SOURCE - Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX - décembre 2011
La Déclaration sur la liberté religieuse affirme sans ambages, non pas que l’homme doit être autant que possible libéré des contraintes qui annihileraient sa liberté intérieure (chose évidemment très désirable), mais qu’il doit de fait être affranchi de toute contrainte de la part d’autrui, quelle qu’elle soit et en toutes circonstances. Les textes de Dignitatis humanæ sont tout à fait impressionnants à ce propos, au moins tels qu’on peut les lire en français dans la traduction la plus usuelle, celle des éditions du Centurion en 1967.
L’homme doit donc agir « non pas sous la pression d’une contrainte, mais guidé par la conscience de son devoir » (1 § 1). Il a droit à une « immunité de toute contrainte dans la société civile » (1 § 3), « à l’égard de toute contrainte extérieure » (2 § 2). « Tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit » (2 § 1). Il lui revient d’obtenir « la liberté ou immunité de toute contrainte en matière religieuse » (4 § 1), « le droit à l’immunité de toute contrainte extérieure dans le domaine religieux » (9). Ainsi, « la personne humaine doit, dans la cité, être exempte de toute contrainte humaine » (12 § 2).
Qui va travailler chaque jour uniquement par devoir ?
Mais qui peut sérieusement affirmer qu’il mène sa vie proprement humaine, vie d’intelligence et de volonté, a fortiori vie religieuse, à l’abri de toute contrainte ? Sommes-nous là dans le réel ou dans le mythe ? Qui oserait prétendre sans rougir qu’il va au travail chaque matin « non pas sous la pression d’une contrainte, mais guidé par la conscience de son devoir » exclusivement ? Quoi ? une partie de nos motifs ne serait pas la routine, ou le désir d’être payé à la fin du mois, ou l’envie de voir telle personne, ou la crainte de nous faire licencier, ou simplement un mélange de divers motifs, y compris la conscience de son devoir ? Parle-t-on ici d’un homme réel ou d’une fiction ?
Libres enfants de Summerhill ?
Si un enfant ne veut pas aller à l’école, doit-on lui garantir une « immunité à l’égard de toute contrainte extérieure » ? Qui oserait affirmer une telle ineptie, à part les enfants issus de familles aisées décrits dans le célèbre ouvrage utopique des années 60, Libres enfants de Summerhill ?
J’ai connu un garçon intelligent et sympathique qui, le matin du baccalauréat, décida que la journée était parfaite pour aller se promener et qui donc, naturellement, ne se présenta pas aux épreuves. Aujourd’hui encore, des dizaines d’années après ce choix vraiment stupide, ce garçon en paie les conséquences dans sa vie professionnelle et familiale. Faut-il dire que celui qui l’aurait pris fermement « par la peau du cou » ce jour-là pour l’amener manu militari là où il devait être, en salle d’épreuves, aurait violé ses droits à « l’immunité de toute contrainte » ?
Le regard des autres n’est-il pas déjà une certaine contrainte ?
La peur du regard des autres n’est-elle pas déjà une contrainte de chaque jour, impossible à éviter ? Si je passe devant un calvaire et que j’ai envie de faire le signe de la croix, moi prêtre, identifié pourtant par mon habit religieux, voici que je commence à craindre ce que vont dire, ou penser, ou peut-être dire, ou peut-être penser, les personnes qui vont éventuellement me voir.
Nous avons tous rougi ou blêmi, ou eu un pincement au coeur, pour une action pourtant simple, sans autre risque qu’un sourire de commisération ou un regard ironique de la part d’un inconnu. Et, parfois, il nous est même arrivé de renoncer à cette action par crainte de cette conséquence. N’est-ce donc pas là une insupportable « contrainte de la part des individus et des groupes sociaux » ?
Affirmer une doctrine de la liberté religieuse en s’appuyant sur une fiction aussi invraisemblable qu’une immunité réelle, pour l’homme, de toute contrainte, c’est réellement bâtir sur du vent.