m’apparaît immédiatement déraisonnable, le Père Louis-Marie n’est pas difficile à convaincre malgré son désir bien compréhensible de partir. La Providence lui avait ménagé quelques heures plus tôt une autre possibilité de voiture avec chauffeur. Mais à 2 H 00 du matin, ce n’est pas vraiment l’heure de contacter quiconque ! Il faudra attendre impatiemment la lumière du petit matin… Je retourne me coucher !
A 5 H 00 du matin, les téléphones portables entrent en action… une action efficace, très efficace !
- Rendez-vous pris sur le champ pour 6h00 au PK 8 ;
- 6 H 30 rencontre avec le responsable de la voiture ;
- contrat établi en 10 mn, payé cash sur le champ, pour un départ à 13 H 00 au plus tôt ;
- retour à la Mission ;
- 9 H 00 appel du responsable : possibilité de départ immédiat vers 10 H 30 avec voiture en parfait état, chauffeur expérimenté et sympathique ;
- chargement, mais une malheureuse attente de deux heures pour le remplacement d’une ampoule de phare repousse d’autant le départ. C’est l’Afrique, dirait Jean Michonnet !
Ceux qui étaient informés de notre départ nocturne, sont évidemment surpris de nous voir encore là en début de matinée. C’est un recul pour mieux sauter ! Mais à 12 H 00, je suis toujours à la Mission, croisant quelques sourires de confrères amusés qui me disent sans me parler : « Le nouveau supérieur de la Mission va peut-être enfin comprendre ce qu’est le Gabon !... » Un peu ébranlé, il est vrai, je me rends à l’office de communauté avec grande ferveur… Seigneur ne faites pas que l’aventure s’arrête-là !
Ô miracle, la fin de l’office coïncide avec l’arrivée du véhicule, chargé, prêt à partir, ils sont tous là, ils viennent me chercher ; l’embarquement est immédiat et j’apprends que le voyage a fait l’objet d’un ordre de mission signé par un Ministre.
L’heure tardive laisse prévoir une arrivée à Ndambi vers 3 H 00 du matin. Est-ce bien raisonnable ? ce serait la troisième nuit quasiment blanche pour le Père Louis-Marie qui me paraît coriace, mais tout le monde a ses limites… je lui suggère de s’arrêter à la Lopé pour la nuit.
Aussitôt proposé aussitôt accepté, le Père sort son portable, un quart plus tard il me dit que tout est arrangé, le Directeur du parc national nous ouvre sa maison de passage et nous organise un safari pour le lendemain matin. Ça ne saurait se refuser !
Première étape sans surprise sinon la rencontre de Monsieur et Madame Eléphant en balade vespérale sur le bord de la piste quelque kilomètres avant la Lopé.
Le 27 matin, réveil tranquille après une nuit tout de même agitée ; il est difficile de se remettre aussi rapidement de tant d’émotions.
- 7 H 30, un guide nous rejoint et nous accompagne pendant 2 H 30 dans la magnifique savane de la Réserve de Lopé-Okanda, 4 700 Km2. Malheureusement les animaux ne sont pas au rendez-vous à part une famille d’éléphants, un troupeau de buffles et une antilope égarée !
- 11h30 arrêt technique au garage de la Lopé où un jeune garçon de 13 ans nous répare la roue de secours… la compétence n’attend pas toujours le nombre des années ! Pendant ce temps distribution et imposition de Médailles miraculeuses aux habitants du village qui se sont rassemblés curieux de voir des Pères en blanc. Je m’accorde avec un père de famille pour célébrer la Messe là, à notre retour.
Après une heure de piste, nous nous arrêtons dans un village de Pygmées. Nous saluons le Chef (NDLR : voir la photo en tête d'article). Il nous dit que ses ancêtres étaient catholiques, que les plus vieux le sont encore – en allant vers sa demeure, nous avions en effet rencontré une vieille maman avec un chapelet autour du cou – mais il nous avoue qu’il a réappris les pratiques païennes des pygmées parce qu’il y a plus de trente ans qu’un prêtre catholique les a visités pour la dernière fois. Maintenant ils adorent l’esprit de la forêt. Ils connaissent encore le signe de la croix mais ils ont oublié le Pater et l’Ave.
Après explication, nous lui proposons de lui imposer la Médaille miraculeuse. Le chef discute avec ses fils puis nous répond affirmativement mais à une condition : il accepte volontiers la Médaille mais seulement si cette médaille est catholique ! Pas de soucis chef !
Tout le monde reçoit la Médaille miraculeuse avec joie ; le Chef exige cependant une imposition personnelle avant les membres de sa famille !
Le voyage se poursuit sans incident, nous nous arrêtons sur le bord de la piste à proximité d’un petit groupe de maisons. Quelques minutes plus tard, un homme vient nous saluer avec sa femme et ses enfants. C’est un ancien séminariste qui malheureusement vient d’adhérer à l’Alliance Chrétienne : « Nous ne voyons plus les prêtres », me dit-il gêné, en guise d’excuse.
17 H 30 arrivée triomphale à Ndambi. Tout le village nous attendait, inquiet, depuis 24 h 00 car il n’y pas de réseau là-bas.
Tout le monde sort des maisons et se rassemble chez le chef que nous saluons. Nous sommes conduits au Corps de garde qui a été rallongé de plusieurs mètres pour l’occasion et transformé en chapelle décorée avec la végétation locale…
Le Père Louis-Marie célèbre la Messe pendant laquelle je confesse avec interprète, car les plus anciens parlent Kota bien que d’origine Saké. La Foi simple et innocente permet à la fille d’être l’interprète de sa mère et de ses tantes !
Cette année, le prêtre ne les a visités qu’une seule fois, début août. Un prêtre de 36 ans responsable de 33 villages que nous avons voulu visiter à Lastourville sur notre retour.
Pendant la Messe, je reconnais l’air de tous nos chants traditionnels de Noël qu’ils chantent en langue avec beaucoup d’enthousiasme.
Ma Messe célébrée immédiatement après celle du Père Louis-Marie, sert d’action de grâce à toute l’assistance qui reste sur place et chante sans discontinuer, rendant ma concentration très difficile !
21 H 00, repas avec les chefs et organisation de la matinée de chasse du lendemain.
28 décembre, levé à 4 H 30. Après un bon morceau de manioc, départ avec Gustave qui nous initie à la chasse en brousse. Malheureusement, les animaux ne manifestent leur présence que par leurs traces (éléphants, gorilles, sangliers, antilopes).
Nous sommes certainement passés à côtés de nombreux de serpents très venimeux… mais sans les voir !
Tout de même, sur le retour, un singe à l’honneur du premier coup de feu du Père Louis-Marie, beaucoup d’émotion pour le tireur, un peu d’affolement pour le singe, mais rien de grave pour l’un et l’autre… chacun rentre chez soi ! Le suivant n’aura pas autant de chance comme en témoigne la photo !
Au retour, le chef affecte un horaire pour la toilette des Pères à la rivière avec interdiction au village de s’y rendre. C’est également dans cette rivière que les villageois puise l’eau à boire, une eau qui n’est que très relativement potable me confie l’infirmier qui constate, impuissant, quelques cas d’amibiase. Dieu nous protège !
Un forage a été réalisé dans le village, mais après plusieurs années, la pompe n’a toujours pas été installée. C’est l’Afrique !
A 16 H 30, le Père Louis-Marie part à Baposso, un village voisin, qui a demandé notre visite. Il y célèbre la Messe dans la modeste chapelle comble, une chapelle qui nécessiterait rénovation.
A notre départ, le chef nous remettra solennellement une lettre de demande d’aide pour refaire la chapelle. Il souhaiterait que nous lui fournissions 30 tôles (30 tôles = 225 €) ; pour le reste, le village s’en charge.
A 17 H 30, je me prépare à célébrer la Messe à Ndambi, mais auparavant, le Chef Jules me demande l’autorisation de guider la prière du soir. C’est ainsi que j’apprends que chaque matin et chaque soir, le Chef réunit le village pour réciter la prière à laquelle le soir, est ajouté le chapelet. Soudain, pour moi tout s’éclaire, je comprends comment se sont entretenues la Foi et la piété que nous constatons ici sensiblement sur les visages.
De plus chaque dimanche, le village se réunit sous l’autorité du chef pour lire la Messe et prier. Le chef m’avoue être un peu perdu avec le nouveau missel découpé en année A, B, C. « Dans ma jeunesse c’était plus simple lorsque je servais la Messe aux missionnaires blancs ! ». Nous y reviendrons, Chef !
Le soir au repas échange assez long avec les chefs pour mieux comprendre ce qui leur a permis de conserver la Foi. Ecoutez-les :
« Nous avons été visités pendant des années par le Père Souda, un missionnaire blanc mort tragiquement (Le chef n’exclut pas que le Père Souda ait été tué.) en 1981. Il ne nous laissait jamais plus de trois mois sans visite. Il restait plusieurs jours parmi nous au village.
Les dernières années, il nous répétait souvent : ‘le temps va venir où il y aura beaucoup de dieux. Il faudra les refuser et conserver la Foi de vos ancêtres, celle que je vous ai apprise. Ne changez rien’.
C’est ce que nous avons fait et nous ne voulons pas changer. Nous avons refusé les Eglises Eveillées, les Eglises protestantes. Aidez-nous maintenant à garder la Foi de nos anciens. Nous n’en voulons pas d’autres. Passez régulièrement comme les missionnaires d’autrefois. Ne nous abandonnez pas ».
Nous vous demandons de passer régulièrement pour baptiser nos enfants, pour célébrer la Messe, nous donner la communion, nous marier, faire le catéchisme à nos enfants. Nous avons des difficultés avec les adolescents qui vont à l’école à la ville ; quand ils reviennent au village, ils ne veulent plus réciter le chapelet.
Aidez-nous à reconstruire notre chapelle. Nous sommes prêts à donner tout le bois nécessaire mais nous n’avons pas les moyens d’acheter les tôles (80 tôles = 600 €) ».
Quel est le prêtre, digne de son sacerdoce, qui pourrait rester insensible à ces paroles ?
La discussion s’est prolongée tard dans la nuit éclairée par les lampes tempêtes car évidemment, il n’y a pas d’électricité au village et le petit groupe électrogène est en panne depuis plusieurs mois.
Le dernier jour, la Messe est programmée à 9 H 00, elle est suivie par l’imposition des Médailles miraculeuses. Je les encourage à persévérer fidèlement dans la prière quotidienne sous la conduite du chef et je leur promets de passer de temps en temps surtout pendant les périodes de vacances scolaires pour pouvoir rencontrer le maximum d’enfants.
Le Père Louis-Marie donne 80 chapelets au Chef qui fait la distribution dans la chapelle sans oublier les absents. Il en donne 4 à l’infirmier du village pour qu’il les place à la tête de chacun des quatre lits du dispensaire !
Mais une question se pose tout de même et je la leur pose. « Comment le prêtre qui vous visite si peu souvent va-t-il réagir lorsqu’il va apprendre notre passage ? ». La question semble surprendre leur foi simple. « Comment un prêtre pourrait-il être fâché de savoir que d’autres prêtres viennent nous encourager à garder la Foi ? » C’est vrai… ça paraîtrait si normal… et pourtant ! « En tout cas, continue le chef, s’il le prenait mal, je serais obligé de lui dire de ne plus revenir ! »
Dernier repas. La tristesse est sensible. Les Pères vont partir. Quand reviendront-ils ?
Je vois alors s’entasser bâtons de manioc, bananes, ananas. Le chef me dit, en me donnant un coq qu’il a été cueillir dans son poulailler : « nous sommes pauvres, mais chacun veut donner quelque chose pour les Pères » !
Un fait qui nous a bien marqué, c’est l’honnêteté peu ordinaire de ces villageois. Nous avons laissé deux nuits consécutives toutes nos affaires liturgiques dans le corps de garde sans aucune protection. Pas une médaille, pas un chapelet n’a disparu. Avant de partir en Brousse, l’un de nous avait ouvert un paquet de gâteaux qu’il avait laissé ouvert sur un banc au milieu du village, pas un gâteau n’a été subtilisé par l’un des nombreux enfants qui étaient là. Le chef nous avait prévenus à notre arrivée : « Ici on ne vole pas ».
Au moment de partir, apprenant que la route était ouverte, j’envisage de rentrer par Koulamoutou Mimongo Mouila, Fougamou, Lambaréné. Bonne occasion pour moi de compléter ma découverte intérieure du pays. Notre chauffeur n’est pas un aventurier – de plus il doit conduire Monsieur le Ministre le lendemain matin… il refuse. Ce n’est que partie remise et quand l’occasion s’en présentera, il faudra pousser jusqu’à Ndendé, Tchibanga et Mayumba !
Le retour c’est fait sans escale : 400 Km de piste plus 350 km de route anciennement goudronnée ! Arrivés sales comme des poux, nous sommes moulus et heureux.
Sans escale, pas tout à fait ! Quelques minutes d’arrêt tout de même pour saluer nos Pygmées qui nous montrent fièrement leur médaille.
Bonne Mère du Ciel, protégez vos enfants !
Abbé Nicolas Pinaud, supérieur de la mission de la FSSPX au Gabon