SOURCE - Daniel-Ange - France Catholique - 15 juillet 2011
[...] Ecône ou la déchirante brisure
Décembre 73. 17 ans. Lors d’une retraite à Montmartre, dans le centre Ephrem fondé par Mgr Charles…., l’appel de Jésus retentit avec force et douceur. C’est clair et net : je serai prêtre. Appel que ses chers parents accueillent avec émotion et joie.
Mais se pose la question : où trouver une formation vraiment fidèle au Magistère de l’Eglise, véritablement catholique, dans une ambiance de prière et de belle fraternité fervente ?
L’Eglise de France est en pleine tourmente, suite à l’électrochoc de « Mai 68 » (voir Larousse), au siècle dernier. Le libéralisme théologique fait rage dans les séminaires. Les théologiens de la suspicion – infectés par les philosophes du soupçon, eux jamais suspectés – sèment leurs virus d’hérésie. Certains cours frisent l’arianisme. Dans l’Evangile, tout devient suspect. On flirte avec le communisme, Marx et Lénine sont plus cités que S. Augustin ou Jean Chrysostome. Le Pape ? C’est n’est que l’évêque de Rome, qui peut tout juste émettre quelques avis personnels. La tradition ? C’est vieux-jeu. Le sacerdoce ? Une fonction. Le célibat des prêtres ? Du masochisme. La messe ? Toast au champagne exprimant la gaieté d’être ensemble. La virginité de Marie ? Mythe ! Noël ? Légende. Résultat : dramatique hémorragie dans le clergé.
Devant tant de dérives, d’interprétations abusives du Concile Vatican II, tant d’innovations, jusqu’à des aberrations liturgiques, certains prêtres se croyant tout permis, on comprend que beaucoup en soient ébranlés, déroutés, profondément meurtris. Contre ce courant impétueux, emportant tout sur son passage, certains vont « entrer en résistance » pour sauver le pays. Résistance qui bientôt deviendra dissidence. Par fidélité à l’Eglise, et à sa grande Tradition, ils tiennent à garder la liturgie telle que l’ont vécue Thérèse et Bernadette, Charles de Foucauld et tous nos saints depuis au moins 5 siècles. La tête de file de ce mouvement de résistance : Mgr Lefebvre, spiritain qui fut un remarquable archevêque de Dakar, puis de Tulle. Il ouvre, dans la vallée du Rhône, cœur du Valais, à Ecône, un séminaire. Jean-Paul y entre fin septembre 75. De longues et nombreuses lettres nous donnent en détail le quotidien de sa vie de séminariste. Au début, on suit les cours à l’Université de Fribourg, où se sont réfugiés bien d’autres Français étudiants en théologie, comme ceux qui suivent les cours magistraux de ce prophète-philosophe que fut le dominicain Marie Dominique Philippe, y formant le premier noyau des petits frères et petites sœurs de saint Jean. Plusieurs Congrégations récentes ou en voie de fondation y ont leurs maisons d’études : les sœurs de Bethléem, petits frères et sœurs de Jésus, de l’Evangile, mission ouvrière Pierre et Paul de cet autre dominicain Jacques Loew, qui y crée la fameuse école de la Foi au rayonnement international. Le cardinal Christophe Schönborn n’y enseigne pas encore et le très humble abbé Journet - cardinal- vient de partir contempler la Face de la Vérité, Vérité si passionnément aimée et enseignée tout au long de sa vie. Y enseigne toujours le futur Cardinal Cottier, que Jean-Paul II choisira comme théologien personnel. Bref, l’âge d’or de la fac de théologie. Mais les séminaristes d’Ecône étant très encadrés et toujours entre eux, comme je l’ai moi-même constaté à cette époque, Jean-Paul n’a pas dû connaître cette passionnante effervescence ecclésiale de Fribourg.
Mais sans doute sont-ils allés en pèlerinage au monastère cistercien de Hauterive, sur les rives de la Sarine, ou à la Chartreuse de la Valsainte – le paradis blanc- où le bon cardinal Journet vient de se faire ensevelir.
La vie à Ecône se déroule paisiblement, au rythme des grandes solennités liturgiques, des vendanges à l’automne, des batailles de boule de neige et d’une grande course sur les sommets au printemps. Aux vacances, retour en famille à Versailles, et camps de jeunes à Riaumont dans le Jura, ou ailleurs. Mais de gros nuages noirs viennent assombrir la fin de son année. Le conflit entre Mgr Lefebvre et le S. Père devient de plus en plus dramatique. La tension entre Ecône et Rome s’intensifie. Un premier pas de rupture survient quand le 29 juin, Mgr Lefebvre ordonne des prêtres sans qu’ils soient incardinés dans un diocèse.
Ces événements tragiques bouleversent Jean-Paul, ainsi que sa famille et ses amis. Il est littéralement écartelé, crucifié. Il prend conscience dans les larmes, du paradoxe dramatique. Pour rester fidèle à l’Eglise catholique, on se coupe du Pape, sa clé de voûte ! Et voilà, d’un côté, des baptisés fervents adorateurs de la Présence réelle au Saint Sacrement, amoureux de Marie, fidèles à la Tradition, en principe au pape, et qui s’excommunient par fidélité ! Et de l’autre, des prêtres qui restent dans la structure hiérarchique, mais ont perdu la foi sur des points essentiels, se sont « protestantisés » et ne cessent de critiquer le Pape !
Jean-Paul n’y voyant plus clair du tout décide de faire son service militaire, dans l’espoir que les choses finiront par s’arranger. Le voilà affecté au 9ème régiment de Chasseurs paras (RCP) de Toulouse, profitant des permissions pour rejoindre famille ou camps de jeunes. Pendant ce temps, hélas, la situation d’Ecône se dramatise. La communauté se fissure, le supérieur du séminaire et plusieurs professeurs et une douzaine de séminaristes quittent, avant que le pire n’arrive. En fait, il arrivera l’année suivante, le 29 juin 78. Malgré les multiples tentatives de dialogue de la part de Rome, le schisme (du mot schisma : déchirure) sera consommé l’année suivante, lorsqu’il osera ordonner 4 évêques sans l’approbation du pape (Forcing du type des régimes communistes en Chine, pour une Eglise nationale, séparée de Rome). La veille au soir, encore, un certain cardinal Joseph Ratzinger est envoyé d’urgence par Paul VI pour à tout prix éviter l’irréparable : une terrible blessure dans le corps de l’Eglise.
Beaucoup de fidèles de Mgr Lefebvre auront alors le beau courage de la quitter, comme les moines du Barroux. Certains se constitueront en Fraternité S. Pierre, alors que les autres formeront la Fraternité S. Pie X. Héroïquement : car, bien que merveilleusement accueillis par Paul VI, puis Jean-Paul II, et maintenant Benoît XVI, ils ne l’ont pas toujours été par dans les diocèses par les évêques. (un peu comme les gréco-catholiques, après avoir quitté l’Orthodoxie pour se rattacher à Rome, tout en gardant tous leurs rites orientaux).
De son côté, Rome leur accorde largement de garder la liturgie d’avant la réforme conciliaire. (Ce que Benoît XVI appelle le missel de Jean XXII, puisque les dernières modifications ont été faites par celui-ci, en 1962). Paul VI fait ouvrir à Rome un séminaire spécial pour eux, dans la cité Léonine, derrière la colline du Vatican.
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[...] Ecône ou la déchirante brisure
Décembre 73. 17 ans. Lors d’une retraite à Montmartre, dans le centre Ephrem fondé par Mgr Charles…., l’appel de Jésus retentit avec force et douceur. C’est clair et net : je serai prêtre. Appel que ses chers parents accueillent avec émotion et joie.
Mais se pose la question : où trouver une formation vraiment fidèle au Magistère de l’Eglise, véritablement catholique, dans une ambiance de prière et de belle fraternité fervente ?
L’Eglise de France est en pleine tourmente, suite à l’électrochoc de « Mai 68 » (voir Larousse), au siècle dernier. Le libéralisme théologique fait rage dans les séminaires. Les théologiens de la suspicion – infectés par les philosophes du soupçon, eux jamais suspectés – sèment leurs virus d’hérésie. Certains cours frisent l’arianisme. Dans l’Evangile, tout devient suspect. On flirte avec le communisme, Marx et Lénine sont plus cités que S. Augustin ou Jean Chrysostome. Le Pape ? C’est n’est que l’évêque de Rome, qui peut tout juste émettre quelques avis personnels. La tradition ? C’est vieux-jeu. Le sacerdoce ? Une fonction. Le célibat des prêtres ? Du masochisme. La messe ? Toast au champagne exprimant la gaieté d’être ensemble. La virginité de Marie ? Mythe ! Noël ? Légende. Résultat : dramatique hémorragie dans le clergé.
Devant tant de dérives, d’interprétations abusives du Concile Vatican II, tant d’innovations, jusqu’à des aberrations liturgiques, certains prêtres se croyant tout permis, on comprend que beaucoup en soient ébranlés, déroutés, profondément meurtris. Contre ce courant impétueux, emportant tout sur son passage, certains vont « entrer en résistance » pour sauver le pays. Résistance qui bientôt deviendra dissidence. Par fidélité à l’Eglise, et à sa grande Tradition, ils tiennent à garder la liturgie telle que l’ont vécue Thérèse et Bernadette, Charles de Foucauld et tous nos saints depuis au moins 5 siècles. La tête de file de ce mouvement de résistance : Mgr Lefebvre, spiritain qui fut un remarquable archevêque de Dakar, puis de Tulle. Il ouvre, dans la vallée du Rhône, cœur du Valais, à Ecône, un séminaire. Jean-Paul y entre fin septembre 75. De longues et nombreuses lettres nous donnent en détail le quotidien de sa vie de séminariste. Au début, on suit les cours à l’Université de Fribourg, où se sont réfugiés bien d’autres Français étudiants en théologie, comme ceux qui suivent les cours magistraux de ce prophète-philosophe que fut le dominicain Marie Dominique Philippe, y formant le premier noyau des petits frères et petites sœurs de saint Jean. Plusieurs Congrégations récentes ou en voie de fondation y ont leurs maisons d’études : les sœurs de Bethléem, petits frères et sœurs de Jésus, de l’Evangile, mission ouvrière Pierre et Paul de cet autre dominicain Jacques Loew, qui y crée la fameuse école de la Foi au rayonnement international. Le cardinal Christophe Schönborn n’y enseigne pas encore et le très humble abbé Journet - cardinal- vient de partir contempler la Face de la Vérité, Vérité si passionnément aimée et enseignée tout au long de sa vie. Y enseigne toujours le futur Cardinal Cottier, que Jean-Paul II choisira comme théologien personnel. Bref, l’âge d’or de la fac de théologie. Mais les séminaristes d’Ecône étant très encadrés et toujours entre eux, comme je l’ai moi-même constaté à cette époque, Jean-Paul n’a pas dû connaître cette passionnante effervescence ecclésiale de Fribourg.
Mais sans doute sont-ils allés en pèlerinage au monastère cistercien de Hauterive, sur les rives de la Sarine, ou à la Chartreuse de la Valsainte – le paradis blanc- où le bon cardinal Journet vient de se faire ensevelir.
La vie à Ecône se déroule paisiblement, au rythme des grandes solennités liturgiques, des vendanges à l’automne, des batailles de boule de neige et d’une grande course sur les sommets au printemps. Aux vacances, retour en famille à Versailles, et camps de jeunes à Riaumont dans le Jura, ou ailleurs. Mais de gros nuages noirs viennent assombrir la fin de son année. Le conflit entre Mgr Lefebvre et le S. Père devient de plus en plus dramatique. La tension entre Ecône et Rome s’intensifie. Un premier pas de rupture survient quand le 29 juin, Mgr Lefebvre ordonne des prêtres sans qu’ils soient incardinés dans un diocèse.
Ces événements tragiques bouleversent Jean-Paul, ainsi que sa famille et ses amis. Il est littéralement écartelé, crucifié. Il prend conscience dans les larmes, du paradoxe dramatique. Pour rester fidèle à l’Eglise catholique, on se coupe du Pape, sa clé de voûte ! Et voilà, d’un côté, des baptisés fervents adorateurs de la Présence réelle au Saint Sacrement, amoureux de Marie, fidèles à la Tradition, en principe au pape, et qui s’excommunient par fidélité ! Et de l’autre, des prêtres qui restent dans la structure hiérarchique, mais ont perdu la foi sur des points essentiels, se sont « protestantisés » et ne cessent de critiquer le Pape !
Jean-Paul n’y voyant plus clair du tout décide de faire son service militaire, dans l’espoir que les choses finiront par s’arranger. Le voilà affecté au 9ème régiment de Chasseurs paras (RCP) de Toulouse, profitant des permissions pour rejoindre famille ou camps de jeunes. Pendant ce temps, hélas, la situation d’Ecône se dramatise. La communauté se fissure, le supérieur du séminaire et plusieurs professeurs et une douzaine de séminaristes quittent, avant que le pire n’arrive. En fait, il arrivera l’année suivante, le 29 juin 78. Malgré les multiples tentatives de dialogue de la part de Rome, le schisme (du mot schisma : déchirure) sera consommé l’année suivante, lorsqu’il osera ordonner 4 évêques sans l’approbation du pape (Forcing du type des régimes communistes en Chine, pour une Eglise nationale, séparée de Rome). La veille au soir, encore, un certain cardinal Joseph Ratzinger est envoyé d’urgence par Paul VI pour à tout prix éviter l’irréparable : une terrible blessure dans le corps de l’Eglise.
Beaucoup de fidèles de Mgr Lefebvre auront alors le beau courage de la quitter, comme les moines du Barroux. Certains se constitueront en Fraternité S. Pierre, alors que les autres formeront la Fraternité S. Pie X. Héroïquement : car, bien que merveilleusement accueillis par Paul VI, puis Jean-Paul II, et maintenant Benoît XVI, ils ne l’ont pas toujours été par dans les diocèses par les évêques. (un peu comme les gréco-catholiques, après avoir quitté l’Orthodoxie pour se rattacher à Rome, tout en gardant tous leurs rites orientaux).
De son côté, Rome leur accorde largement de garder la liturgie d’avant la réforme conciliaire. (Ce que Benoît XVI appelle le missel de Jean XXII, puisque les dernières modifications ont été faites par celui-ci, en 1962). Paul VI fait ouvrir à Rome un séminaire spécial pour eux, dans la cité Léonine, derrière la colline du Vatican.
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