16 décembre 2011

[Jean-Marie Guénois - Religio Blog] Les ultras-catholiques ont-il pris le dessus sur les catholiques ?

SOURCE - Jean-Marie Guénois - Religio Blog, blog du Figaro - 16 décembre 2011

La France serait devenue « christianophobe ». Un esprit distingué de l'institut Civitas le dit haut et fort. Cette nation, fleuron du christianisme et des Lumières a désormais peur du christianisme. Elle s'en méfie et le combat...
Il y a des preuves formelles. Depuis dix mois, trois créations artistiques l'attestent :
  • « Pisschrist », photo d'un crucifix dans un bocal d'urine de l'auteur américain Andes Serrano exposée pendant trois semaines à Avignon
  • une pièce « Sur le concept du visage du Fils de Dieu » de l'Italien Roberto Castellucci (jouée dix soirées à Rennes, treize soirées à Paris)
  • « Golgota Picnic » de l'Argentin Rodrigo Garcia (jouée dix fois à Paris et cinq fois à Toulouse).
Mais dans les trois cas, c'est la réaction des opposants criant au « blasphème » qui a créé l'événement. De fait, à Avignon, le photographe posant devant son œuvre n'a pas vraiment l'air dépité devant les coups de marteaux qui ont sorti l'exposition de l'anonymat.
De même pour les deux pièces de théâtre, les "intégristes" ont été une aubaine. Le paroxysme a été atteint il y a une semaine à Paris pour « Golgota picnic » devenu une sorte de symbole national du calvaire de la persécution religieuse subie par les catholiques français. Que diraient,au passage, les chrétiens Irakiens ?
Les temps changeraient donc vite. Il y a douze mois exactement - mais c'était il y a trop longtemps, avant la nouvel ère christianophobe - le film « des hommes et des dieux » faisait un tabac : 3 204 170 entrées sans compter la diffusion DVD. Les commentaires de l'époque - diamétralement opposés à ceux d'aujourd'hui - se demandaient comment expliquer cette résurgence, et cet intérêt nouveau, pour le christianisme ! Nous étions fin 2010, le vent aurait tourné depuis...
Plus de trois millions d'entrées seraient donc un détail face aux quelques centaines de spectateurs qui ont vraiment payé leurs places pour voir ces pièces à scandale ? Il est vrai que trois millions et même quatre millions avec les DVD, ce n'est effectivement rien face aux dizaines de millions qui ont finalement entendu parler de ces pièces grâce à la publicité assurée par... Civitas !
Mais comment cet institut pourtant opposé à ces pièces aurait-il commis une telle bévue ? Civitas - je parle de ses responsables non de la bonne foi, respectable, des gens qui les suivent - pourrait avoir une autre idée derrière la tête en organisant le tapage ?
Sur son site, l'institut se définit comme un « mouvement politique » regroupant des « laïcs catholiques engagés dans l'instauration de la Royauté sociale du Christ sur les nations et les peuples en général, sur la France et les Français en particulier ». Il ajoute : « l'institut Civitas est une œuvre de reconquête politique et sociale visant à rechristianiser la France ». Rien n'est dit sur les liens avec une tendance dur de la Fraternité Saint Pie X opposés à un accord avec Rome, explicitement présents à la manifestation, ni des déçus de Marine le Pen qui n'acceptent pas sa défense de la laïcité.

Deux curiosités donc dans cette affaire :
- La première a consisté à faire croire que le danger christianophobe menaçait la France alors que d'autres signes ( par exemple le succès "des hommes et des dieux") démontrent amplement le contraire. Il est dès lors limpide que cette manoeuvre avait deux objectifs : faire parler de soi et de préparer le terrain avec ce slogan affiché pendant les manifestations : « la France est chrétienne et doit le rester » pour un autre combat de fond, l'islamophobie, la peur de l'islam.
- La seconde : les manifestants de Civitas ont voulu apparaitre comme des « catholiques » neutres, sans appartenance particulière, récusant toute appellation « d'intégristes ». Et ils ont presque réussi malgré la précision de leur discours anti-romain et contre le Pape. La presse a d'ailleurs fini par les appeler « ultra-catholiques » mais les premières dépêches parlaient effectivement de « catholiques ».

Deux observations pour conclure :
A première vue, ces « utras-catholiques » ont médiatiquement pris le pas sur les catholiques. Car en refusant de se mouiller frontalement - pour ne pas faire de publicité aux spectacles et pour ne pas faire le jeu de certains lefebvristes et du Front national - l'Eglise catholique s'est effectivement retrouvée au second plan, sur un strapontin médiatique. A ce titre, les 7 000 personnes massées, le 8 décembre, à Notre Dame de Paris, soir de la première au théâtre du Rond Point, pour vénérer la couronne d'épines sont presque passées inaperçues contrairement aux 2 000 « ultra-catholiques » qui manifestaient. Dans la grammaire médiatique et dialectique courante, ces derniers étaient considérés comme les « vrais » opposants .

Que restera-t-il de tout cela ?
Un chapitre de plus sur les polémiques récurrentes entre l'art et la foi sur fond de blasphèmes mais rien de neuf sur ce plan.
Quant à la supposée réussite médiatique de Civitas, saluée par beaucoup, depuis une semaine, elle me parait très discutable.
Ce mouvement peut avoir l'impression d'être entré sur la scène publique. Il s'est fait un nom. Mais réalise-t-il qu'il a joué un rôle à son insu dans cette affaire et qu'il a été largement utilisé comme faire valoir ? Loin d'être normalisé il est donc déjà marginalisé. Son audience n'existe et n'existera que par rapport à l'objet de ses protestations, ces spectacles ou d'autres scandales à venir. Et non par ses propositions totalement irrecevables dans le cadre de la laïcité française et formellement rejetées par l'Eglise catholique.
En ayant couvert cette polémique, j'ai eu l'impression que la pièce était souvent autant à l'extérieur du théâtre qu'à l'intérieur. Chacun a joué son rôle remarquablement, certains sans en avoir conscience. Une fois les lampes éteintes, il reste peu de choses.

Ceux qui pensent avoir gagné une notoriété seraient bien inspirés de méditer sur la vanité et l'illusion de cette notion surtout quand elle s'obtient dans l'instantané d'un conflit violent et médiatique. La notoriété durable et la crédibilité obéissent à d'autres critères.